Au fil des jours
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Publication : août 2003
Mise en ligne : 11 novembre 2006
Retraites
Le gouvernement a fait passer sa réforme des retraites, méprisant les impressionnantes manifestations d’un vaste mécontentement. Puisqu’il a tous les pouvoirs, la fracture sociale n’est pas son souci. Mais cette loi ne résout pas, bien au contraire, le problème essentiel, qui est celui du chômage, dont le taux a déjà fortement augmenté, et que l’INSEE prévoit encore à la hausse.
Mais on va s’apercevoir, à terme, qu’obliger les salariés à travailler deux ans de plus pour avoir droit à la retraire à taux plein, c’est faire plus d’un million de chômeurs de plus, chômeurs qui, évidemment, ne cotiseront pas. Donc non seulement le niveau des retraites va baisser, mais aussi celui de l’indemnité des chômeurs.
Intermittents
Le public ignore en général à peu près tout des conditions de travail des intermittents, qui temoignent de l’incapacité majeure de notre système économique à s’adapter à notre temps (nous l’avons souvent expliqué [1]). À leur propos, le Président de la République a déclaré, en fêtant le 14 Juillet, que c’est au Medef et non pas au gouvernement de règler leur problème.
Mais beaucoup de commerçants commencent à s’apercevoir que la culture faisait aussi marcher leurs affaires.
Sécurité
Il paraît que les mesures récentes à l’initiative du Ministre de l’Intérieur ont fait miracle contre l’insécurité permanente dans laquelle nous vivions tous. Tant mieux, si c’est vrai.
Mais il n’empêche que depuis l’arrestation à grand spectacle d’Yvan Colonna, les attentats se multiplient. Les interventions de police et leur brutalité ont de quoi inquièter, et celles vis à vis des centres d’accueil de Toulouse, Lille, Bourg-en-Bresse, ont été dénoncées. L’entourage de M.Sarkozy a eu beau déclarer au Figaro (14 Juin) qu’il s’agirait “d’un loupé” de la PAF (police aux frontières), la méthode employée est telle qu’elle a incité le mouvement Emmaüs, fondé par l’abbé Pierre, qui n’a évidemment jamais demandé leurs papiers aux personnes qu’il prend sous son aile, à réagir pour que ses pratiques d’accueil ne soient pas remise en cause et à « demander publiquement sa mise en examen comme personne morale si des pratiques d’accueil […] devaient conduire à des mises en cause personnelles (de présidents, d’amis ou de responsables) devant la justice. » Dans le même temps, le nombre de personnes détenues dans les prisons surpeuplées est si alarmant (le 1er Juillet 60.693 personnes étaient détenues dans 48.600 places) qu’un avocat décrit ainsi la situation « Aujourd’hui, n’importe qui peut être mis en détention. Nous avons une politique pénale à l’américaine, sans en avoir les moyens. On va droit dans le mur. » Ce 20 Juillet, en Corrèze, il fallait voir les forces de police déployées pour éviter à Bernadette et Jacques Chirac, allant écouter Johnny Halliday, d’être témoins d’éventuelles manifestations d’intermittents du spectacle. On comprend pourquoi l’âge de la retraite, pour les policiers, a été maintenu à 55 ans.
Salaires scandaleux
Le “parachute en or” de J-M Messier, une indemnité égale à un peu plus de 1.867 années au Smic en remerciement d’avoir si mal géré Vivendi, et les millions qu’il a réalisés, juste à temps, par hasard, avec ses stock options, ont fait mauvais effet. Des stock-options, pourtant, on ne parlait plus. Et tout en affirmant à grand fracas que la modération salariale (pour les autres) est imposée par la compétition et qu’elle est le gage incontournable de la croissance, les grands patrons français ne se sont pas privés d’en user et même d’en abuser. Au point que, de ce côté-ci de l’Atlantique, c’est la France qui est maintenant championne des stock-options, elle devance largement, en la matière, la Grande-Bretagne pourtant réputée pour son libéralisme.
