Globalisons la solidarité

DEBATS et COMBATS
par  P. DELILLE
Publication : avril 2002
Mise en ligne : 21 janvier 2007

Peut-on souhaiter plus louable projet que celui de répondre à la mondialisation des règles commerciales par celle de la solidarité ? Ce sont des efforts dans cette direction qui ont fait l’objet, à Québec, des Rencontres Internationales sur la globalisation de la solidarité. Nous résumons le compte-rendu que Pascale Delille nous a envoyé de l’atelier intitulé “Monnaies et systèmes d’échanges alternatifs”’elle y a animé :

La quinzaine de personnes réunies par cet atelier ont d’abord décrit des expériences de systèmes d’échanges locaux ou de monnaies alternatives [1]. D’abord le système Barter, expérimenté dans une galerie marchande de Marseille et qui est inspiré de la banque WIR [2], il s’agit d’échanges de biens et de services entre entreprises dans une logique libérale. Puis la Banca Etica, en Italie, qui en se faisant rémunérer à environ 2%, organise un placement qualifié de social en ce sens que les épargnants, qui peuvent choisir la société à laquelle ils prêtent leur argent, acceptent que l’intérêt de ce placement ne leur soit versé non pas en argent mais en bons convertibles auprès de l’entreprise qui a bénéficié du prêt. Il existe également en Italie une centaine de banques du temps, qui organisent des échanges comptabilisés non en argent mais en temps, et des groupes d’achats solidaires (GAS) qui font la promotion du commerce local.

La discussion porta ensuite sur le projet français d’une monnaie électronique solidaire (SOL) et, plus largement, sur les monnaies affectées (destinées à certains achats prédéfinis) qui pourraient être utilisées par les pouvoirs publics, ce qui leur redonnerait un moyen d’action à une époque où les États ont renoncé à leur pouvoir sur la monnaie légale de leurs pays. Des mutuelles et des banques coopératives étudient actuellement la faisabilité de ces monnaies. La carte à puce développée par Michael Linton, le créateur du premier LETS [3] à Vancouver en 1982 (qui donna naissance aux SEL, systèmes d’échanges locaux en France) est expérimentée au Japon.

TROIS EXPÉRIENCES

La rencontre se poursuivit par la présentation de trois expériences locales :

En Argentine, les groupes de troc ( “Nodos” = noeuds ou “clubs”) concernent plus d’un million de personnes qui ont effectué en 1999 des échanges estimés à plus de 500 millions de dollars au total. Ces clubs, organisés en deux grands réseaux centralisés, sont constitués d’une centaine de personnes en général (mais ce nombre peut dépasser mille), issues, au début, de la classe moyenne (qui s’est muée en une classe de nouveaux pauvres) et qui se rencontrent une fois par jour ou par semaine. Le principe du système des “nodos” est le suivant : au départ, un club émet un certain volume de monnaie “alternative” et la répartit équitablement entre ses membres, qui s’en servent pour faire des échanges entre eux. Si ces échanges se multiplient au point que les membres estiment qu’ils ont besoin de plus de monnaie, ils votent une augmentation, par exemple de 10 unités par membre. Un contrôle attentif de cette inflation s’est avéré nécessaire, afin d’éviter que l’unité monétaire se trouve dévaluée. Les pouvoirs publics, en particulier la ville de Buenos Aires, ont accepté d’appuyer ce système à condition que sa monnaie ne soit pas convertible en monnaie légale. Mais on s’est aperçu que les participants ont du mal à ne pas confondre la monnaie des “nodos” avec la monnaie traditionnelle. Le compte-rendu explique qu’il est "nécessaire d’insister sur la non pertinence de la valeur numéraire dans la mesure où la valeur de la monnaie correspond davantage à la valeur du travail en circulation dans le système d’échange" et que, "pour éviter les inconvénients des contrefaçons, il est recommandé que les grands échanges interclubs se fassent en produits plutôt qu’à l’aide de monnaies différentes. Enfin, on s’interroge sur l’intérêt de systèmes mixtes, qui allient paiement alternatif et paiement traditionnel. Au Mexique ce système n’a pas été probant puisqu’il n’a pas permis que se développe la confiance nécessaire à la consolidation du Réseau. Par contre, au Brésil, une coopérative a mis sur pied un système de mixité financière qui s’est avéré moins problématique, probablement à cause du fort contrôle social exercé par le groupe."

