Quels que soient les noms et les étiquettes des députés qui formeront le parlement européen après les élections du 18 juin prochain, leur première tâche consistera à déterminer et appliquer un nouveau style de travail et de comportement. Car si l’on fait abstraction de quelques personnalités à forte puissance de rayonnement, le titre de parlementaire européen n’était jusqu’à présent, pour beaucoup de titulaires, guère plus qu’une mention honorifique sur leur carte de visite et un insigne de figurant sur la scène internationale.
Pour bon nombre de dirigeants de la vie politique dans
les grands pays de la Communauté, et pas des moindres, l’hémicycle
de Strasbourg était une sorte de lieu de retraite pour vieux
routiers devenus encombrants, de stage d’attente pour jeunots non encore
aguerris ou encore un centre d’expérimentations politiciennes
hasardeuses.
Notamment une partie non négligeable des 81 élus qui représentaient
la France à Strasbourg et Luxembourg a fait preuve jusqu’à
présent d’un manque de pugnacité et d’influence chaque
fois qu’il aurait fallu critiquer les directives de la Commission de
Bruxelles, défendre nos intérêts et nos aspirations
face à nos partenaires. Trop souvent absents de l’hémicycle
et disséminés au sein d’une demi-douzaine de groupes,
ils donnaient parfois l’impression de n’être que de pâles
nébuleuses au firmament de l’Europe naissante.
Or, ce manque de prise de conscience a eu pour conséquence que
la Communauté est en passe de se trouver livrée pieds
et poings liés au technocratisme de la Commission de Bruxelles.
Certains errements de la politique agricole, notamment en matière
de surplus, donnent une idée de l’urgence d’un contrôle
effectif parle Parlement.
L’Europe n’a plus que faire des rêveurs, des
utopistes et des bricoleurs. Ce qu’il lui faut, ce sont des travailleurs
de fond, des hommes et des femmes de terrain compétents, capables
et efficaces pour bien préparer et organiser le grand marché
commun qui s’ouvrira le premier janvier 1993 ; c’est-à-dire pratiquement
après-demain I Mais il faudra aussi des penseurs réalistes
capables de stratégies alternatives en fonction des hypothèses
- hautes ou basses - susceptibles de se réaliser dans le monde
à court ou moyen terme.
Il faut en finir une bonne fois pour toutes avec les querelles byzantines
et hypocrites comme celle concernant le siège du Parlement où
parmi bon nombre de tenants du transfert à Bruxelles, la situation
géographique de la cité alsacienne et de discutables difficultés
d’accès ne sont que de nobles prétextes avancés
pour cacher des motivations moins avouables, à savoir l’absence
quasi totale à Strasbourg de vie nocturne et d’attractions ludiques
suffisamment variées.
Un seul reproche serait justifié à condition que l’on
puisse prouver que la situation est meilleure à Bruxelles, à
savoir l’insécurité sur la voie publique. Mais là,
on peut faire confiance à Catherine Trautmann qui vient d’être
élue maire de Strasbourg et qui, à en juger d’après
ses premières mesures d’assainissement, est bien consciente du
problème et décidée à y remédier,
même si cela fait grincer des dents certains de ses détracteurs.
Etre député européen implique la volonté de s’investir à plein et de travailler d’arrache-pied sur le chantier communautaire. C’est avoir l’oeil sur la Commission de Bruxelles avec un esprit à la fois critique et constructif, et faire des propositions cohérentes aussi bien pour résoudre des problèmes pratiques que pour donner à la construction de l’Europe le niveau politique ainsi que la tenue culturelle qui lui manquent encore. Et tout cela en faisant table rase des mesquineries politicardes qu’il faudrait pouvoir éliminer à tout jamais de la pratique des affaires publiques.
1) L. Fabius, dans un interview à l’Est Républicain de Nancy, daté du 9 mai, a déclaré : "La représentation française ne parle pas toujours assez haut au Parlement Européen... Cette situation est dommageable, je suis bien décidé, dans le futur, à agir personnellement pour l’améliorer".