Sur quelle planète vivons-nous ?


par  A. PRIME
Publication : juin 1989
Mise en ligne : 13 mai 2009

J’avais en tête le titre de cet article -et quelques idées- lorsque j’ai regardé le Grand Echiquier du 25 avril : "Les Printemps de Béjart". Jacques Chancel présentait Béjart bien sûr, mais aussi ses invités, Cousteau et deux jeunes étudiants qui ont eu l’idée de créer une Association "portée" par un badge "Casse pas ma planète". Génial ! On pense évidemment à "Touche pas à mon pote".

Béjart, à qui Chancel faisait remarquer combien ses ballets étaient écologiques et militants, précisait, avec l’exaltation et l’humilité des vrais créateurs :
"Si on détruit les océans et les mers, c’est comme si on détruisait mon sang.. La vie de la planète, c’est la seule chose importante". Et Cousteau martelait "Pour profiter de l’Univers, nous ne voulons pas seulement survivre, nous voulons vivre".
L’idée de départ de cet article était la prestation de Cousteau à "7 sur 7" le 16 avril. Il s’était montré très pessimiste, malgré l’espoir qu’avait pu faire naitre en France la belle victoire des verts aux récentes municipales :
"Je ne veux pas donner vraiment de l’espoir. Je ne veux ni affoler ni rassurer les gens. Si je les rassure, ils risquent de ne plus lutter pour que la Terre continue d’être habitable par nos petits-enfants. Je tiens en outre à ajouter que si je conserve l’espoir, il n’est ni logique ni rationnel. Logiquement, et tous les ordinateurs consultés le confirment, il n’y a aucune chance pour les terriens de survivre à plus ou moins brève échéance. Par fortune, en ce domaine, parfois la réalité s’obstine à ne pas se conformer aux prévisions les plus indiscutables...
... La pollution, le mot a beaucoup servi. Je préfère le mot "saccage". On est en train de saccager délibérément cette boule qui tourne dans l’espace et où la vie s’est installée depuis quatre milliards d’années ".

Sur quelle planète vivons-nous, en effet ? D’un côté, des gens qui luttent, qui sacrifient leur vie pour que l’homme qui, depuis quelque 200 ans, à travers le progrès technique, a créé le meilleur et le pire, choisisse enfin le meilleur avant qu’il ne soit trop tard... et il est déjà tard ! Du côté du pire, les charognards du progrès qui n’ont en tête que le profit, l’ambition, la jouissance sans aucun souci de l’homme et de son environnement : ceux qui font et nourrissent les guerres, déforestent à tout va (voir encadré)  ; ceux qui vivent sur la misère du Tiers-Monde, la mafia de la drogue et les banques qui en blanchissent l’argent ; les constructeurs automobiles qui partent en guerre contre les pots catalytiques au nom de la compétitivité, les Japonais qui refusent d’arrêter le massacre des baleines, etc ... etc...

Les risques

Cela dit, il faut être bien conscient du fait que le progrès technique, même s’il se développait dans une société humaniste, générerait tout de même des nuisances préjudiciables à la planète. Dans l’état actuel des choses, les plus grands dangers (en dehors de la destruction atomique) sont les suivants :
1. Risque de réchauffement, dû essentiellement au gaz carbonique, donc à la combustion des produits énergétiques non renouvelables charbon, hydrocarbures dont la consommation, déjà fabuleuse, suit une courbe exponentielle. "L’effet de serre" ainsi créé pourrait conduire dans 50 ans à une augmentation moyenne des températures de 1,5 à 4,5 degrés, relevant ainsi le niveau des mers, par fonte des glaces polaires, de 20 à 140 centimètres. N’oublions pas que la planète ne compte qu’un sixième de terres émergées et qu’un tiers en gros seulement sont cultivables. Aux inondations, il faudrait ajouter l’accroissement de la désertification, les températures continuant à s’élever. On imagine le drame avec une population qui pourrait doubler...
2. Risque concernant la "trouée" dans la couche d’ozone  : nouvellement découvert, ce risque a rapidement sensibilisé l’opinion. Avec les produits de substitution, les décisions prises par les gouvernements, on peut espérer que ce danger majeur sera maitrisé, sinon totalement jugulé.
3. Les pluies acides sur les forêts, les plantes, les excès d’engrais qui polluent nappes phréatiques, rivières et mers, jusqu’aux pôles par les courants ; de même, les déchets de toutes sortes, chimiques ou nucléaires ; les usines nucléaires enfin, dont Tchernobyl a montré le danger réel.

