La démondialisation en débat


par  É. LEYMARIE
Publication : juillet 2011
Mise en ligne : 11 janvier 2012

C’est dans un débat essentiel, qui ne fait que commencer publiquement au sein de “la gauche”, qu’Éloi Leymarie nous entraîne ici.

Au risque de trop le simplifier, on peut peut-être le résumer en une question : pour que la finance ne puisse plus imposer sa dictature au monde, suffit-il de rétablir les règles d’avant la révolution libérale du début des années 1980, ou bien faut-il sortir du système capitaliste ?

Votez pour la démondialisation ! C’est le titre d’un récent [1] petit opuscule écrit par Arnaud Montebourg (candidat aux primaires socialistes) et préfacé par Emmanuel Todd.

De son côté, Jacques Sapir, soutien du front de gauche, publie La démondialisation [2].

Alors que différents pays européens sont confrontés à la mise en place de politiques de restrictions budgétaires, que la tendance à la privatisation de pans entiers de nos économies se poursuit et que la déréglementation (notamment financière) n’est jamais sérieusement remise en cause, le mot ou la notion de démondialisation claque comme un coup de tonnerre dans le ciel déjà bien agité du libéralisme économique. Un peu à l’image de la décroissance, nous sommes en présence d’un mot-obus qui sert à ouvrir le débat en prenant le contre-pied des évidences les plus partagées (« la mondialisation est incontournable »). Les échanges buttent cependant sur l’absence de consensus sur la définition même de la démondialisation.

La démondialisation est avant tout une réaction face à la mondialisation, celle-ci se caractérisant par la généralisation dogmatique du principe du libéralisme économique. A. Montebourg évoque par exemple les « fondamentalistes de l’ouverture commerciale » et la « religion du libre échange ». Selon lui, « le libre-échange, c’est la guerre de tous contre tous […] un système extrémiste et inhumain auquel il faut mettre fin ». Dans les pays comme la France, la mise en concurrence mondiale des travailleurs a eu notamment pour effet la déflation salariale, le chômage de masse et la dégradation des conditions de travail. Pour J. Sapir, « vouloir maintenir les règles du libre-échange, vouloir même les étendre, est la meilleure recette que l’on ait trouvée pour maintenir les pays dans la crise et en provoquer une nouvelle à relativement court terme ». Mondialisation marchande et globalisation financière sont donc des machines à appauvrir les peuples.

À la fin de son ouvrage, Arnaud Montebourg propose logiquement des solutions protectionnistes (taxes douanières, mesures anti-dumping, taxes environnementales, préférences commerciales, labélisations-certifications socio-environnementales…) à l’échelle de l’Europe. J. Sapir préconise, quant à lui, trois “directions” : un protectionnisme européen « visant à compenser les effets du véritable dumping social et écologique » de certains pays ; le passage de la monnaie unique à une monnaie commune, afin notamment de limiter la mobilité des capitaux ; « la mise en place d’une politique industrielle et d’infrastructure ».

Les deux auteurs se placent donc stratégiquement à l’échelle européenne mais en conférant à la France un rôle essentiel d’initiatrice. De manière plus générale, les démondialistes remettent en selle des acteurs réputés (du moins jusqu’en 2008) totalement dépassés par l’évolution économique : les États-nations. Ils prônent la sortie de l’euro, appellent à un projet industriel fort et à un nouveau partenariat avec l’Allemagne.

Ces positions suscitent de vives réactions, notamment au sein de l’organisation de l’association Attac, puisque si certains de ses membres se sont positionnés contre les propositions de J. Sapir, d’autres y voient une solution d’avenir. En fait, d’entrée de jeu, démondialisation entre en résonance avec altermondialisation. Or, on se souvient que si les nouveaux mouvements contestataires émergents dans les années 1990 avaient préféré se qualifier d’altermondialistes plutôt que d’anti-mondialistes, c’était précisément pour éviter d’apparaître comme des adversaires de ”toute” mondialisation. Les démondialistes franchissent le pas et assument leur anti-mondialisme. Pour neuf économistes du conseil scientifique d’Attac, c’est le pas de trop : la démondialisation est une forme de « repli national ». Eux ne rejettent pas la mondialisation par principe mais la mondialisation néolibérale et capitaliste. La démondialisation leur apparaît donc comme un « concept superficiel et simpliste » [3].

