Au fil des jours
par
Publication : septembre 2017
Mise en ligne : 20 décembre 2017
Aux États-Unis, rien de nouveau…
Le titre du film documentaire qui vient de remporter le prix Fripresci à la Mostra de Venise 2017 est Ex libris : the New York Public Library, ce qui désigne un haut lieu de la diffusion culturelle aux États-Unis. Son auteur, Frederick Wiseman, qui vit en France, a tourné son film avant l’élection à la Présidence de D. Trump. Cette élection ne l’a pas étonné. Pour lui, en effet, cette élection est le résultat de ce que sont devenus les États-Unis et de l’idéologie technocratique qui y prévaut, qui élimine tout ce qui n’est pas profitable et qui maintient délibérément le peuple dans l’ignorance. « Trump, dit-il, symbolise l’immense faillite de notre système éducatif ». Wiseman rappelle que dans les années 1920, le journaliste Henry Louis Mencken disait déjà : « Il est impossible de sous-estimer la stupidité du public américain ». L’élection de Trump n’est que la preuve de l’efficacité redoutable de cette idéologie qui conduit le peuple américain à voter contre ses propres intérêts. Pour Wiseman, l’idéologie réactionnaire, le nationalisme borné, le fascisme américain des années 1930 étaient déjà formidablement décrits par Nathanael West et Sinclair Lewis et donc « rien de ce qui se produit aujourd’hui aux États-Unis n’est nouveau… En Amérique, la possibilité du fascisme est toujours présente… Le racisme et l’antisémitisme font partie de ce pays. ».
Les superprofits sont de retour
En six mois, les profits des principaux groupes côtés à la Bourse de Paris ont atteint 51,6 milliards d’euros, soit 25% de plus qu’il y un an. Les spécialistes estiment que sur l’ensemble de 2017 le bénéfice global du CAC 40 pourrait s’établir entre 90 et 100 milliards d’euros, c’est-à-dire le niveau d’avant la crise. Mais ces résultats ne sont rien à côté de ceux des groupes américains qui ont effacé “la crise” depuis longtemps et gagnent toujours plus d’argent. Le bénéfice par action qu’elles affichent est supérieur de 40% à ce qu’il était il y a dix ans… Et dire que Macron cherche de l’argent partout !
Les scandales réveillés cet été
Les vacances d’été, avec le ralentissement de la vie politique, constituent souvent pour la grande presse, et les média en général, une excellente occasion pour revenir sur des affaires ou des scandales « oubliés ». Malgré le bouillonnement créé par l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, l’été 2017 n’a pas fait exception à la règle. J’en ai choisi quelques uns (sans ordre) : l’amiante, l’obsolescence programmée, le trucage des moteurs diesel,…
Le scandale de l’amiante
C’est une vieille histoire. En 1996, d’anciens salariés de la société Eternit (groupe industriel international ayant fabriqué pendant des décennies des produits à base d’amiante) déposent une plainte pour homicides et blessures involontaires, plainte à laquelle s’associe l’Andeva [1].
Bien que l’utilisation de l’amiante ait été interdite en France depuis 1997 (grâce notamment à la médiatisation entreprise dans les années 1990 par les personnels de l’Université de Jussieu), elle y provoque encore 2.200 nouveaux cas de cancer et 1.700 décès par an.
Pour combien de temps encore ?
La toxicité de l’amiante ne faisant plus de doute et les victimes étant de plus en plus nombreuses, de nouvelles actions en justice sont introduites contre d’autres sociétés, notamment la Normed, Everite, la direction des chantiers navals, … soit au total une vingtaine d’enquêtes interminables accompagnées de diverses procédures juridiques.
