La politique du logement, entre spéculation et service public.
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Mise en ligne : 2 décembre 2005
Parmi les causes des dérives que nous observons dans nos quartiers excentrés, nous avons relevé la volonté délibérée du gouvernement issu du scrutin du 21 avril 2002 de prendre le contre-pied de ce qu’avaient entrepris leurs prédécesseurs : rupture du plan “emplois jeunes”, aide aux associations, instauration d’une police de proximité.
On a substitué à ces mesures de bon sens, encore certes trop modestes, mais qui s’inscrivaient dans la continuité et sur le long terme, l’intervention musclée des forces de police, en particulier dans ces zones de “nondroit” où de petits caïds locaux s’adonnaient à des trafics en tout genre et imposaient leur loi.
Le résultat de cette démarche musclée de provocation délibérée a été une flambée de violences généralisées. On a présenté en haut lieu ces actions de répression comme une victoire de “l’État de droit” et on a condamné les délinquants pris en flagrant délit à de lourdes peines de prison ou d’amendes tandis que les citoyens d’origine étrangère étaient reconduits dans leur pays d’origine.
Sans doute convenait-il de mettre hors d’état de nuire les plus excités parmi ces délinquants, ils constituaient un réel danger pour le maintien de l’ordre public et la sécurité des citoyens. Les paisibles habitants de ces quartiers, qui sont la majorité, ne méritent certes pas de vivre dans la peur permanente ou les menaces de racket.
Gageons toutefois que les principaux caïds courent toujours et qu’à la première occasion ils reprendront le cours de leurs activités souterraines, aussi longtemps du moins que l’on n’offrira pas à tous la possibilité d’accéder à un revenu, un logement et une activité décents.
“À LA DÉCOUPE”
Avez-vous remarqué ce spam diffusé sur la Toile, si discret qu’il en passa inaperçu : « À vendre en plein cœur du quartier de l’Étoile monument en pierre de taille et son terrain alentour » ?
Il s’agit, vous l’avez deviné, d’un canular. Mais, en fin de compte, pas si absurde qu’il n’en a l’air. On a en effet prélevé l’ADN du Soldat Inconnu, découvert son identité. Et une entreprise s’est constituée pour identifier de la sorte tous les soldats tombés au champ d’honneur en remontant l’Histoire à travers les siècles. On a donc, en haut lieu, perçu l’inutilité de ce site historique, dédié symboliquement à un soldat désigné à l’origine comme “inconnu”, dès lors qu’aura été mis en terre le dernier poilu survivant.
Mais la “vente à la découpe” du parc immobilier parisien n’est pas, quant à elle, un canular ; elle confine à la réalité, pour le plus grand profit de spéculateurs à la recherche de profits faciles, de fonds de pension américains à la recherche de dividendes juteux, de sociétés immobilières cotées en Bourse, encouragées par de multiples cadeaux fiscaux.
Selon la même source cauchemardesque, lesdits fonds de pension associés auraient sous-traité avec une firme taïwanaise la construction d’une tour de 1.500 mètres de haut, laquelle hébergera en sa partie inférieure des commerces de luxe et au-dessus, des lofts avec vue imprenable sur la capitale, destinés à une clientèle huppée qui libérerait de la sorte des logements anciens à réhabiliter pour le loger des mal logés !
Pas si absurde que cela, en effet, quand on compte 9 millions de personnes mal logées, 1.300.000 demandes de HLM dont 300.000 en région parisienne, lesquelles ne peuvent espérer obtenir satisfaction que dans un délai moyen de dix ans, et que 65% des ménages ne peuvent se loger aux prix du marché.
Lorsque nous avons proclamé et écrit noir sur blanc depuis des années qu’il s’avère urgent d’élaborer un plan prioritaire pour la construction immédiate d’au moins un million de logements dits “sociaux”, on ne nous a pas entendus.
On ne nous a pas non plus écoutés lorsque nous avons dénoncé la montée de la spéculation foncière et immobilière, à telle enseigne qu’il convenait de porter le fer dans la plaie.
Il est bien tard, désormais.
Il s’agit de savoir si on va continuer à considérer le secteur du logement social comme un vulgaire service marchand ou le rendre au service public...
C’EST TOUTE LA CONCEPTION DE L’URBANISME QUI EST À REVOIR
On construit aujourd’hui n’importe quoi, n’importe où, ces immeubles de verre et d’acier, grands dévoreurs de climatisation et d’énergie, sur le même modèle à Pékin et à Moscou, à New York ou à Bobigny. Ce n’est pas par la démarche qui consiste à démolir spectaculairement quelques tours pour les remplacer par des immeubles plus modestes, que l’on résoudra le problème. On n’a aménagé que 75.000 logements sociaux en 2004, une misère ! C’est une injure perçue comme telle pour tous ceux qui sont sur des listes d’attentes. Et la solution ne réside pas non plus dans le pourcentage de 20% de logements sociaux que chaque municipalité est contrainte de bâtir, sous peine de pénalités. Comment, face à cette carence qui perdure, des jeunes sans avenir prévisible ne se révolteraient-ils pas ?
METTRE LE FEU
Les quartiers dits sensibles, parlons- en ! Rappelonsnous à quoi ressemblaient la plupart de nos banlieues, dans les années d’après-guerre. On a démoli des bidonvilles, rasé des constructions vétustes érigées dans un fatras hétéroclite, pour bâtir des barres et des tours que l’on a surnommées des “cités-dortoirs”.
Tous ceux qui étaient alors hébergés dans des taudis sans confort, le plus souvent dépourvus de salles de bains et dotés de sanitaires collectifs, accueillirent favorablement ces transferts dans des appartements propres, avec cuisine intégrée, même s’ils se trouvaient parfois fort éloignés de leur lieu de travail.