La seconde expérience décrite est celle des 26 LETS d’Écosse, qui regroupent plus de 2.200 personnes (soit relativement beaucoup plus qu’au Royaume- Uni). Ils ont débuté au sein de la population la plus éduquée et on s’efforce de l’implanter auprès des populations les moins favorisées. Leur unité d’échange, dont la valeur est approximativement celle de la Livre, est liée au temps de travail, soit environ 5 unités pour une heure, même si elle varie d’un LETS à l’autre. Les transactions sont notées dans un cahier, de sorte qu’il n’y a pas de billets en circulation, mais on discute de la possibilité d’en venir aux billets. Il y a d’autant moins d’échanges que le LETS est petit, de sorte que l’enjeu est d’augmenter le volume de chaque LETS.

En France, les 300 SEL (système d’échanges locaux) se sont peu à peu éloignés du système des LETS et ils ont délaissé l’analogie monétaire de leurs unités de compte, qui se rapprochent du système temps des banques du temps italiennes (ou du time dollar) et sont équivalentes à des minutes. Le comte-rendu en décrit le principe : "au départ, on recense l’offre et la demande des membres et on établit un catalogue. Les comptes démarrent en général à zéro et les membres doivent limiter leur endettement à l’équivalent de 3.000 minutes, par exemple. Dans d’autres SEL, on offre d’emblée 5 heures au départ (300 unités) aux membres pour leur éviter de démarrer sur un endettement. Malgré l’existence de programmes informatiques adaptés, la comptabilisation des unités d’échange dans les SEL est probablement une des causes de leur mort car cette comptabilité s’avère très lourde et leurs responsables sont contraints à un travail répétitif (ce travail devrait être exclu de la ronde des échanges car ces derniers sont par principe occasionnels, sinon il s’agirait de travail "au noir", et il sera sans doute nécessaire soit de convertir cette tâche en travail salarié soit d’inventer des systèmes moins lourds à gérer ) ..."

Continuons à citer le compte-rendu : "On peut s’interroger sur la nécessité de la centralisation de la comptabilité des SEL. Le système du JEU (jardins d’échange universel) fonctionne à partir de carnets sur lesquels les membres notent leurs transactions, en binômes autonomes (ces carnets ne sont montrés qu’à la personne avec qui se fait l’échange, il n’y a aucun contrôle).Ce système fonctionne bien dans le sud de la France où des membres de SEL disparus font ainsi des échanges entre eux ou au sein de SEL existants. Un participant de l’atelier a émis l’idée qu’une comptabilité décentralisée (chaque personne est responsable de ses unités et ne les comptabilise que pour elle-même) pose moins de problème s’il existe une communauté dans laquelle ont lieu les échanges et qui exerce un contrôle social et éthique du fait même de la proximité sociale de ses membres. Les unités ne sont qu’une simple mémoire "quantifiante" de l’échange, destinée à faire transiter sa réciprocité dans le temps et dans le groupe. Il s’agit bien ici d’une des premières fonctions de la monnaie mais le fait de ne pas sécuriser la comptabilité équivaut à s’orienter vers des mouvements d’échanges réciproques, de type dons /contre-dons, qui ont des avantages de simplicité mais d’autres inconvénients. A noter également que dans certains SEL, une grande partie des échanges n’est pas comptabilisée, et le système se dissout alors dans la bande de copains, mais perd aussi sa capacité d’accueillir régulièrement de nouveaux adhérents "en nombre" à la différence des SEL qui "comptent"."

Et voici la conclusion : En fait, il importe de distinguer le contexte des expériences de la France, de l’Ecosse et de l’Argentine, c’est-à-dire du Nord et du Sud, puisqu’en Argentine, les "nodos" correspondent véritablement à une stratégie de survie (en sachant en plus qu’il n’existe pas à proprement parler de système de sécurité sociale), alors qu’au Nord, il s’agit plutôt de promouvoir de nouveaux liens sociaux et de recréer une solidarité avec une sorte de commerce alternatif, même si beaucoup de SELiens s’appuient sur ce système pour atteindre un niveau de vie décent (tout en retrouvant une dignité car ils sortent de l’assistanat pour rentrer dans la réciprocité).

La rencontre s’est terminée par deux propositions : faire le tableau des différentes initiatives existant sur la planète et réfléchir sur la question des monnaies alternatives globales, tout en rappelant qu’il existe actuellement plusieurs propositions à ce sujet.


[1On trouvera beaucoup de renseignements sur toutes ces monnaies parallèles dans “Unité et diversité du fait monétaire”’analyse du livre “Les monnaies parallèles” de Jérome Blanc, dans GR N°1010, p.6.

[2WIR (de l’Allemand Wirtschaftsring- Genossenshaft) est un cercle économique (à but lucratif) d’échanges de marchandises entre entreprises.

[3LETS = Local Exchange Trading System (en Français = système d’échanges locaux de commerce.)


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