Avis de tempête


par  G.-H. BRISSÉ
Mise en ligne : 12 octobre 2006

Voici venu le temps des bateleurs de la grande foire politicienne. Ils surgissent par dizaine comme des pantins qui se sentent soudain une vocation de suprême magistrat d’une France qui s’est déjà dissoute dans une Europe élargie. À les entendre, ce sont eux seuls qui peuvent sauver le pays !

—Il faut croire, me chuchote à l’oreille un citoyen rencontré par hasard dans la rue, que la place est bonne : ils en veulent tous !

Or cette campagne électorale n’a pas encore officiellement démarré. C’est un peu comme si des coureurs se mettaient en position à quelques kilomètres avant la ligne de départ ! Ils vont partir déjà fort essoufflés ! Les sondages, photographies de l’instant, reflètent bien ce décalage entre les résultats et les pronostics quelques mois ou semaines à l’avance.

Les grandes manifestations à coups de banderoles colorées, les beugleries en forme de promesses de n’importe quoi relèvent du spectacle et rien de plus. La parade s’est américanisée, elle a dépassé l’aire des préaux d’écoles. Les “blogs” par millions succèdent aux tribunes des journaux, des bras se lèvent comme naguère dans le forum de Nuremberg, des mains s’agitent, des corps se lèvent puis s’abaissent à la mesure des discours enflammés, quelques-uns sourire aux lèvres prennent un bain de foule. Et l’on nomme cela “démocratie” ? Demain tout sera oublié et l’on passera à autre chose... On est loin de l’attitude qui invite au recul face à l’événement, à la réflexion, à la compréhension qui suit l’appréhension globale des faits. Tous comportements suscités par ce “désir d’avenir” auquel nous invite une femme candidate : cette démocratie-là est celle de l’instant, des petits ajustements démagogiques qu’on ose présenter comme des réformes profondes. Bâtir l’avenir pour assurer le bien-être de tous les citoyens sans exclusives exige une toute autre attitude.

 Un contenu précis

Le recours au référendum populaire pour élire le président de la République au suffrage universel a été taillé à la mesure de l’Homme du 18 Juin, héraut de la libération de la France et de la sauvegarde des libertés contre la camarilla d’Alger. Mais tous les prétendants n’ont pas son envergure historique et le contexte a profondément changé. Depuis lors, nous avons bâti l’Europe même si cet édifice ressemble plus à l’héritage des de Wendel qu’à une construction citoyenne.

Nous avons déjà montré que la candidature à la magistrature suprême dépasse de fort loin l’énergie et les capacités d’une seule personne. Quelles que soient sa disponibilité, ses connaissances, son expérience, son ambition, un homme (ou une femme) seul(e) est tributaire à tout moment d’un accident quelconque.

Pour être crédible, un projet politique doit être l’œuvre d’une équipe suffisamment homogène, et ses grandes lignes doivent être énoncées à l’avance afin d’être connu et reconnu comme tel. Enfin il faut pouvoir appréhender le rôle de chacun dans son application.

La mission du suprême magistrat dont le rôle fondamental est d’arbitrer avant de décider ne saurait être efficace que si elle s’appuie sur deux vice-présidents dont les activités sont orientées, l’un vers la politique extérieure, l’autre sur les relations avec les corps constitués, le poste de Premier ministre tel que nous le connaissons étant supprimé.

Le slogan “un idéal, un programme, une équipe” doit guider toute candidature. Il convient de développer les grands axes d’une “méta politique” pour notre temps et donner un corps de réflexion à ce “désir d’avenir” qu’évoque une candidate. Un programme s’avère indispensable pour définir les grandes orientations d’une action politique sur cinq ans et même au-delà ! Enfin les électeurs doivent savoir quelle équipe sera chargée de mettre en œuvre ces grandes orientations .

C’est pourquoi la démocratie participative est aussi importante que la démocratie représentative. Il est urgent de délimiter la mise en place de nouvelles structures et des modalités de représentation.

Dans le domaine économique, il devient urgent de mettre un frein à l’évasion des capitaux disponibles vers la spéculation stérile au profit d’une caste minoritaire. Une réforme monétaire en profondeur s’impose. Il faut avoir le courage de le dire et de le faire !

 Un constat : la baisse du niveau de vie

Depuis la grande révolution de 1789, jamais l’écart ne s’est révélé si grand entre les aspirations profondes du plus grand nombre et cette sphère que le bouillonnant observateur Jean François Kahn a désignée tout récemment sous le vocable de “bullocratie”. Il désigne par là une caste de technocrates-ploutocrates qui vit et s’agite dans un univers qui n’appartient qu’à eux, qui réagissent selon les schémas d’une pensée unique et se partagent de juteux profits pendant qu’une masse de plus en plus étendue de citoyens constate que son niveau de vie décroît, que ses conditions de vie se détériorent. Et là haut, tout en haut, dans ces milieux que l’on nomme encore par dérision “l’État”, de bons esprits, tous formatés dans le même moule, continuent à proclamer que tout va bien, que les prix sont stables, que le chômage diminue, que la crise du logement est résolue, que les conditions d’existence des citoyens s’améliorent, etc.

Or, il suffit d’interroger le commun des mortels, qu’il appartienne aux milieux les plus modestes comme aux classes dites moyennes : il vous dira que depuis l’introduction de l’euro les prix des produits de base n’ont cessé de grimper, qu’il doit faire face à l’augmentation continue des prélèvements obligatoires, des impôts aux loyers en passant par les tarifs de l’eau, du gaz, de l’électricité, sans pour autant qu’une péréquation soit observée avec les salaires et les retraites. Voilà une réalité qui échappe totalement à nos “experts” en tous genres, qui se retranchent derrière des statistiques nationales ou transnationales qui ne reflètent pas, comme l’on dit, les réalités du terrain.

