Flexibilité, rigidité, stupidité


par  P. VINCENT
Publication : mars 2005
Mise en ligne : 4 novembre 2006

Pour les salariés, la flexibilité à coup d’heures supplémentaires deviendra obligatoire, mais les employeurs pourront, eux, rester inflexibles s’ils considèrent de leur intérêt d’en licencier de temps en temps quelques-uns. Il faudra donc prendre l’habitude, tout au long de sa vie professionnelle, d’alterner périodes d’activité forcenée et périodes de chômage. La production excédant ce que les Français sont capables de consommer compte tenu de leur pouvoir d’achat, nous devrons bien sûr écouler le surplus sur le marché mondial, c’est-à-dire en étant moins chers que les Polonais, les Turcs ou même les Chinois. Cela dégagera néanmoins des profits permettant aux entreprises d’acheter des machines encore plus performantes ou de se délocaliser à l’étranger, d’où le licenciement obligé d’une partie des salariés ayant permis grâce à leur travail cette bénéfique évolution si l’on veut qu’elle se poursuive.

En tant que travailleur il faudra se montrer plus souple, mais on devra si l’on tombe malade se soumettre à des règles plus rigides. On ne peut certes contester la nécessité d’aider la Sécurité Sociale à sortir de son trou. Ce ne sont pas les nouvelles machines ou le personnel employé à l’étranger qui paieront des cotisations à la place des travailleurs autochtones mis au chômage. S’il y a peu de chances d’une amélioration des recettes, il est donc évident qu’il faudra réduire les dépenses, et pour cela le gouvernement n’a rien trouvé de mieux que de vouloir organiser des consultations étroitement encadrées dans le but affiché d’en réduire le nombre et de faire également baisser la consommation de médicaments. Comme les généralistes se plaignent surtout de la complication du système et de leur dévalorisation, que les spécialistes, les pharmaciens ou les laboratoires ne semblent pas non plus s’alarmer outre mesure d’une baisse d’activité qui pourrait en résulter, il est évident que les uns et les autres ne croient pas à une réduction des dépenses de santé.

Ce n’est donc pas pour leurs revenus que je me ferai trop de souci pour l’instant. Je m’inquiète par contre des inconvénients que présente effectivement pour les généralistes, mais aussi pour les patients ou même pour la Sécurité Sociale, l’invention du généraliste unique et obligatoire au prétexte que le nomadisme médical serait par trop répandu. Je ne pense pourtant pas qu’il était couramment pratiqué par ceux qui ont la chance d’avoir un emploi. Car si la Sécurité Sociale se montre incapable, encore que je ne voie pas ce qui l’en empêche, de repérer et sanctionner un patient qui passerait son temps à faire la tournée des médecins, un employeur aurait tôt fait d’y mettre bon ordre si cela se traduisait par trop d’absences. Qui ne veut compromettre l’évolution de sa carrière ou courir le risque d’être tête de liste pour le prochain licenciement aura bien soin de cacher ou minimiser ses ennuis de santé ou même ses risques d’ennuis de santé. C’est en particulier parce qu’elles ne peuvent faire oublier les risques qu’elles ont d’être enceintes que les femmes ont moins de chances que les hommes d’obtenir des postes à responsabilité. Pour écourter ses absences, il semblerait donc préférable de choisir son généraliste attitré près de son lieu de travail plutôt que près de son lieu d’habitation, surtout si le trajet est très long de l’un à l’autre, ce qui ne va pas en s’améliorant, ni avec le RER, ni avec les TGV, qui incitent au contraire à aller habiter ou à aller travailler de plus en plus loin. Aux premiers symptômes de maladie, il suffirait de quitter son travail le temps d’aller chez le médecin, puis de passer à la pharmacie et on reviendrait bien vite avec les remèdes nécessaires pour peut-être arriver à tenir le coup sans être obligé de s’arrêter. Si l’on avait choisi son généraliste près de son domicile, il faudrait quitter son travail pour rentrer précipitamment dans son quartier ou décider le matin de ne pas partir travailler. Et il y a fort à parier que le médecin consulté dans ces conditions validerait alors cette absence par un peu plus d’un jour d’arrêt-maladie. Mais si l’on choisit son médecin généraliste attitré près de son lieu de travail, que fera-t-on si l’on tombe malade le week-end ou bien la nuit ? On retournera sur son lieu de travail ? On ira aux urgences d’un hôpital ? On appellera SOS-Médecins ? Si dans une famille le père et la mère ont des lieux de travail également fort éloignés l’un de l’autre pendant que les enfants eux restent à la maison ou vont dans une école du quartier, comment fera-t-on pour choisir son généraliste au mieux des intérêts de chacun ? Si deux personnes qui se seront chacune attachées à leur généraliste se marient, leur faudra-t-il se résoudre à en larguer un des deux ? Et si vous ne pouvez pas aller en trouver un autre quand le vôtre est débordé, aura-t-il de son côté l’obligation impérative de vous recevoir quand même dans un délai très court, quitte à faire un nombre extravagant d’heures supplémentaires ou à expédier ses autres patients à toute allure ? Cette rigidité ne paraît pas bien raisonnable. Ce ne serait pas la première réforme de ce gouvernement ayant raté son but.


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