Il ressort des rapports des trois experts commis en 2016 par les magistrats instructeurs pour éclairer les risques d’apparition de maladies liées à l’amiante, que « la détermination du début de l’exposition à l’amiante peut être plus ou moins précise », que la période durant laquelle la maladie est présente sans s’accompagner de symptômes « est entachée d’une importante imprécision » et que la maladie est « variable non seulement d’une affection à l’autre mais aussi d’un individu à un autre ». Il est donc « impossible d’en déduire avec précision le moment de l’exposition asbestosique » (9 juin 2017). Le parquet en conclut « qu’il n’est pas possible d’établir a posteriori la date effective de la commission de la faute ayant entrainé une exposition contaminante, puis une intoxication, ce qui ne permet pas de l’imputer avec certitude à une personne physique ».
Pour l’Andeva, ces réquisitions du Parquet et des juges d’instruction rendront très difficiles les poursuites pour homicides ou blessures involontaires contre les entreprises dont les personnels ont été exposés à des produits cancérogènes.
On ne peut que partager la colère du chroniqueur Benoit Hopquin qui, scandalisé, l’exprime en ces termes : « le Parquet de Paris propose d’abandonner les poursuites dans la plupart des dossiers ouverts depuis 1996 et les juges semblent également incliner au non-lieu faute de pouvoir dire quand, précisément quand, des victimes ont inhalé ce poison lent pendant des décennies[…]
Elles n’auront donc servi à rien ces vingt années de procédure et ces montagnes de documents saisis lors de perquisitions à grand spectacle. N’y aura-t-il jamais de procès de l’amiante ? Pas une once de responsabilité, pas une leçon, pas un jugement à tirer ? Il est pourtant chimiquement pur, ce scandale. Avec ces industriels semant à tous vents cette “fibre miraculeuse”, cet “or blanc“ qui les a enrichis en tuant hier, aujourd’hui et encore pour longtemps. Avec ces scientifiques couvrant ce forfait de leur rassurante aura, ajoutant l’intoxication intellectuelle à l’intoxication physique. Avec ces pouvoirs publics détournant lâchement la tête sur une dangerosité documentée depuis un siècle et confiant la gestion du péril à ceux qui en tiraient profit. Avec ces syndicats aussi, niant longtemps la pollution au nom de l’emploi… » [2].
Le scandale est international : en 2013, par exemple, un juge de la Cour Suprême italienne a annulé la condamnation d’Eternit et du propriétaire de l’usine qui avait empoisonné une petite ville piémontaise. La prescription a été invoquée au nom du droit… et du temps !
Faudra-t-il floquer à l’amiante les tribunaux et les bureaux des juges pour que ça change ?
L’obsolescence programmée
C’est une stratégie visant à réduire la durée de vie d’un produit pour augmenter son taux de remplacement et provoquer ainsi, prématurément, un nouvel achat. Les exemples n’en manquent pas. Rappelons, pour la petite histoire, que c’est dans les années 1920 qu’un groupe international de fabricants d’ampoules à filament, issu du cartel Phœbus, a limité d’un commun accord, à 1.000 heures la durée de vie des ampoules à incandescence qui jusqu’alors atteignait 2.300 heures… Des amendes étaient même prévues si les ampoules duraient plus de 1.000 heures ! Le comité dit “des 1.000 heures”, issu de ce cartel Phœbus, constitue la première initiative industrielle connue d’obsolescence programmée.
Ce n’était qu’un début.
Les mesures prises par le Comité des 1.000 heures n’ont pas tardé à inspirer d’autres fabricants d’appareils de grande consommation, tels par exemple, que les appareils électroménagers.
En 1932, l’américain Bernard London considérait qu’une obsolescence « légalement obligatoire » pouvait constituer un moyen d’aider au règlement de la crise économique de l’époque !
Néanmoins, bien que théorisée et pensée par de nombreux experts, l’obsolescence programmée ne s’est réellement développée dans la société américaine qu’à partir des années 50. Pour le “designer” industriel américain Brooks Stevens, qui a introduit en 1954 la notion de mode pour les objets du quotidien, l’obsolescence programmée « c’est inculquer à l’acheteur le désir de posséder quelque chose d’un peu plus récent, un peu meilleur et un peu plus tôt que ce qui est nécessaire ».