Lorsqu’on observe attentivement les statistiques du chômage, on s’aperçoit qu’elles coïncident avec une certaine évolution démographique qui tend à accroître la proportion des personnes âgées par rapport aux classes d’âge plus jeunes, en situation de travail. En outre les bataillons de RMlstes et de travailleurs pauvres enflent dangereusement. Enfin la proportion des offres d’emplois n’augmente pas mais on observe une croissance des “petits boulots” et des emplois temporaires ou à temps partiel.

Le pouvoir d’achat des salariés et petits retraités s’érode dangereusement : répondre aux revendications justifiées des “petits” et des “sans grade” est un impératif qui s’inscrit dans l’urgence, faute de quoi elles s’exprimeront dans la rue ! Il faut améliorer le cadre de vie et le logement social, dépénaliser le travail, modifier en profondeur l’assiette fiscale, rendue obsolète par l’évolution de la société où nous vivons. Compenser la précarité et l’incertitude du lendemain par le socle sûr d’un revenu social garanti et des perspectives d’évolution personnelle dans un milieu social harmonisé en redonnant un sens à notre existence : tels sont les enjeux fondamentaux auxquels une équipe de gouvernement renouvelée devra faire face. Sur ces bases seront résolus les problèmes de sécurité et d’immigration clandestine, pour peu qu’on leur accorde l’attention qu’ils méritent, par une redéfinition de l’anti-violence active, de la place que l’on souhaite allouer aux communautés étrangères en évitant les slogans incantatoires ou démagogiques, les solutions de force qui n’aboutissent à aucun règlement concret.

 La grande braderie des services publics

Je réside dans une ville que l’on peut qualifier de moyenne, à moins de deux cents kilomètres de la capitale, accessible en deux heures, bientôt moins grâce au TGV. J’y suis né et j’y ai retrouvé, comme l’on dit communément, mes racines, à l’issue de plusieurs années de missions à l’étranger.

Cette cité a profondément changé. La plupart des commerces dits de proximité en centre-ville ont fermé leurs portes et ont dû céder la place à des établissements bancaires, à des sociétés de travail intérimaire ou à des agences de compagnies d’assurances. Les consommateurs vont donc faire leurs achats dans des hyper-marchés implantés en périphérie.

Ce phénomène ne fait que s’accentuer. Récemment, nous avons appris par le grand quotidien régional L’Union que l’agence de FranceTélécom allait fermer ses portes. Il faut pourtant y faire la queue quelle que soit l’heure. Cette annonce a suscité spontanément plus de six cent signatures de protestations. Mais rien n’y fait. Un numéro de téléphone à quatre chiffres fera désormais fonction de service rendu aux usagers. L’afflux des clients - y compris protestataires - montre bien qu’il ne s’agit pas là d’un manque d’usagers mais bien d’une restructuration globale de l’entreprise. La maintenance du matériel, le service aux clients, on s’en fout en haut lieu du moment que l’actionnaire encaisse des profits...

Je ne m’étendrai pas sur le sort de FranceTélecom, hier entreprise prospère lorsqu’elle était au service de l’État qui l’utilisait comme “vache à lait” pour y puiser les deniers dont il avait besoin par ailleurs. Elle est aujourd’hui réduite à affronter la concurrence avec une vingtaine d’opérateurs dont tous les usagers se plaignent. Merci, l’Europe de Maastricht !

J’imagine dans les mois, les années qui viennent, l’évolution de la situation : le bureau de la Poste centrale, où l’on est toujours invité à se ranger sagement dans de longues files d’attente, sera placé sous l’enseigne exclusive de La Banque Postale. Métamorphose semblable pour la Caisse d’épargne toute proche, qui devra disparaître au profit du consortium bancaire Natexis, produit da la fusion récente des Caisses d’épargne avec la Banque Populaire. Un peu plus loin le Trésor Public, qui s’est vu retirer le droit d’exercer une activité bancaire au profit des particuliers, va disparaître aussi.

De l’autre coté de la ville, GDF-EDF, qui furent contraints de divorcer, font désormais bande à part et adressent leurs factures séparément à leurs usagers qui bien évidemment n’y retrouvent pas leur compte ! Bientôt, si l’on en croit les intentions de ce gouvernement, l’enseigne de GDF sera supplantée par celle de Suez. Quant à la Générale des Eaux, elle a fait place à la société Veolia, qui en a profité pour tripler les tarifs de l’eau ! Tout le secteur de l’énergie bascule dans le privé, contrairement aux promesses faites en 2004 par le candidat auto-proclamé de la droite. Pourquoi ne pas réserver le même sort à Areva, qui gére les activités ultra-stratégiques des centrales nucléaires ?

Je me surprends à rêver, pour toutes les entreprises publiques de distribution de l’énergie, un statut de régies coopératives : dans leurs conseils d’administration seraient délégués les représentants des collectivités publiques et territoriales, des salariés et puis en amont, des fournisseurs et en aval, des clients.

Il ne faut pas confondre nationalisation et étatisation comme en 1981-83 : ce dispositif n’exclut pas une certaine autonomie de gestion tout en laissant les entreprises dans le giron de la collectivité publique. On tombe aujourd’hui dans l’excès inverse. Gageons que, comme dans les pays anglo-saxons, la privatisation à outrance aura pour effet les plus juteux profits et un service moindre… tant pis pour les usagers !

De cette évolution, les électeurs ont confusément conscience, et leur mécontentement grandit.

Dans l’Olympe de la bullocratie, on ne voit rien, on n’entend rien.

Mais le temps se gâte et l’orage gronde. Il suffirait d’un éclair pour mettre le feu à la plaine.


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