Les lecteurs ont droit à la verité
par
Publication : septembre 1976
Mise en ligne : 7 mars 2008
« La Grande Relève » revient de
très loin. Et elle n’est pas encore tout à fait sauvée
d’une entreprise délibérée d’en suspendre définitivement
la publication. Le dernier numéro (737, de juillet dernier) était
prêt, chez l’expéditeur (l’entreprise « La Quotidienne
», 37, rue du Chemin Vert à Paris) pour être envoyé
à temps de façon à ce que les abonnés l’aient
avant les grands départs en vacances.
Mais pour empêcher à tout pris cette expédition,
les journaux ont été purement et simplement subtilisés
chez le routeur ! Nous avons été obligés d’envoyer
par nos propres moyens la totalité (insuffisante) des «
bouillons ». Ainsi la plupart des abonnés ont reçu
un exemplaire, même si c’est, hélas !, avec un mois de
délai.
En leur exprimant ici nos excuses pour ce retard, je crois que je ne
peux pas cacher aux lecteurs la vérité, car ils y ont
droit, aussi invraisemblable qu’elle apparaîtra peut-être
à certains.
Qui veut supprimer la « Grande Relève », comment
et pourquoi ?
Qui ? Celui qui l’avait accaparée progressivement, après
que Jacques Duboin ait renoncé, vu son âge et le déclin
de ses forces, à en rédiger l’éditorial : Charles
Loriant.
Comment ? D’abord très adroitement. Charles Loriant est venu tout
simplement se joindre à l’équipe de rédaction formée
entre autres de : Marcel Dieudonné, Madame Wittwer, Marcel Dubois,
Raymond Meurisse, le général Lasserre, etc... Puis, se
substituant délibérément à Madame Euvrard
qui assurait alors la liaison entre cette équipe et J. Duboin,
C. Loriant est intervenu pour se faire envoyer à son domicile
personnel les textes destinés au journal. Il a ainsi fait office
de rédacteur en chef et s’est permis, à ce titre, diverses
censures qui n’ont pas toujours été appréciées
par les rédacteurs. La plupart de ceux-ci ont réagi en
cessant leurs envois. Les autres ont ensuite été «
mis à la retraite » du journal par le nouveau maître.
Cette manoeuvre aurait pu être explicable si elle avait été
destinée à renouveler l’équipe de rédaction
en la rajeunissant. Mais il faut se rendre à l’évidence
que telle n’était pas l’intention de son auteur. Aucune équipe
n’a été reconstituée et ceci explique pourquoi
les derniers numéros contiennent tant de reproductions d’articles
parus auparavant dans différents périodiques, avec parfois
plusieurs années d’intervalle.
La mort du fondateur du journal a posé la question de sa succession.
Jacques Duboin a laissé à ce sujet un testament incontestable
mais qui ne correspondait pas aux vues de C. Loriant, qui s’est, par
conséquent, opposé à sa publication. Et pour être
sûr qu’il ne pourrait être publié dans le numéro
spécial consacré à la vie et à l’oeuvre
de J. Duboin (qui devait être le n° 736 de juin), celui qui
se prétend son successeur décida tout simplement qu’il
n’y aurait plus de « Grande Relève ». Et il fit tout
pour cela.
Ni ma Mère ni moi ne pouvions accepter que les dernières
volontés de mon Père soient ainsi bafouées, ni
même que soient détournés le montant des abonnements
en cours et les sommes versées à la souscription «
Pour que vive la Grande Relève ». Cette attitude révoltante
était indigne de ceux à qui J. Duboin a tant apporté.
Il restait alors TROIS JOURS pour rédiger un numéro, à
temps pour être distribué avant le 1er août. Ce court
délai ne nous permettait pas de faire appel à tous ceux
qui, bien que disposés à nous aider, n’étaient
au courant de rien et pour la plupart, loin de Paris. De plus, Charles
Loriant, par lettre recommandée et sous peine de me poursuivre
en Justice, me fit toute une liste d’interdictions : « en aucun
cas, le journal ne peut se référer au M.F.A..., il ne
peut être question de porter mention du siège du M.F.A...,
ni de toute rubrique « Vie du M.F.A. » ou « Vie des
G.S.E.D. », etc... ».
