LA photo reproduite ci-dessus, en couverture, est celle
d’un portique élévateur pneumatique sur rail. Quatre élévateurs
semblables à celui-ci et trois autres flottants ont été
récemment mis en service à Rotterdam. Chacun de ces élévateurs
a un débit d’environ 1 000 tonnes à l’heure. Ainsi pour
décharger une cargaison de 40 000 tonnes de céréales,
prise à titre d’exemple, il faut, d’après la revue «
Industrie et Technique », seize heures de travail, à raison
de DEUX ouvriers par élévateur. Pour imaginer ce que cela
représente, sachez qu’une telle cargaison, transportée
en wagons, formerait un train de 20 kilomètres de long !
Et on s’étonne qu’il y ait croissance du chômage ?
Celui-ci a atteint son record : 1 300 000 chômeurs recensés
en France, près de 17 millions pour l’ensemble de la zone O.C.D.E.
La plus forte croissance est enregistrée au Canada, en Finlande,
en Espagne et en Italie. Et même les pays comme le Japon, la Suède
et la Norvège dont le taux est faible, ont vu ce taux augmenter
ces dernières années. Il y a donc bien lieu de reconnaître
qu’il ne s’agit pas, pour la France, en particulier, d’un accident que
notre barreur saura vite réparer grâce à notre courage
et à notre abnégation, mais bien, comme nous ne cessons
de l’annoncer, d’un chômage structurel. Il résulte de l’évolution
des moyens de production et il touche tout le secteur de l’entretien
de la vie matérielle (1) . Les moyens modernes permettent d’assurer
cette vie, à condition de s’organiser pour utiliser au maximum
les machines et leurs automatismes les plus récents, ce qui implique
un autre système de gestion des biens.
Les moyens le permettent, mais les hommes s’opposent, consciemment ou
non, à cette possibilité. D’abord parce que beaucoup d’entre
eux sont incapables de revenir sur une idée bien enracinée
qui fit d’eux des esclaves : « honte à celui qui ne travaille
pas »... (sauf s’il a hérité d’un capital bien géré
par d’autres !). Ensuite parce que, remettre en cause le principe que
tout salaire nécessite sa peine, oblige à remettre aussi
en question la règle du jeu capitaliste : distribuer une monnaie
gagée sur la production et destinée à permettre
à tous d’en profiter dès lors qu’elle existe, c’est enlever
à l’argent son rôle sacré. IMPOSSIBLE !
Pourtant, comme il est beau le rôle qu’a joué dans ce système
la loi si âprement défendue du marché : P.-N. Armand
nous révèle, références à l’appui,
le commerce de cadavres de bébés (2) ;
H. de Joyeuse a constaté que des menaces de mort sont proférées
envers quiconque oserait pénétrer, sauf pour acheter,
dans un parc de voitures d’occasion (3) ; R. Roche a vu des communistes
convaincus oublier tout idéal dès lors qu’ils ont eu accès
à une « classe supérieure » de capitalistes
(4) . Marcel Dubois analyse parfaitement (5) cette dégradation
de la personne humaine dont le mercantilisme de notre société
est responsable. On pourrait indéfiniment en donner d’autres
exemples : je lisais récemment un article de la revue de la Société
Française d’économie rurale dans laquelle F. Clerc analysait
les conséquences possibles de l’entrée de trois pays méditerranéens
dans le Marché Commun. Pas une fois n’apparaît l’ombre
d’un souci de progrès pour le consommateur. La pire des craintes
est une baisse des prix de certains produits. On pourrait pourtant espérer
qu’au XXe siècle, l’Europe soit capable de se concerter pour
mieux organiser sa production ; qu’elle planifie pour produire en s’adaptant
aux conditions géographiques : tel pays, en raison des qualités
de son sol et de son climat fournira primeurs ou raisin, tel autre cultivera
endives, betteraves ou céréales. Mais non, c’est toujours
le profit qui fait la loi et on continuera à faire pousser à
l’eau chaude des tomates sans goût en Hollande !
Allons, rassurons-nous, France-Soir a trouvé les responsables
de la « crise » et nous allons donc être sauvés
de la « catastrophe chômage ». Un éditorial
fracassant (6) démontre que la faute incombe à notre système
d’enseignement. Il paraît que nous devrions former beaucoup moins
de
têtes bien faites » mais beaucoup plus de techniciens immédiatement
« rentables »... pour l’industrie. Autrement dit, il faut
apprendre très tôt aux jeunes un métier donné
et un seul, une technique et un savoir-faire en vigueur et adaptés
aux appareils qui existent. Et si demain leur outil et leur savoir-faire
sont démodés, ce qui est inévitable et tout le
monde devrait le savoir, tant pis pour eux ?
Qu’en pensent aujourd’hui les mineurs qui n’ont connu que la mine ?
Qu’en pensent les licenciés de plus de trente ans qui ont tant
de peine à se « recycler » ?
Au moment où s’ouvre enfin l’ère des loisirs !
(1) « Quel chômage, quel plein emploi ? ». G.R. n°
761.
(2) « Hitler, économiste distingué, fait école
», p. 3.
(3) « Avis, danger de mort... », p. 3.
(4) « De la propriété », p, 4,
(5) « Les mains sales », p, 9.
(6) De G. Farkas, du 17 novembre 1978.