Aujourd’hui, ce sont les géants de la “high-tech” (Apple, Samsung, Microsoft, …) qui sont devenus les champions cette obsolescence. L’organisation internationale Greenpeace a publié, le 27 juin dernier, son premier classement des appareils électriques de grande consommation (smartphones, tablettes, ordinateurs portables…) en fonction de leur capacité à ne pouvoir être réparés, ce qui revient à dire de leur obsolescence. Elle a passé au crible 44 produits parmi les plus vendus entre 2015 et 2017. Combinant plusieurs critères (facilité de remplacement de la batterie ou de l’écran, disponibilité des pièces de rechange, manuels de réparation, possibilités de les réparer sans outils spécifiques pour les remettre en état de marche). Ce classement est désastreux pour les smartphones et les tablettes Samsung et Microsoft. Apple obtient la note 1/10 pour les ordinateurs portables qu’elle a mis sur le marché cette année. Pour Gary Cook, spécialiste de la high-tech chez Greenpeace « Apple, Samsung et Microsoft conçoivent leurs produits avec la volonté de les rendre de plus en plus difficiles à réparer par les utilisateurs. Et pour cela, ils raccourcissent la durée de vie de ces appareils et contribuent ainsi à l‘augmentation du stock de déchets électroniques ». Selon un rapport de l’Université des Nations Unies, le poids de ces déchets électroniques était en 2014 de l’ordre de 41,8 millions de tonnes (dont 3 millions pour les seuls appareils high-tech) et devrait atteindre 47,8 millions en 2017. C’est ainsi, qu’outre le renchérissement de leurs produits, les géants de la high-tech contribuent à la dégradation de l’environnement par leurs déchets, par le gaspillage de ressources naturelles rares et de fortes dépenses d’énergie.
Quelques lueurs d’espoir ?
• Greenpeace a appelé le secteur des high-tech à concevoir des produits réparables et qui durent au moins sept ans.
• Au début de l’année, huit États américains ont déposé des projets de loi pour instituer un « droit à la réparation ».
• Le 4 juillet dernier, le Parlement européen a adopté une résolution pour que la durée de vie des produits soit plus longue, au bénéfice à la fois des consommateurs et des entreprises [3]. Elle recommande notamment de concevoir des produits robustes, durables et de qualité, d’assurer une meilleure information du consommateur et de renforcer le droit à la garantie légale de conformité.
• En France la loi sur la transition énergétique de juillet 2015 a introduit le “délit d’obsolescence programmée”, qui devrait être sanctionné par deux ans de prison et 300.000 euros d’amende.
Les dangers du diesel
Selon l’Agence européenne de l’environnement, les transports constituent la principale source de pollution de l’air, responsable de 425.000 décès prématurés dans l’UE, la Norvège et la Suisse.
Plus de 90 % de ces décès sont dus à des maladies cardio-respiratoires liées à l’exposition aux particules fines. Les oxydes d’azote (NOx) sont les facteurs clefs de la formation de ce polluant nocif.
En France, comme dans les autres pays européens, on nous a longtemps vanté ad nauseam les avantages du diesel (plus faible consommation, prix moins élevé que l’essence,…). Et puis, peu à peu, avec des hauts et des bas, sa dangerosité a été mise en évidence.
Les constructeurs automobiles ont évidemment réagi. Mais pas du tout en cherchant à limiter les dangers ! Ils ont préféré truquer les systèmes de contrôle de la pollution créée par leurs véhicules. Les premiers truands furent les constructeurs allemands, et ils ont été vite imités par les constructeurs français. Mais trop, c’est trop car la fraude est aveuglante. Les constructeurs ont dù reconnaître leurs méfaits et ils ont de lourdes amendes à payer.
Mais le mal est fait.
Une étude récente de l’Institut International pour l’Analyse des Systèmes Appliqués (IIASA), diffusée par Mobile Reporter en collaboration avec avec The European Data Journalism Network4, montre qu’environ 10.000 personnes en Europe meurent prématurément chaque année en raison de la pollution aux NOx qui est causée par les voitures à moteur diesel. La moitié de ces décès est due à des émissions dépassant les limites européennes et sont la conséquence directe des évaluations truquées sur l’impact environnemental des voitures. Celles-ci ont attiré l’attention de l’opinion publique en 2015, au moment du scandale Volkswagen.
