Le Beaujolais nouveau est arrivé

SOIT DIT EN PASSANT
par  G. LAFONT
Publication : février 1977
Mise en ligne : 17 mars 2008

Pas un Français normalement constitué n’est en droit de douter aujourd’hui que c’est le pinard qui a gagné la guerre de 14-18. Une vieille histoire, d’accord, mais à l’heure où M. Barre vient d’engager une nouvelle bataille de la Marne, on peut bien en reparler. Je n’ai pas eu personnellement l’honneur de participer à la glorieuse épopée et, comme beaucoup de mes contemporains, je ne sais cela que par ouï-dire. Mais sans invoquer le témoignage des anciens combattants du grand casse-pipes - il en reste encore, heureusement -, que l’on pourrait suspecter de vantardise, je m’en tiendrai à l’opinion des historiens dignes de ce nom, qui est unanime.
Voilà donc établi un point de notre histoire nationale sur lequel il n’y a plus à revenir.
Seulement attention. Les Français auraient tort de s’endormir sur leurs lauriers. Le pinard a gagné la guerre de 14-18. Bon. Mais la prochaine ? La prochaine, il faut y penser. Eh bien, je vous le dis tout net, au risque de passer pour un défaitiste, c’est foutu.
M. Christian Bonnet, ministre des fruits et légumes à ses moments perdus, vient de se fâcher tout rouge contre les producteurs de ces « affreuses bibines » que sont devenus les vins du Midi, et aussi d’ailleurs. Les propos fracassants tenus par le ministre ont fait un certain remous au sud de la Loire, mais ils n’ont surpris personne. Pas ceux qui boivent du vin. Cela se savait. Je trouve pour ma part que M. Bonnet y a mis de la réflexion. De deux choses l’une, où il est buveur d’eau invétéré, ce qui est son droit absolu, et je le plains sincèrement, ou il boit du vin comme tout le monde. Dans le premier cas je me demande de quoi il se mêle. Dans le second il retarde de deux républiques.
Voilà déjà un bout de temps - et je ne suis plus tout à fait. un gamin - que j’ai entendu pour la première fois parler du malaise vinicole, ou, pour être plus clair, de la surproduction de notre picrate national. Le spectacle des viticulteurs du Midi qui s’agitent, barrent les routes et jouent au gros méchant avec les C.R.S., n’est pas d’hier. Cela fait partie du folklore méridional au même titre que les corridas ou la pétanque. Personne, même le ministre, n’a jamais pris ces manifestations périodiques très au sérieux. On essayait de calmer les esprits - surexcités avec de bonnes paroles, des subventions ou des promesses électorales. Et puis on parlait d’autre chose, de la betterave ou des choux-fleurs. Ce ne sont pas les sujets de conversation qui manquent, en France. On alla même, en souvenir de 14-18, jusqu’à faire participer nos jeunes militaires à la résorption des excédents par des distributions gratuites de vin dans les casernes.
Il n’y avait pas eu encore de drame. Les viticulteurs français continuaient donc tant bien que mal à faire du vin, bon ou mauvais, à arracher les vignes, puis à les replanter, à distiller les récoltes excédentaires pour en faire du mauvais alcool, tout ça aux frais des contribuables, comme de bien entendu. Et les choses n’allaient pas mieux. C’est alors, en pleine dépression générale, qu’une lueur d’espoir apparut dans le ciel européen.
Avec le Marché Commun agricole et la libre circulation des produits tout allait s’arranger comme par miracle. Finie la surproduction. Finie la mévente. ’-’Europe verte d’abord, le monde.-entier ensuite, allaient s’arracher nos choux-fleurs, nos camemberts et surtout, surtout, nos vins prestigieux. Toutes ces bonnes choses de chez nous, que les étrangers ne connaissaient que par ouï-dire, ils allaient s’en empiffrer, les goinfres, après les avoir payées en bons dollars. Et c’est des dollars qu’on veut.
La France était sauvée. Ou tout comme.
Eh bien, c’est raté. Que reste- t-il aujourd’hui de ce beau rêve  ? Le souvenir d’une belle occasion perdue.
Si nos viticulteurs, et tout ce joli monde d’affairistes qui gravite autour de la vigne, n’avaient eu pour unique souci que de gagner du fric, beaucoup de fric, et vite, au lieu de faire pisser la vigne, comme on l’a fait, ils auraient peut-être recherché la qualité, et l’on n’en serait pas là aujourd’hui. Le vin français a’, perdu sa belle réputation, même en France.
Sait-on tout arrive à se savoir - que par la chaptalisation, c’est-à-dire l’introduction de sucre dans le moût, on augmente considérablement la production en rendant de la piquette ou de la bibine presque buvables ? Et s’il n’y avait que la chaptalisation  ! Sait-on qu’au moyen de procédés douteux, mais plus ou moins légaux, le bourgogne bu par nos seuls amis anglais équivaut au double de ce que produit la Bourgogne ? Que les Parisiens boivent plus de beaujolais qu’il ne s’en récolte ?
Je ne parlerai que pour mémoire des quelques scandales retentissants dont Bordeaux, capitale du vin ; a été le théâtre, scandales sur lesquels le silence est vite retombé. Oui, l’image de marque des grands crus français en a pris un sacré coup, ces derniers temps.
Et le beaujolais nouveau ? Vous l’avez goûté le beaujolais nouveau ? Il avait fait un boom terrible depuis que les Amerlocs l’avaient adopté. OutreAtlantique on se l’arrachait à prix d’or. Eh bien, c’est fini. Ils ont compris les Amerlocs. Ils reviennent au coca-cola. Voilà que les plus grands restaurants de New-York ont décidé de ne plus afficher : « Le beaujolais nouveau est arrivé ».
Mais alors, la bataille de la Marne contre l’inflation qui est engagée, comment va faire M. Barre pour la gagner ?


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