L’horreur est humaine


par  R. POQUET
Mise en ligne : 30 juin 2010

Le mois dernier, Roland Poquet a formulé ici un jeu d’une dizaine de questions, auxquelles il serait bon que les députés que nous avons élus soient capables de répondre. N’ayant pas reçu de réponse des “responsables”, notre ami entreprend de répondre lui-même, en commençant par la première :

Le jeu des questions :
1. Pourquoi, dans une nation aussi riche que la nôtre, y a-t-il autant de pauvres ?

Sauf à connaître une situation encore pire, ce qui n’est pas exclu, nos descendants n’auront pas de mots assez durs pour fustiger notre incapacité à répartir harmonieusement les biens de ce monde. Lorsque Victor Hugo s’écrie : « Vous voulez les pauvres secourus, moi je veux la misère supprimée », notre pays connaît une disette endémique et nul ne peut prédire quand et comment les générations futures parviendront à y remédier. Aujourd’hui, quels seraient les mots du poète pour dénoncer la misère matérielle de millions de personnes, dans notre pays et ailleurs, alors que la pénurie de biens nécessaires à la vie, ou tout simplement à la survie, pourrait disparaître ? Comment réagirait-il à ce paradoxe d’une société qui parvient à produire des biens en abondance mais ne sait pas, ou ne veut pas, répartir ses richesses entre tous ses membres ?

À l’occasion de la Coupe du Monde de football, les regards de millions de téléspectateurs seront attirés par la situation explosive qui règne encore et toujours en Afrique du Sud. Si l’action de Nelson Mandela a été décisive pour la suppression de l’apartheid, force est de reconnaître que les rouages qui entretiennent les inégalités sont toujours présents. Et l’on s’apercevra, au travers des multiples témoignages recueillis et diffusés par les médias, que le racisme constitue un moyen commode et efficace, manié par une minorité, pour préserver l’accaparement des richesses.

Quelques rappels s’imposent.

Il suffirait d’environ 50 milliards de dollars par an pour éradiquer la faim dans le monde, permettre à 6 milliards d’êtres humains l’accès à l’eau potable et aux soins de base : nous consacrons dix fois plus à la publicité ou à la consommation de stupéfiants et vingt fois plus à l’armement.

Entre 1974 et 1988, dans les pays de l’OCDE, le PIB a progressé de 48 %. Et cette précision de Gandhi : « Il y a suffisamment de ressources sur cette planète pour répondre aux besoins de tous, mais pas assez pour satisfaire le désir de possession de chacun ».

Aujourd’hui, la fortune de 225 personnes est égale au revenu cumulé de 2,5 milliards d’êtres humains.

Nous y voilà ! 50 milliards de dollars par an pour remettre sur pied le monde qui souffre et qui meurt. 100 milliards d’euros en trois ans pour “éponger la dette” d’un tout petit pays, la France, qui a vécu, dit-on, au dessus de ses moyens. Il suffit de voir, en ce moment même, comment les nantis de ce tout petit pays qu’est la France refusent de participer au nécessaire effort de solidarité nationale en faveur des retraités pour comprendre ce que “désir de possession” veut dire.

Il est incontestable que l’être humain n’est pas encore sorti d’une relation conflictuelle avec son environnement et avec son prochain, qu’il est plus préoccupé par l’accaparement des biens que par leur partage et que l’état de siège permanent qu’il instaure vis-à-vis de ses congénères risque de mettre en danger de mort l’humanité tout entière.

Si l’égalité de tous les citoyens est sur le point de s’imposer, celle de tous les hommes mettra, dans le meilleur des cas, beaucoup plus de temps, tant les inégalités sont nombreuses, non seulement des revenus, mais aussi face à la santé, au temps libre, entre sexes, selon les âges …

Contrairement à une croyance largement répandue et entretenue, égalité ne veut pas dire uniformité : l’égalité des revenus n’impliquerait pas une quelconque uniformité dans la façon de les utiliser. C’est, au contraire, l’inégalité qui fixe l’individu à un point de la hiérarchie sociale. Ce sont les inégalités qui amènent des résistances, des gaspillages, des désespoirs, des aliénations et des exclusions. La guerre de tous contre tous est contre-productive sur le plan de l’avancée de notre civilisation.

A-t-on idée des rancoeurs accumulées chez ceux qui n’ont pas de domicile fixe, qui ne reçoivent qu’un revenu insuffisant ou qui voient, souvent dès le plus jeune âge, se fermer toute perspective de vivre un jour une vie décente ? A-t-on idée de la détresse morale qui ronge 8 millions de nos concitoyens vivant sous le seuil de pauvreté (908 euros mensuels) alors que le nombre de personnes affichant un revenu supérieur à 100.000 euros par an a bondi de 28 % entre 2004 et 2007 ?

L’horreur est économique, dit-on. Mais l’horreur est surtout humaine : devant l’imminence du pire surgit notre devoir d’indignation.


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