Le “dieselgate” s’en est suivi.
Une étude collaborative, couvrant les 28 États membres de l’UE, la Norvège et la Suisse entre 2010 et 2017, a été menée par l’Institut norvégien de météorologie (MetNorway), en coopération avec l’IIASA en Autriche et le Département de l’espace, de la Terre et de l’environnement de l’Ecole polytechnique Chalmers en Suède.
Cette étude est la première de son genre a quantifier avec précision les décès prématurés dans chaque pays européen, en comparant les différents niveaux de danger qui menacent les citoyens selon l’État dans lequel ils se trouvent.
Dans le classement européen du nombre de décès, la France se trouve au quatrième rang après l’Allemagne et l’Italie et l’Autriche. 70% des victimes sont originaires de ces quatre pays, en raison du nombre important d’automobiles diesel qu’on y dénombre et de leur démographie importante : 50 % des Européens y habitent.
Les Pays-Bas, la Pologne, l’Espagne, la Belgique, la Suisse et la Hongrie sont dans le top 10 des pays européens touchés. Les 20 pays restant représentent 23 % de la population européenne mais à peine 10 % des décès prématurés. En Norvège, en Finlande et à Chypre, les risques sont au plus 14 fois inférieurs à la moyenne européenne.
Comme le déclare l’expert des transports de l’IIASA, Boken-Klefeld, « si les voitures diesel avaient respecté les normes européennes en matière d’émissions, environ 5.000 décès prématurés auraient été évités et 7.500 vies auraient été épargnées (soit 80% de l’ensemble) si les moteurs diesel émettaient autant d’oxydes d’azote que les moteurs à essence ». Les limites établies par l’Union Européenne sont en effet bien plus strictes pour les voitures à essence que pour celles au diesel.
Le dépassement des plafonds résulte de failles dans le système de surveillance environnemental européen. Les producteurs automobiles doivent maintenant prouver aux agences nationales de contrôle que leurs véhicules respectent les limites contraignantes, appelées normes “Euro”. Heureusement, au fil du temps, l’UE les a rendues plus sévères (celles de la norme “Euro 6” étant les plus drastiques) pour que les moyens de transports sur route deviennent progressivement propres. Cependant jusqu’ici, ce mécanisme de certification reposait sur des tests de laboratoire obsolètes. L’affaire Volkswagen a quand même fini par contraindre les gouvernements et le secteur automobile à admettre la vérité : les émissions en conditions réelles sont bien plus élevées que les valeurs de laboratoire, certaines dépassant de 400 % les limites “Euro”.
Suite à l’indignation publique provoquée par le scandale, l’UE a accéléré la mise en place de tests sur route, visant à assurer des mesures plus réalistes des émissions automobiles. La nouvelle procédure obligatoire vient d’entrer en vigueur pour les nouveaux modèles. Mais elle ne s’appliquera à tous les véhicules que… dans deux ans.
Le responsable de l’étude de l’IIASA conclut : « Nous avons pu faire une estimation approximative du nombre de décès prématurés entre 2010 et 2017 et en sommes arrivés à une fourchette comprise entre 6.000 et 13.000 personnes … Nous nous sommes intentionnellement concentrés sur les décès liés aux NOx. Si nous devions tenir compte de tous les polluants, nous serions arrivés à un chiffre bien plus important » [4].
[1] Association nationale de défense des victimes de l’amiante.
[2] Le Monde, 04/07/2017.
[3] http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&reference=P8-TA-2017-0287&language=FR&ring=A8-2017-0214
[4] Une étude précédente réalisée avec le Conseil international pour le transport propre (ICCT) et publiée sur la revue Nature, a estimé que 6.800 Européens sont décédés prématurément en 2015 en conséquence de l’émission de NOx au-delà des limites européennes.