Tout en estimant ceci absurde, nous avons préféré,
dans l’immédiat, en tenir scrupuleusement compte pour éviter
un procès aussi stupide qu’inutile. Avec toutes ces difficultés
à surmonter, sortir le numéro était une gageure.
Nous avons réussi, à quatre. Et nous nous réjouissions
déjà d’avoir tiré La Grande Relève d’un
mauvais pas.
C’était, hélas ! sous-estimer la détermination
de C. Loriant ! Celui-ci n’hésita pas à aller chez le
routeur et, par intimidation, à se faire remettre les journaux
prêts à partir.
Et ce n’est pas tout. Il n’hésita pas plus, en même temps,
à m’intenter un procès au nom (?) et aux frais du M.F.A.,
en demandant au Tribunal de Paris de mettre le journal sous séquestre
! Le procès en référé fut fixé au
6 août. Il était ainsi définitivement exclu que
le journal soit distribué dans les délais.
Bien entendu, Charles Loriant fut débouté de sa demande
absolument sans fondement. Ce jugement a confirmé mon droit de
diriger la rédaction de « La Grande Relève ».
Le Juge lui intima même l’ordre exprès de restituer au
plus vite les journaux qu’il avait osé emporter, sous peine d’être
poursuivi pour vol.
Que croyez-vous qu’il fit ? Aussi incroyable que cela soit, le 25 août
les journaux n’étaient toujours pas rendus. Nous ne disposions
donc que des « bouillons », prévus comme à
l’habitude aux fins de propagande. C’est pourquoi nous avons entrepris
de les expédier, découpant et rédigeant les bandes
d’envoi à la main, et en les affranchissant au tarif fort car
nous ne pouvions pas ainsi bénéficier du tarif réduit
attribué au routeur. Comme devoir de vacances, ce ne fut ni agréable,
ni rapide, ni économique. De plus, nous n’avons pas eu assez
d’exemplaires pour tous les abonnés.
***
Reste la troisième question : pourquoi ? Charles Loriant l’a annoncé lui-même incidemment au Comité Directeur du M.F.A. : il veut lancer SON propre journal. II n’est pas encore bien fixé sur le titre. Aux dernières nouvelles ce serait soit « Feu Vert », en reprenant ainsi celui de J. Godeau, soit « Tous Ensemble ». Ce journal ne ressemblera pas à La Grande Relève, telle que l’a conçue et si bien maintenue pendant plus de quarante ans Jacques Duboin. Ce qui devrait pourtant prouver que la formule était bonne. Non. D’après les termes mêmes de D. Rochereau, c’était un « torchon ». Le nouveau journal doit être l’organe de ralliement de tous les groupuscules que C. Loriant a entrepris de réunir, espérant ainsi devenir, probablement, le leader incontestable des contestataires. Et s’il y parvient avant les prochaines élections présidentielles... qui sait ? Il aurait su faire tellement mieux que R. Dumont !
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Je ne voudrais dissuader qui que ce soit d’entreprendre un travail utile. Et si C. Loriant croit qu’un nouveau journal est nécessaire à rassembler les diverses associations auxquelles il s’intéresse, qu’il entreprenne de le lancer, avec ses amis. C’est son affaire. Mais attention : que ce ne soit pas « La Grande Relève » qui en fasse les frais ! Ses abonnés et tous ceux qui versent à la souscription « Pour que vive la Grande Relève » n’accepteraient pas que leurs versements soient détournés. Et on n’a pas idée de décider ainsi de les mettre devant le fait accompli ! D’autre part, La Grande Relève, sous sa forme originelle, avait fait ses preuves. Elle a survécu même à la dernière guerre. Combien d’autres périodiques d’opinion ont réussi ce tour de force ? La Grande Relève avait su garder une large audience, compte tenu de son domaine très spécifique. Elle peut encore faire un travail utile de propagande pourvu qu’elle s’ouvre plus largement à tous ceux qui sont prêts à agir pour un avenir meilleur, plus intelligent, mieux adapté aux moyens de notre époque, en un mot à tous ceux qui veulent continuer l’oeuvre impulsée par son fondateur. Les conditions économiques, mieux que jamais encore, nous donnent raison. Ce n’est pas le moment d’abandonner le meilleur outil de propagande que nous possédons. C’est au contraire celui de consacrer un maximum d’efforts pour en augmenter la diffusion.
