Le chômage


par  G. GILET
Publication : avril 1981
Mise en ligne : 24 octobre 2008

« LA guerre économique, ouverte verte au nom du libéralisme, n’éventre pas les maisons comme les obus de la guerre militaire, mais elle broie également des êtres de chair et de sang. Ils défilent en criant « ASSASSINS » et « DU TRAVAIL ». Les travailleurs en appellent de la sentence qui leur est infligée. Sommes-nous du bétail pour être condamnés à la transhumance, afin de trouver une maigre pâture ? interroge le maire d’une commune de la région de Denain, dans « F.O. magazine ».
Des gens titrés, compétents, haut placés, ne perdent aucune occasion de rappeler que nous sommes en état de guerre économique appelée à s’exacerber.
Vouloir créer des emplois, alors qu’à l’aube du micro-processeur, les techniciens et les ingénieurs par leurs innovations technologiques, s’acharnent à en réduire le nombre, conduit à une politique de fuite en avant et représente une monumentale contradiction qui devrait être unanimement perçue.
Le droit au travail est, dans ce contexte, devenu une exigence périmée en raison de la raréfaction croissante du travail. Pourquoi continuer à revendiquer l’exercice de ce droit, dans un système dont la nature des moyens mis en oeuvre pour en assurer l’existence et la pérennité vise, au contraire, à la faire disparaître ? Il n’est que de regarder, d’écouter et de réfléchir. Grâce à un ensemble de mécanismes coercitifs, puissamment et savamment établi, entretenu et développé, le mouvement syndical, divisé, déprimé et «  concurrencé » est de moins en moins en mesure de le maîtriser et de le contenir. Il devrait plutôt nous inciter à en tirer des conséquences originales Ainsi le chômage ne serait pas le fruit amer des caprices d’un hasard fantaisiste ou malintentionné.
A l’évidence et de plus en plus, les uns travaillent trop, les autres pas assez. Une diminution progressive et une meilleure répartition du temps d’occupation s’imposent chaque jour davantage. Une solution satisfaisante ne saurait être trouvée - si elle existait vraiment, elle le serait déjà - qui ne prendrait pas en compte cette vérité qui relève de la simple logique, mais dont notre régime, pour des impératifs bien connus, ne peut fondamentalement s’accommoder.
D’où la nécessité de le transformer, en levant ce blocage et cette contradiction. Et de développer des attitudes nouvelles à l’égard de l’emploi, et, par corollaire, en faveur du travail, qu’il devient urgent de désacraliser pour le confort moral des chômeurs.
Cela requiert, bien évidemment, dans nos pays développés, un mode de répartition des ressources et des richesses produites, différent de celui résultant de l’application des règles économiques et financières traditionnelles. Un mode qui ne soit plus soumis obligatoirement à la dure loi du rapport TRAVAIL-ARGENT, bien atténuée, il est vrai depuis la naissance lointaine de l’antique formule « qui ne travaille pas ne mange pas ».
D’où une dissociation nécessaire entre travail et salaire, par l’instauration d’une économie distributive, seule capable de nous conduire vers une solution logique et rationnelle de nos problèmes. Elle ne serait pas le moins du monde incompatible - bien au contraire - avec les nécessités impérieuses d’économies généralisées et de croissance ralentie qui, pour la sécurité des générations à venir, se profilent à l’horizon des prochaines décennies. Elle permettrait, en outre, de se soustraire aux exigences insupportables de notre économie concurrentielle prônée par les puissants, libres de détruire en toute légalité, l’entreprise du voisin et de priver d’emploi ses salariés, redoutée par les humbles qui voudraient bien pouvoir s’affranchir ; honnie par les victimes de la lutte impitoyable que se livrent les nations en mal d’énergies mais tenaillées par la croissance et obsédées par les coûts.
Et le progrès technique serait enfin mis au service de l’homme et non l’inverse !
UTOPIE ! pensera-t-on. « C’est par les portes de l’UTOPIE qu’on entre dans les réalités bienfaisantes »*.
Lorsqu’on se trouve engagé dans une mauvaise voie, plus on avance, dit-on, plus on s’égare. Sans doute est-ce la raison pour laquelle le tunnel est en train de se muer en
labyrinthe, à l’intérieur duquel existent mille et une manières de tourner en rond et de marcher de travers ?
Le chômage, phénomène angoissant, inéluctable tant que les causes qui le favorisent progressent, est donc destiné à s’accroître inexorablement, avec les innombrables conséquences graves qui en découlent ?
Vouloir soigner nos maux en accélérant la cadence, par l’intensification et le durcissement des moyens qui les engendrent, si cela permet, provisoirement, le report d’inévitables décisions, ne pourra, en aucune façon, constituer le remède, quelles que puissent être la compétence et l’habileté du praticien chargé de l’administrer.
Thérapeutique étonnante et paradoxale ! Qui pourrait ne pas en convenir ?

* André GIDE.


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