La population immigrée était alors peu nombreuse. Elle s’est réellement accrue à partir de la seconde partie des années 1970, lorsque des chefs d’entreprise firent eux-même le déplacement dans des pays du Maghreb ou des nations limitrophes pour y trouver la main d’œuvre bon marché qui leur faisait défaut. Ce n’est que quelques années plus tard que se posa le problème des “familles rejoignantes” : fallait-il que les migrants restent célibataires, au risque de courir derrière les filles de leur quartier, ou qu’ils retrouvent la compagnie de leurs femmes et enfants ? Plus tard la notion de “famille rejoignante” fut élargie aux frères cousins, concubines, la polygamie étant une pratique courante chez certaines populations africaines...
À l’époque des “Trente Glorieuses”, la plupart avait un emploi et les transports en commun leur permettaient de quitter les “villes nouvelles” à l’aube et n’y revenir qu’à la nuit tombée. Jusqu’au jour où le chômage contraignit les résidents à demeurer sur place, les plus jeunes livrés à eux-mêmes, à s’organiser en bandes à la recherche de commerces souterrains plus lucratifs. Les trafics de drogue font leur apparition.
Les phénomènes d’insurrection violente furent observés dès la fin des années 60 aux États-Unis, puis on vit apparaître ces courants de mode qui défient les mœurs de la société bourgeoise, les grandes “messes collectives” où l’alcool coule à flot et qui constituent une manière de provocation. Y compris les tags.
Par la suite, l’usage du feu apparaît comme un rituel de purification et de destruction des signes les plus visibles de cette société de consommation à laquelle ils n’ont pas accès.
Au temps de la guerre froide, on multipliait les conférences, les “sommets” pour tenter de mettre un terme et éventuellement détruire avant utilisation les armes dites de destruction massive, en particulier l’arme nucléaire.
À présent, on s’aperçoit qu’il suffit d’un simple couteau pour manifester son agressivité, la mener à son terme ultime. Un certain Roger Schultz, prieur de l’Abbaye de Taizé, l’homme de la réconciliation et du dialogue œcuménique, en a fait la tragique expérience. Avant lui, bien des apôtres de la non-violence, les Gandhi, Luther King entre autres, sont morts sous les balles d’un assassin.
La pulsion d’agressivité, l’idée de vengeance se terrent au tréfonds du cerveau humain et, à de rares exceptions près qui relèvent de la psychiatrie, seule l’éducation peut permettre de les maîtriser et empêcher de passer à l’acte. À tout moment, chacun de nous est placé devant le choix de la vie ou de la mort, sur nousmême (suicide, démarche d’auto-destruction) sur autrui (meurtre) et sur notre environnement.
À tout instant de son existence, chaque personne humaine est confrontée aux dures échéances de sa survie matérielle dans une société de compétition, et la recherche de son insertion harmonieuse au sein d’une ou plusieurs communautés ouvertes.
À LA RECHERCHE DE POINTS D’ANCRAGE
Avec la sécurité matérielle par le revenu social garanti, il est urgent d’offrir des perspectives concrètes d’épanouissement personnel, tout en apportant sa participation à la construction de la société tout entière.
La réhabilitation de la notion de service public s’insère dans ce schéma. La préoccupation première d’un prochain gouvernement dont la formation ne saurait tarder, devra être de mettre un terme à la casse du service public systématiquement organisée au nom d’une idéologie malsaine fondée sur la primauté des mécanismes du marché, du système de concurrence forcenée, d’obligation de résultats au mépris des règles minima de solidarité humaine, de l’individualisme destructeur qui prime sur les notions de personne, de sociétés de personnes, de communautés ouvertes, d’économie solidaire.
J’y ajoute la nécessité de promouvoir l’anti-violence active dans les relations entre les personnes et groupes de personnes. Il devient urgent de redéfinir la notion d’anti-violence active et ses applications dans les activités quotidiennes. Et l’apprentissage doit en être fait dès l’école.
Aujourd’hui, les médias, tous modes d’expression confondus, déversent sur nos cerveaux mal préparés, en particulier ceux des jeunes, des tonnes d’actions violentes en tous genres jusqu’à l’insupportable. Ce ne sont pas les médias qu’il faut stigmatiser : ils font leur métier en relatant des évènements qui retiennent l’attention, peuvent augmenter l’audimat ou le nombre de lecteurs. Grâce à eux, nous sommes informés de ce qui se passe.
C’est à chacun de nous qu’il appartient de faire un choix. Les adultes ont la capacité de le faire, entre fiction et réalité. Mais chez les jeunes, l’image et le son s’inscrivent sur un écran vierge. Ils doivent faire l’apprentissage de l’existence d’adulte. Bien sûr, on peut prendre connaissance sur nos écrans de télévision des mentions désormais plus lisibles : “interdit aux moins de...” Mais l’expérience a montré, et démontre chaque jour qui passe, que les interdits n’ont de saveur, hélas, que lorsqu’ils sont transgressés. Et à l’heure de l’interactivité des médias, où le téléphone portable, donc extrêmement mobile, joue tout à la fois le rôle de télécopieur, d’écran de télévision, de radio, d’appareil photo, etc., la diffusion d’actes de violence, fut-elle fictive, finit par s’incruster dans les comportements. Comme un tsunami, elle se propage à une vitesse foudroyante et balaye tout sur son passage. La tendance à l’imitation, l’effet de mode, font le reste. L’explication vient après, lorsque le mal est fait.
C’est la raison pour laquelle nous accordons une priorité aux actions de prévention “sur le terrain” dans toutes les orientations de la vie sociale. Encore convient-il que dans cet univers qui relève de l’éphémère, elles s’accrochent à une visée eschatologique suffisamment crédible pour servir de points d’ancrage à nos esprits déboussolés.