Le plan stérile
par
Publication : 1935
Mise en ligne : 14 avril 2006
Au seuil d’un hiver gros d’angoisses et de menaces, la « Ligue pour le Droit au Travail » croit devoir rappeler à M. le Président du Conseil, et, au delà de lui, h l’Opinion, que les difficultés actuelles n’ont aucun caractère politique. Elles échappent aussi è. tous remèdes et recettes de l’ordre monétaire, financier ou budgétaire. C’est dire qu’elles se placent tout entières dans le plan économique et social.
A cet égard le Gouvernement est muet comme une carpe, et si on le pousse de trop près, il donne le change en passant à l’invective politique. Telle est la morale des deux derniers discours radio-diffusés de M. Doumergue.
Ainsi, non seulement le Gouvernement est en peine de solutions qui continueront à le fuir inexorablement, mais il ne sait quelle attitude prendre vis-à-vis des problèmes qui requièrent ces solutions. En dépit de ses efforts de maintien, cette attitude est scandaleuse parce qu’elle refuse à l’Intelligence le minimum de satisfactions dont, en tout temps et en toute occasion, cette dernière exige le tribut.
Cette politique gouvernementale qui
consiste à mettre la lumière sous le boisseau,
inspire deux sentiments :
d’abord, une profonde pitié pour
l’impuissance totale dont le mot « Trêve »
porte en lui-même l’aveu ;
ensuite, une grande Indignation, née
de ce fait que la moindre réflexion assigne
à toutes les misères, à toutes les tortures de
l’Epoque, pour douloureuses qu’elles soient,
une origine ridicule. Elles tiennent, tout
entières, dans le retard apporté par l’homme
à prendre conscience des transformations
sociales qui sont la conséquence du développement de son génie technique. La
« Ligue pour le Droit au Travail » dénonce,
comme la plus honteuse des impostures, l’idée qu’un
divorce permanent puisse
s’établir entre les forces de
production ramassées par l’homme dans sa main puissante,
et les constitutions économiques et
sociales par quoi s’exprime, à tout moment, la
Civilisation. En représentant qu’il n’existe
et ne saurait exister de ces constitutions
qu’un seul type - le leur - hors duquel
tout serait chaos et barbarie, les conservateurs
sociaux, en l’espèce M. Gaston Doumergue,
font une besogne pendable, au sens
littéral du mot, parce qu’elle appelle et excuse
toutes les représailles par quoi se signalent
les Révolutions. Sans tenir bureau
philosophique, la « Ligue pour le Droit au
Travail » constate et enseigne que, depuis
que le monde est monde, l’homme suit constamment
derrière ses outils, et qu’à chaque
allongement ou perfectionnement de l’outil,
il doit réaliser une adaptation sociale qui
est une sorte de rançon de son génie.
Constamment douloureuse en son principe,
puisqu’elle fait échec aux privilèges des
élites
et au dressage des masses populaires,
cette
adaptation est la condition du
progrès, lequel est la condition de cet
épanouissement
de la civilisation dont les
conservateurs sociaux prétendent aujourd’hui tenir et
déterminer la limite sur type « ne varietur »
choisi et approuvé par eux. Contre cette
stupidité à laquelle les forces de coercition
sociale ne peuvent apporter qu’un appui
passager, la « Ligue pour le Droit au
Travail » réclame, répétons-le, une société
conformée à la puissance de l’homme, pour les
mêmes raisons qu’un chapeau doit être
conformé au volume de la tête qu’il abrite. Or
notre société nous va comme un bourrelet
d’enfant à une tête d’adulte.
Pour remédier à cette contradiction, que nous offre le Gouvernement de M. Doumergue ? Trois choses : un projet de réforme constitutionnelle de l’Etat, qui est une baliverne, puisque c’est toute la Société qu’il faut changer. A côté de cela, un vain serment sur la monnaie et un faux équilibre budgétaire. Il se place donc, entièrement, dans ce que nous appelons « le plan stérile ». En termes populaires, disons qu’il n’est pas à. la page.
Ni Duboin, ni mol-même, ne sommes suspects de vouloir à tout prix que cela change ». Mais nous savons qu’il faut que « cela change ».
Certes, nous aimerions mieux qu’il n’en fut pas ainsi. Mais nous n’avons pas le choix. Et nous ne sommes pas assez bêtes pour penser que la conservation sociale dépend de notre attitude. C’est là. pourtant le thème des discours S. O. S. de M. Doumergue : « Cela dépend de vous ». Cette imposture nous révolte alors que nous professons que les destins sont tellement clairs qu’il n’est pas besoin, pour qu’ils s’accomplissent, que vous compreniez ou ne compreniez pas. Ceci est la mesure de notre sincérité, de notre conviction, de notre sérénité.
Mais tout ce qui ne sera pas compris devra être cruellement acheté ou expié.