Emploi, retraite et loisir


par  H. MULLER
Publication : juin 2004
Mise en ligne : 6 novembre 2006

Il y a, bien sûr, quelqu’outrecuidance à vanter, en cette ère de chômage, tragique à tant de foyers, les bienfaits du loisir. Celui-ci ouvre en effet le champ d’activités libres, d’occupations dégagées de toute contrainte. Il peut devenir source d’enrichissement en connaissances de toutes sortes, permettre d’extérioriser une personnalité, des talents jusque là méconnus, perspectives refusées à tant de manuels peu qualifiés, de fonctionnaires subalternes, d’employés qui accomplissent sans aucun enthousiasme des tâches monotones, parfois stupides ou bien pénibles, sans initiative, ni responsabilité, ni intérêt.

Ces tâches, il faut néanmoins les assurer, du moins dans la mesure où elles sont nécessaires. Le travail n’est pas un but en soi, mais le moyen d’accéder au loisir, de l’approvisionner et d’en profiter.

Foin de cette morale du travail magnifié pour des motifs qui tiennent au souci, pour le capitalisme, de disposer d’une main d’œuvre docile, peu exigeante, appliquée à bien faire, intéressée juste ce qu’il faut. Et payée au minimum minimorum selon des barêmes ajustés avec des précautions d’apothicaire de façon à réserver la part du profit. Part destinée non seulement à assurer la vie des entreprises et leur développement, mais à pourvoir également aux besoins débridés de leurs dirigeants, de leurs administrateurs, de leurs banquiers.

Créer du loisir ? Les chômeurs en ont à revendre ! Réductions d’horaires, grèves, pré-retraites et indisponibilités temporaires à la suite d’accidents en fabriquent tout autant. Encore faut-il, pour l’apprécier, qu’il ne s’ensuive pas quelque perte de revenu. Et c’est là que le bât blesse, la règle du jeu n’ayant prévu ni la rémunération des activités libres individuelles, ni le travail au foyer. D’où la sempiternelle litanie des nécessaires sacrifices exigés de chacun s’il veut accroître son temps de loisir.

Retraites à 60 ans ? Semaine de 40 heures sans perte de revenus ? Hélas, tout cela se paie à travers le prix de toutes choses ; tout cela se concrétise par une aggravation des privations au niveau des ménages. On donne d’une main au salarié ce que lui prend de l’autre comme consommateur.

Croire ou laisser croire qu’il puisse en aller autrement relève de l’infantilisme économique ou de l’abus de confiance. On ne peut demander à nos structures de jouer les magiciens. Les milieux réformistes qui n’en ignorent rien sont tout au plus des politiques à la recherche d’un électorat ou des “permanents” à la recherche de cotisants.

Pour accorder au loisir la part à laquelle il devrait prétendre, puisque, dans nos sociétés industrialisées, tout existe pour l’approvisionner en suffisance, il faut aller bien au-delà, dépasser le réformisme qui ne fait que déplacer du vent. Il faut une révolution économique en matière d’usages monétaires, de système de prix, de formation des revenus.

Au fond, rien n’apparait plus absurde que d’avoir fait du plein emploi la condition sine qua non du plein revenu. Les entreprises achètent à leurs salariés des heures de travail et les revendent, incorporées dans le produit, avec profit. C’est la règle du jeu. Règle combien stupide dont on n’a pas fini de mesurer les conséquences.

Pourtant le chômage n’a pas réduit le niveau des approvisionnements sur le marché, pas plus d’ailleurs que la diminution drastique du nombre des agriculteurs n’a réduit l’importance des récoltes, bien au contraire. Alors pourquoi réduire leur revenu, rationner les moyens d’achat des chômeurs involontaires et ceux des retraités ? Pourquoi leur infliger pareille punition comme s’ils étaient coupables, responsables de leur condition ?

Eliminer les gaspillages, la concurrence, les produits peu durables, de médiocre qualité, récupérer la masse des parasites dont la fonction est de manipuler l’argent, de l’ôter aux uns et d’en prêter aux autres le temps de le dépenser à nouveau et sans rien produire qui soit utile, puis répartir entre tous le travail nécessaire pour couvrir un ensemble de besoins, enfin distribuer à chacun, en monnaie de consommation, un revenu adapté à la personne, lui permettant de consommer ce qui est produit à une cadence plus sage, telle est la solution de bon sens à laquelle il devient urgent de se rallier…

L’emploi pour l’emploi, pour le profit sans autre finalité, n’occasionne qu’un gaspillage de richesses. Faute d’avoir clairement saisi ce fait, le combat syndical, axé sur le plein emploi, se trompe de cible. Il tourne le dos à cette révolution économique de nature à répondre à tous les vœux, y compris ceux des laissés-pour-compte, des exclus du salariat.

L’utopie n’est pas de tabler sur une révolution économique pour changer la vie mais d’attendre de vieilles structures d’impossibles performances, une amélioration sensible et durable des genres de vie au niveau des victimes de la règle d’un jeu qui accumule les désastres.


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