Leurs arguments me semblent assez convaincants. D’une part, remettre en cause le libéralisme économique, pour être nécessaire, n’en est pas moins insuffisant. Il faut aussi raisonner en termes de rapport de force à l’intérieur même des entités nationales. Si la démondialisation n’est qu’un changement d’échelle (du global au national), elle n’atteindra pas les objectifs qu’elle se fixe (mais un candidat aux primaires socialistes a-t-il intérêt à remettre en question plus que le simple libre-échange ?). D’autre part, il est vrai que la démondialisation est un slogan réducteur puisqu’il faut probablement « plus de mondialisation dans certains domaines et moins de mondialisation dans d’autres ».

Enfin, une monnaie nationale n’offre aucune garantie contre la spéculation, et une réindustrialisation de principe, déconnectée d’un projet politique et social, n’a aucun sens.

De mon point de vue, démondialisation et altermondialisation ont surtout des ambitions dissymétriques :

• la première se propose de relocaliser le système de production pour éviter les effets de la concurrence internationale et de la globalisation financière. Fondamentalement, les démondialistes dénoncent le libre-échange surtout quand celui-ci met aux prises des situations trop hétérogènes (l’ouvrier français face au travailleur chinois) mais ils ne mettent pas explicitement l’économie de marché en cause. La priorité de J. Sapir est le “progrès social”, entendons le plein emploi. La démondialisation semble en cela revenir à des principes socio-démocrates et keynésiens, donc réformateurs.

• La perspective altermondialiste est clairement différente : elle consiste à chercher les voies d’un nouveau modèle de développement. Son objectif est de proposer face au néolibéralisme une alternative globale et émancipatrice.

Enfin, stratégiquement, les démondialistes investissent trop d’espoirs sur la démocratie nationale. Selon eux, la démondialisation donnerait aux populations nationales des prises sur la sphère économique. Cette démarche me paraît risquée pour au moins deux raisons. Tout d’abord, je ne suis pas d’accord avec J. Sapir quand il écrit : « Il faut donc réaffirmer que, sans souveraineté nationale, il ne saurait y avoir de démocratie » [4]. En effet, la démocratie n’est pas consubstantielle à l’État-nation ; d’autres souverainetés sont en formation et nous pourrions avoir, demain, une démocratie européenne par exemple, si d’autres conditions politiques le permettaient. Ces dynamiques manquent de visibilité mais il serait bien imprudent de considérer la nation comme indépassable. Ensuite, avant de démondialiser, il faudrait préalablement s’assurer que les citoyens sont en mesure, aujourd’hui, de contrôler l’économie relocalisée. Or, force est de constater que lesdits citoyens sont très largement dépossédés d’une telle possibilité par l’oligarchie en place. Certes le vote subsiste, mais il faut reconnaître qu’aucune alternative sérieuse au libéralisme ne s’est profilée depuis bientôt 30 ans. L’existence de structures politiques comme les nôtres n’est en rien synonyme de souveraineté populaire. La nécessité de faire coïncider échelles économiques et échelles politiques ne peut s’accommoder d’un “retour à”.

Au final, il me semble difficile d’analyser l’économie au travers du seul prisme de l’emploi et des salaires. Ces aspects doivent sans aucun doute occuper une place centrale dans nos réflexions mais, quand bien même la démondialisation aurait des chances de réussir (ce qui me paraît douteux aujourd’hui), nous ne pouvons nous en tenir là. Les défis économiques, écologiques et politiques sont d’une autre ampleur.


[1éd. Flammarion

[2éd. Seuil, Collection Économie Humaine.

[3La démondialisation, un concept superficiel et simpliste G.Azam, J. Cossart, T.Coutrot, J.-M. Harribey, M. Husson, P.Khalfa, D.Plihon, C. Samary et A.Trouvé. Blog Médiapart, 6 juin 2011.

[4Oui, la démondialisation est bien notre avenir, J.Sapir, Blog Médiapart, 13 juin 2011.


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