Au fil des jours

Chronique
par  J.-P. MON
Publication : mars 2015
Mise en ligne : 28 mai 2015

 Le capitalisme inversé

Selon certains, notamment les hippies de la Silicon Valley, le partage “gratuit” d’informations sur Internet jetterait les bases d’un nouvel ordre social, d’une nouvelle forme de socialisme planétaire. Il n’en est rien, nous prévient Pierre Desjardins [1] : « Ce que nous offre Internet n’est en fait qu’une forme sophistiquée de capitalisme avancé, un renforcement du capitalisme par l’inversion en douceur de ses normes traditionnelles. Dans cette inversion nous sommes transformés en simples produits que se vendent et se partagent les entreprises. Celles-ci nous consomment en nous achetant auprès des gros serveurs d’Internet de la même façon qu’autrefois nous consommions leurs produits » [2]. Nous sommes en effet devenus pour Internet à la fois l’offre et la demande de feu la théorie d’Adam Smith : chaque fois que nous allons chercher gratuitement de l’information sur la toile, nous fournissons aux serveurs une grande quantité de renseignements sur nous-mêmes, que des algorithmes transforment aussitôt en portraits-robots qui sont modélisés par les serveurs afin d’être vendus aux entreprises. La plus-value n’est désormais que le nombre d’acheteurs potentiels de biens et de services qu’un serveur peut vendre aux entreprises. Et pour augmenter cette plus-value, le serveur nous fournit tout simplement toujours plus d’informations gratuites. Demain, pour répondre aux demandes des entreprises de production, c’est bien plus qu’une clientèle ciblée que vendront les serveurs, c’est aussi de l’intelligence artificielle. (Google, qui possède déjà 90% du marché des moteurs de recherche, investit 10 milliards de dollars par an dans l’intelligence artificielle). Et nous, déjà transformés en simple produits de vente, qu’allons nous devenir ? Pas très optimiste, P. Desjardins enfonce le clou : « Le gros du travail sera de moins en moins le fruit d’êtres humains, comme c’était le cas dans le capitalisme traditionnel, mais bien celui de l’intelligence artificielle. Cela veut donc dire que c’est non seulement notre rôle de consommateur qui nous échappera, mais bientôt également celui de travailleur » [2]. Déplorant qu’un petit nombre d’individus s’approprient le savoir de l’humanité, alors que nous devrions tous profiter des prouesses de l’intelligence artificielle, il nous appelle à démocratiser d’urgence toute la sphère économique pour faire barrage « au capitalisme inversé qui prend malheureusement aujourd’hui la forme d’un lourd nuage noir qui se forme au dessus de nos têtes » [2].

 Podemos, exception ou nouveau modèle ?

« La théorie d’un mouvement doit venir du mouvement lui-même », disait le philosophe marxiste Henri Lefebvre en prenant l’exemple de la Commune de Paris en 1871. C’est ce que l’on constate dans les grandes mobilisations de foules qui se développent dans le monde depuis 2011, à la suite des “Printemps arabes” : les “Indignés“ en Europe, les mouvements ”Occupy” aux États-Unis, “Occupy Central with Love and Peace” à Hong Kong,… Ils naissent dans des contextes socio-politiques différents et des aspirations différentes. L’absence de chef est une de leurs caractéristiques. Et « ils ont en commun un fonctionnement politique horizontal qui exige une forme d’exemplarité de la part des individus […] le seul slogan qui revient, c’est celui de démocratie. Sous ce terme, les gens mettent des milliards de choses différentes. Mais ce que partout il exprime, c’est une demande d’égalité et de respect de la dignité des personnes » [3]. Pour tous ces mouvements, la question est de savoir s’ils peuvent vraiment renoncer à toute organisation hiérarchique. Pas de solution préconçue jusqu’ici. Ce qu’on constate cependant, c‘est qu’une fois les occupations terminées, leurs auteurs font durer le mouvement en s’implantant localement dans les quartiers, en y déployant de nombreux collectifs (aides juridiques aux personnes menacées d’expulsion, partenariats pour freiner le chômage, occupation d’écoles pour empêcher leur fermeture, …). Et, à la longue, un sentiment d’usure finit par s’instaurer.

Mais un autre scénario se développe  : c’est celui qu’a choisi Podemos, « le parti qui fait peur à Bruxelles » [4] . C’est « l’héritier » du mouvement des “Indignés” espagnols, qui, à l’initiative de quelques universitaires madrilènes, a décidé de se lancer à la conquête du pouvoir. Constitué il y a à peine un an, il a créé la surprise dès mai 2014 en obtenant 1,2 million de voix et cinq députés aux élections européennes. Depuis lors, il a connu un succès fulgurant dans tous les sondages où avec près de 30% d’opinions favorables il dépasse le Parti socialiste et le Parti populaire actuellement au pouvoir.

Le 31 janvier dernier, Podemos a réuni à la Puerta del Sol, à Madrid, une foule immense, plusieurs dizaines de milliers de personnes venues manifester contre l’austérité.

Par sa structure, Podemos n’est pas un parti comme les autres  : l’idée d’un secrétariat unique qui désigne lui-même son équipe l’a largement emporté sur un projet plus horizontal.

Pour le sociologue Albert Ogien, qui ne croit plus au retour du vieux modèle avec son chef charismatique et ses décisions prises au sommet, « On assiste au déploiement d’un parti d’un nouveau type dont la structuration interne interdit la captation du pouvoir par le leader. Du coup, le chef est en position de porte-parole. C’est un modèle qui se cherche, où l’organisation serait sous le contrôle de ses adhérents » [3].

Quoi qu’il en soit, Viva Podemos !


[1Professeur de philosophie à l’Université Laval de Québec.

[2Le Monde, Eco & Entreprise, 21/02/2015.

[3A. Ogien et Sandra Laugier, Le principe démocratie. Enquête sur les nouvelles formes du politique, éd. La Découverte, 2014.

[4Selon les termes du correspondant de France 2 à Bruxelles.


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