Mais voilà que les États-Unis viennent de découvrir, avec le scandale d’Enron [2], les abus auxquels ce procédé peut mener : les dirigeants d’entreprises, soumis à la dictature du marché boursier, craignent de se voir vite remerciés si la cote de leur entreprise venait à baisser et ils cherchent, par tous les moyens, y compris la fraude, à en gonfler la valeur boursière. Présentés naguère comme favorisant le “dynamisme entrepreneurial”, les stock-options sont devenus, Outre-Atlantique, un “révélateur de cupidité” et la commisssion de contrôle de Wall Street a durci les règles de transparence. En France, Le Journal des finances a révélé qu’en un an la rémunération des patrons des entreprises cotées au CAC 40 était passée en moyenne de 1,8 à 2,07 millions d’euros, alors que leurs entreprises avaient subi de grosses pertes. Du coup, des députés ont entrepris de s’informer sur le droit des sociétés.
« Bourse : le thermomètre de l’industrie, mais si mal placé qu’il l’empêche de marcher. »
Auguste Detoeuf.
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Mais quel culot, s’indigne le Président du Medef, qui venait d’encourager les réformes de Raffarin, tout en ajoutant qu’elles n’allaient encore pas assez vite à son gré. Ernest-Antoine Seillière, qui a touché l’an dernier 1,37 millions d’euros pour être le PDG de Wendel Investissement, estime qu’il n’appartient pas au pouvoir politique de statuer sur la rémunération… des patrons. (Il a donc raison de dire que les Français sont hostiles à la modernisation !) Craignant que dans la situation actuelle, les “rémunérations scandaleuses” découvertes risquent d’exacerber les tensions sociales, un député UMP, Pascal Clément, a conseillé au patronat « Si vous ne voulez pas de législation, il faut mettre de l’ordre » et le Président de la Commission des finances de l’Assemblée a conclu : « La situation est perçue comme moralement innacceptable. On nous promet une rentrée sociale agitée, on est obligé de faire quelque chose. »
En attendant, d’autres réformes, tous azimuts, vont bon train. Parmi elles, la diminution du taux de rémunération des livrets A risque d’être mal reçue par leurs 46 millions de titulaires à revenus en général modestes.
Mais c’est la dernière fois, une autre réforme abandonne aux marchés le soin d’en décider, c’est un nouvel abandon politique qui la fera passer sans avoir à en rendre compte.
Ces dernières séances parlementaires d’avant la trève d’été sont très chargées. Même si les élus ne sont qu’une dizaine dans l’hémicycle, c’est le bon moment, car leurs électeurs sont en vacances. Ils estiment qu’ils ont bien gagné ce droit de se “vider” : les conditions de travail sont généralement devenues terriblement stressantes, il faut être efficace à 100% de son temps d’activité (et même plus !) parce que la compétition est telle que la plus légère défaillance peut servir de prétexte à vous retirer un poste que tant d’autres seraient heureux d’occuper. Échapper quelque temps à une pression si épuisante est nécessaire pour être en mesure de la supporter, à nouveau, après la rentrée. Ils auront alors tout le temps pour découvrir, petit à petit, les conséquences des réformes mises en route.
Mais qu’ils se rassurent, le gouvernement prend toutes sortes de précautions en préparant sa “réforme” de la santé, afin d’éviter qu’il y ait des manifestations massives comme celles qui tentèrent de discuter celle des retraites. Nous aurons donc le temps d’en reparler.
[1] “Tous intermittents”, par J-P Mon, dans GR 962 (janvier 1997) ; “Impertinences d’intermittents” par G.Monnet et R.Poquet, dans GR 987 (avril 1999) ; “Les sublimes” par R.Poquet dans GR 1031 (avril 2003).
[2] Voir “Un cas d’école”, par J-P Mon, dans GR 1018 (février 2002).