Festival de la technologie et de l’industrie
par
Publication : décembre 1985
Mise en ligne : 16 mars 2009
CE festival (1) présente un grand intérêt
pour les lecteurs de La Grande Relève, car c’est l’occasion pour
eux de faire le point sur l’avancement en 1985 des industries et de
la technique. 385 exposants : entreprises, laboratoires, organismes
divers participent à une présentation qui se veut «
vivante et interactive » des derniers progrès des processus
de fabrication et des stratégies de vente. Un pavillon des innovations
dans l’élevage, situé avant l’entrée, présente
les plus récentes méthodes de la génétique
et de la sélection des races porcs chinois, brebis Romanov, veaux
jumeaux, etc... Mais l’essentiel de l’exposition est consacré
à l’industrie. Dès le péristyle on peut voir un
robot de recherche pétrolière sous-marine, une antenne
parabolique, le voilier First 29, la fusée Ariane et un bogie
de T.G.V. Le salon est ensuite organisé en trois parties :
- « Concevoir » avec, notamment, le menu du spationaute,
la conception assistée par ordinateur d’un pneu et d’un pont
de Venise, le thyristor Dual, etc...
- « Produire » avec le dialogue de la chouette et du robot,
la caméra à vision nocturne et l’échographie, la
fabrication automatique d’un interrupteur...
- « Vendre » avec l’écran magique des bus et du métro,
le satellite Spot, la banque à carte à mémoire,
le jeu de l’export...
Pour les jeunes, il y a le théâtre des métiers où
l’on peut voir une reproduction de l’automate de Vaucanson, le théâtre
de l’entreprise et le robot androïde RO-TIX, la maison de l’industrie
et celle de l’information où s’élabore sous les yeux du
visiteur, depuis la rédaction avec mise en page automatique sur
écran jusqu’à l’impression par offset, le journal interne
de l’exposition et où se trouve aussi le studio radio.
Sur l’agora le théâtre des robots montre cinq automates
industriels et un androïde animé d’Einstein ; il y aussi
le cinéma, la chaîne de télévision miniature
Canal FIT, des diaporamas, un mini Palais de la Découverte, un
musée de l’ancien et du moderne, des télécommunications
récentes et un bureau de poste.
Le programme est donc copieux et chacun pourra y trouver ce qui l’intéresse
et le passionne, participer aux jeux et concours ainsi qu’aux colloques
des journées professionnelles.
Il est clair que l’automatisation avance à grands pas dans tous
les domaines et que du secteur des matières premières
elle est passée au secteur secondaire de la production agricole
et industrielle. Elle bouleverse maintenant le tertiaire des biens et
des services, des banques et des bureaux.
Mais le visiteur constatera également combien restent pauvres
les progrès correspondants dans l’organisation économique
de la société. Presque la totalité de ces femmes
et de ces hommes fort compétents qui donnent le meilleur d’eux-mêmes
dans leur spécialité semblent paralysés et effrayés
par les conséquences sociales de ces innovations. Quelques-uns
les nient et, contre toute évidence, pensent que le capitalisme
peut s’en satisfaire ; d’autres cherchent à les freiner, aussi
bien chez les syndicalistes que chez les patrons ou les cadres, mais
ils sont bien vite débordés. Ainsi des responsables du
métro de Paris qui n’osent pas passer à l’automatisme
intégral de la conduite aussi rapidement qu’il serait possible
par crainte des réactions de la base. Mais le métro de
Lille fonctionne déjà sans conducteurs et d’autres s’en
approchent...
Tant que les suppressions de postes n’atteignaient pas les manoeuvres,
les ouvriers spécialisés se rassuraient. Après
ceux-ci, les chefs d’équipe, les contremaîtres, les dessinateurs,
les dactylographes, les guichetiers, les commerçants et toute
la hiérarchie sont passés, ou en train de le faire, par
les mêmes étapes. Comme à la guerre, tout va bien
tant que c’est le voisin qui se fait tuer... mais la menace gagne. Il
faudra bien voir les choses en face et se convaincre que l’homme est
de moins en moins irremplaçable au travail.
Autre position tranquillisante « Il faut des travailleurs pour
construire les robots ». Mais, outre que certains commencent à
se fabriquer eux-mêmes, pourquoi les responsables d’entreprises
s’équipent-ils d’automates si, au bout du compte, il n’y a pas
un gain, donc moins d’heures de travail pour davantage de production
?
L’illusion reste tenace ; d’après M. Bruno Dethomas, du «
Monde », c’est la crise qui provoque le chômage, non le
robot. Mais alors qu’est-ce que la crise ? Est-elle momentanée
ou permanente ? Et dans ce dernier cas qui me paraît le plus réaliste,
peut-on encore la qualifier de crise ?
D’après les prévisions de l’O.C.D.E. pour 1986, près
d’un jeune sur quatre sera au chômage en Europe. Face à
cette sombre perspective, l’organisation ne peut que recommander la
flexibilité des rémunérations et la mobilité
de la main-d’oeuvre, remèdes à la mode, mais comme elle
n’y croit pas trop elle-même, elle ajoute la création d’entreprises
par les chômeurs et le soutien aux grandes sociétés
qui encouragent leurs salariés à devenir chefs d’entreprises !!
Voici d’ailleurs que l’hydre atteint des secteurs dits « de pointe
» qui devaient tout sauver, comme l’informatique. Au dernier S.I.C.O.B.,
l’euphorie n’était plus de mise : « Ce n’est pas encore
la crise, comme dans la sidérurgie, en France, disait un constructeur
américain, mais cela ressemble déjà à la
crise de l’industrie automobile » (Le Monde du 18 septembre 1985).
Dans le même journal, le même jour, on pouvait relever que
le groupe Générale Biscuit qui contrôle LU, «
avait annoncé un plan de restructuration prévoyant la
fermeture de plusieurs’ unités et une suppression nette d’environ
cinq cents emplois ». LU allait quitter le centre de Nantes et
investir 400 millions de francs dans une nouvelle unité qui «
permettra de doubler la production avec seulement 75 % des effectifs
actuels. Une centaine de postes seront supprimés sur 2 ou 3 ans
».
Cet exemple, et d’autres, innombrables, montre bien que les gros investissements,
loin de créer des emplois, en suppriment de plus en plus massivement
(2) alors que certains petits placements en créent, à
doses homéopathiques.
Durant ce temps-là, MM. Fabius et Chirac recherchent la diminution
du nombre des chômeurs en commençant par la suppression
de 5 000 postes de fonctionnaires, pour le premier, et de 40 000 pour
le second. Il paraît que c’est M. Chirac qui a gagné, d’après
la presse de M. Hersant, peut-être par 40 à 5 ?
M. Giscard d’Estaing attend lui, que la reprise vienne et soit nettement
supérieure aux 2 % actuels pour vaincre le fléau. Quant
à M. Barre, il doit encore compter, probablement, comme l’O.C.D.E.,
sur la transformation d’O.S. en P.D.G.
Ne nous moquons pas trop de nos hommes politiques. lis sont à
l’image d’un pays qui se trouve à la fois surinformé et
désinformé. Quand l’économie distributive pourra-t-elle
être exposée clairement aux citoyens, par les moyens de
grande audience, pour leur offrir une véritable alternative compatible
avec l’ère des robots ?
(1) Dans la Grande Halle de La Villette à la
Porte de Pantin. Jusqu’au 20 janvier 1986.
(2) Voir le dossier « Les nouvelles technologies... » pages
précédentes. (ici ci-dessous)