En ce qui concerne les points 1 et 3, des progrès considérables peuvent être faits pour diminuer leur nocivité. Le capitalisme lui-même, sous la pression de pollutions intolérables, a su trouver les parades : Londres, Pittsburg.. Malheureusement, trop souvent, en régime marchand, la compétitivité prend le pas sur l’intérêt collectif : M. Calvet, en ce qui concerne les pots catalytiques, a bien contraint Brice Lalonde, Ministre de l’environnement d’un gouvernement "socialiste", à se rétracter.

Et la démographie galopante

Mais il est un autre danger majeur, une autre "pollution" (j’écris entre guillemets) très grave, c’est la démographie galopante, notamment dans les pays pauvres. Même avec une politique drastique de contrôle des naissances, il ne faut pas oublier, par exemple, que le Japon est passé de 70 à 120 millions d’habitants en 50 ans et la Chine de 440 millions à un milliard 100 millions en 40 ans (près du quart de la population mondiale).
Que dire alors des pays où la misère, la religion, créent les conditions d’une démographie quasi exponentielle ? Josué de Castro disait : "Le lit de la misère est fécond". On note une relative diminution de la mortalité infantile dans les pays du TiersMonde, notamment grâce à la vaccination.

René Dumont, dans son livre "Un monde intolérable" avance des chiffres qui donnent le frisson. En 1930, la planète comptait 2 milliards d’habitants ; 5 aujourd’hui et on prévoit 10 milliards au seuil d’une hypothétique stabilisation. La population des pays pauvres, estimée à 2 milliards 600 millions d’habitants, croit trois fois et demie plus vite que dans le reste du monde. Si l’Asie, l’Amérique latine et l’Inde ont commencé à voir leur taux de croissance diminuer ces deux dernières décennies, l’Afrique "continue à descendre vers le septième cercle de l’enfer" écrit Dumont. Il faudrait investir 12% du revenu, rien que pour maintenir le niveau de vie actuel. Les prévisions à long terme des experts des Nations-Unies estiment que les choses étant ce qu’elles sont, la population du Nigéria -103 millions actuellement -ne se stabilisera que vers l’an 2050 à 530 millions, le Kénya de 20 à 110 millions, etc...

Utopie ?

Dans ces conditions, on peut être tenté de poser à certains distributistes et hommes de progrès (socialistes, communistes, mondialistes, écologistes...), au figuré, la question "Sur quelle planète vivent-ils ? La planète utopie ?".

Face à tous nos détracteurs, aux sceptiques, il faut sans hésiter, affirmer avec force qu’un jour ou l’autre, sauf autodestruction de la race humaine, les thèses distributistes seront appliquées, quelles qu’en soient les modalités. Dans ce domaine, les utopistes sont ceux qui pensent que le désordre actuel -saccage de la planète au nom du profit, misère- peut perdurer.

Par contre, il n’est pas raisonnable de prétendre que le progrès, même au stade atteint à ce jour, peut amener demain -ou même après-demain- l’abondance pour tous, surtout si la population passe de 5 à 8 ou 10 milliards d’habitants. Forts de l’argument gel ou destruction de richesses (lait, viande, beurre...), face à la faim vraiment insupportable des pays du Tiers-Monde, nous avons trop tendance à transposer l’abondance au niveau planétaire.
Bien entendu, notre souci numéro un est que tout le monde mange à sa faim et qu’il n’y ait plus chaque jour 20.000 morts par malnutrition, mais ce souci est aussi celui des organisations caritatives. Il n’a rien à voir avec le projet raisonné de société universelle de l’abondance sous toutes ses formes que nous préconisons pour l’Homme : nourriture, vêtements, logement, confort, culture et loisirs.
Cousteau exprime ce projet à sa façon lorsqu’il dit : "Pour profiter de l’Univers, nous ne voulons pas seulement survivre, mais vivre " . VIVRE au sens plein ; ce que nous croyons être le destin de la race humaine (on ne peut admettre : vie pour les pays riches, survie pour les pays pauvres). Pour celà, deux conditions incontournables :
1. Que cesse le saccage de la planète
2. Que cesse le développement démographique actuel du TiersMonde.