***
L’union faisant la force, il est évident que nous aurions tout à gagner d’un rassemblement des contestataires, à condition bien sûr, que celui-ci se fasse dans le but de réclamer avec nous l’économie distributive. car c’est à notre avis la seule façon de mettre fin aux contraintes absurdes et nuisibles de la société contestée par ces groupuscules. Malheureusement, l’expérience que me donnent mes contacts professionnels avec les étudiants, me fait prévoir deux gros écueils à ce ralliement. Le premier résulte d’un défaut dont ces jeunes n’ont hélas pas le monopole : ils ne sont pas enclins à prêter attention à d’autres façons de voir que les leurs. Leur refus de certains aspects de la société constitue pour eux un préalable à l’élaboration d’un programme de société. Ainsi ne sont-ils pas prêts à écouter des propositions constructives. Le second obstacle provient d’une qualité qui compense largement ce défaut et que C. Loriant a bien tort de sous-estimer : c’est leur refus de se laisser guider. On n’impose plus, surtout depuis Mai 68, son point de vue, si bon soit-il, aux jeunes. Et je crois que les moins jeunes ont eu l’exemple du fascisme pour comprendre les dangers qu’il y a à confier le destin d’une société, quelle qu’elle soit, à un leader, fut-il un meneur de foule, prodigue en mirifiques promesses. Ce besoin de juger, de décider, de fixer soi-même son programme est un incontestable progrès. Ceci explique que les associations que C. Loriant veut rassembler, entendent chacune conserver le droit à l’autodétermination de ses buts et de ses méthodes. Ainsi leur réunion ne peut-elle venir que d’elles-mêmes et personne ne doit espérer la leur imposer, fut-ce avec les meilleures intentions du monde.
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Ce désir de juger par soi-même en refusant toute pression se situe parfaitement dans la ligne que doit suivre notre action de propagande. Ceux qui ont vraiment compris le message humaniste de Jacques Duboin savent bien qu’on ne saurait présenter l’économie distributive comme on lance un nouveau produit sur le marché, ou comme le programme trop précis d’un nouveau parti politique ou d’un nouveau syndicat. Notre action se situe sur un autre plan parce qu’elle répond à un besoin bien plus fondamental. Elle consiste d’abord et avant tout à aider nos contemporains à comprendre l’absurdité économique dans laquelle ils vivent et, pour cela, il leur faut s’affranchir de bien des idées reçues ou inculquées dans un but intéressé. Nous n’avons pas mieux à faire que de les aider à démolir un mur de préjugés qui les entoure, les submerge et les aveugle. Car nous savons bien que lorsqu’ils seront arrivés à voir les choses de leurs propres yeux, à juger par eux-mêmes et à chercher en toute objectivité quel est le régime économique qui est le mieux adapté à notre époque et à nos moyens, ils n’auront plus aucun mal à comprendre l’économie distributive. Nous pourrons alors la leur présenter comme une suggestion, en les laissant libres d’imaginer mieux. Et nous sommes libres de douter qu’ils y parviennent !
Ici, un aveugle qui va droit vers le précipice.
Là, des jeunes gens, sur le bon chemin, hésitent à
marcher main dans la main.
QUI FAUT-IL AIDER ?
***
Que faut-il pour contribuer efficacement à
cette véritable libération des esprits ?
D’abord un gros effort personnel et certaines qualités : de la
psychologie pour deviner les blocages de l’interlocuteur : elle s’acquiert
avec l’expérience ; du bon sens : c’est, dit-on, la chose du
monde la mieux partagée ; de la persévérance :
la certitude de faire oeuvre utile et la preuve quotidienne que nous
sommes sur la bonne voie nous l’apportent.
Et puis il nous faut à tous l’outil exactement adapté
qu’était et que doit redevenir la « Grande Relève
» : ses colonnes doivent nous apporter le soutien théorique,
la documentation qui nous permet d’actualiser nos arguments, et le moyen
de concerter nos efforts.
Alors ne jetons pas le manche après la cognée !