Sinon, jamais notre société distributive de l’abondance ne verra le jour. Dans des conditions idéales, et dans un premier temps, deux problèmes à la rigueur pourraient être résolus :
" la nourriture, au moins minimale, de tous les habitants de la terre : cultures en serres, hors sol, avec irrigation (graves difficultés dans certaines régions), cultures vivrières.
" l’énergie. Les ressources du soleil sont inépuisables. Il suffit de s’y atteler, de vouloir les utiliser sans but mercantile. Il y a 20 à 25 ans, les "spécialistes" disaient  : " Au mieux, le nucléaire représentera 2% de l’énergie électrique produite à la fin du siècle". Or, à ce jour, elle atteint 35 à 60% selon les pays. Nous entendons aujourd’hui le même refrain en ce qui concerne le solaire et autres énergies alternatives : 2% à la fin du siècle. Si les intérêts liés à l’exploitation de l’énergie actuelle n’existaient pas, gageons que le solaire et autres, représenteraient 30 à 40% à la fin du siècle et pourraient remplacer le nucléaire.
Et un jour, la fusion nucléaire procurera des capacités énergétiques sans limites. Espérons que les récentes découvertes de Martin Fleischmann et Stanley Pons apporteront au monde autre chose que des scoops médiatiques.
En ce qui concerne les autres besoins des hommes, il faut se poser sans passion des questions. Les ressources de la planète ne supporteraient pas l’abondance pour tous, dès lors que ce "tous" serait en perpétuel gonflement. Je me souviens avoir été frappé, il y a 15 ou 20 ans, par un article d’Albert Ducrocq dans "Sciences et Avenir". Il imaginait que, par une sorte de coup de baguette magique, tous les habitants de la terre (à l’époque quelque 3 milliards) acquièrent le niveau de vie moyen des pays industrialisés. Et il passait en revue les principales matières premières en extrapolant leur consommation à 3 milliards d’habitants :

- le pétrole, estimé à 40 ans de réserve, ne représenterait plus qu’une dizaine d’années (les seuls Etats-Unis, avec 250 millions d’habitants, consomment 25% de l’énergie mondiale),
- les forêts (constructions, meubles,
livres, journaux) seraient rasées en quelques années,
- les mines de fer, cuivre, etc..., au mieux, quelques décennies. Et ainsi de suite.

Nous trouverons des produits de substitution, direz-vous ; nous recyclerons. Bien sûr. Mais çà ne suffira pas.

Le plastique ? Il est essentiellement dérivé des hydrocarbures. Ceux-ci disparus, plus de plastique. Là encore, produits de substitution ? A l’échelle de 7, 8, 10 milliards d’individus ? Ne rêvons pas trop...
En résumé, sur quelle planète vivons-nous, sur quelle planète VIVRONT les générations futures ? Une société d’abondance universelle est-elle possible ?

- Si le saccage continue, non.

- Si saccage et développement démographique incontrôlé continuent, deux fois non.

- Si le saccage s’arrête, mais non le développement démographique, encore non.

- Si saccage et développement démographique s’arrêtent, OUI.

Et ce sera néanmoins très difficile : le poids des écologistes -les vrais- des mondialistes, des écolo-socialistes, pourront peser lourd dans la balance.

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La Grande Relève est le journal de tous ses lecteurs. Les opinions exposées dans cet article n’engagent que moi. Je souhaite que de nombreux lecteurs nous écrivent, surtout s’ils ne sont pas d’accord, ou s’ils sont seulement réservés.


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