Par où commencer ?
par
Publication : mai 1989
Mise en ligne : 14 mai 2009
Mêmes causes...?
Les historiens s’accordent pour reconnaitre, parmi les causes de la Révolution Française, le rôle important joué par l’insuffisance de la production agricole. La famine a fait des ravages et Claude Manceron décrit la détresse des paysans en 1774 , il cite : « La livre de pain noir vaut quatre sols. Un malheureux journalier qui ne gagne que douze sols par jour peut-il vivre avec une femme et six enfants ? » car le pain était alors l’essentiel de leur nourriture et donc la base de la vie quotidienne de trois quarts des Français. Dix à douze millions d’entre eux n’avaient rien devant eux, alors que le prix du pain, depuis vingt ans, avait augmenté bien plus vite que les salaires. Et quand la récolte avait été mauvaise, plusieurs années de suite, il avait fallu faire venir le grain de très loin. Celà coûtait très cher.
Deux cents ans plus tard, comble de l’absurde, le monde rural est en plein déclin... parce qu’on lui reproche d’avoir trop produit ! De six millions à la fin du XIX éme siècle, le nombre des agriculteurs est passé à 3,9 millions en 1970 et vient de chuter à 1,4 millions. On prévoit qu’ils ne seront plus que 600.000 en 1995, dont la moitié seulement pourra continuer à vivre de la terre. Pour survivre, les autres auront dù essayer de se reconvertir... Nous l’avons dit, redit, le secteur agricole a été, historiquement, le premier touché par « ce qu’on appelle la crise », c’est à dire par le changement de civilisation que nous sommes en train de vivre. Cette crise n’est pas différente de celle qui touche tous les secteurs d’activité : elle résulte d’un formidable bond en avant des techniques de production. Mais les responsables économiques, incapables d’en prendre la mesure, s’obstinent à y appliquer des remèdes d’un autre âge alors qu’ils se révèlent totalement absurdes et catastrophiques la C.E.E. dépense les trois quarts de son budget pour maintenir artificiellement élevés les prix agricoles tandis qu’un nombre croissant de « nouveaux pauvres » ne mangent pas à leur faim, elle subventionne les agriculteurs proportionnellement à leurs productions et le nombre des « petits » agriculteurs éliminés, en faillite, réduits eux aussi à la misère ne cesse d’augmenter, enfin elle décide le gel ou favorise le « bétonnage » des terres... avec toutes les conséquences écologiques que cela entraine.
Le comble des combles du non-sens, c’est de faire passer toutes ces dépenses absurdes au nom de la rentabilité économique ! Toutes ces aides mal placées au nom de la défense de la liberté du marché !
Commencer par le primaire
Quelle honte, au XXe siècle, de sacrifier des
milliers d’existences faute d’oser prendre des mesures, dont le bon
sens est évident, mais qui ont le tort épouvantable de
n’avoir encore jamais été essayées !
Puisque le secteur agricole a été le premier touché
par La Grande Révolution (celle des moyens de production), n’est-il
pas évident que c’est par ce secteur qu’il faut commencer d’appliquer
la solution qui s’impose d’elle-même : l’économie distributive ?
Toutes ces subventions, allocations et autres dépenses que font
les contribuables, malgré eux, pour geler ou détruire,
ne seraientelles pas mieux utilisées en proposant aux agriculteurs
en faillite un contrat simple : un revenu individuel, décent,
assuré, contre l’engagement de prendre en charge leurs terres ?
Et celà aurait en outre l’avantage de sauver notre environnement
rural : abandonner l’entretien des terres, c’est laisser faire l’érosion,
c’est l’appauvrissement assuré des sols. Dans le midi, c’est
la destruction de la couverture végétale et le plus sûr
moyen de voir s’y propager de terribles incendies, on en a eu la démonstration
récemment. Et ce n’est pas seulement l’environnement naturel
qui est en cause, c’est aussi l’équilibre de la population : les
changements prévisibles des conditions de travail vont bientôt
permettre de mettre fin à la concentration des villes, le rôle
de la population agricole doit devenir aussi celui d’aménager
aux citadins qui le souhaiteront, un autre cadre de vie.
Le complément de cette politique intelligente de commencement
de l’économie distributive par l’agriculture serait le lancement
de la monnaie verte, dont nous avons déjà parlé,
et qui permettrait aux agriculteurs d’adapter la production aux besoins
alimentaires réels et non plus aux seul besoins solvables, comme
aujourd’hui.
La révolution de 1989 ?
Il semble que le monde rural soit en train de se révolter
contre les absurdités de l’économie de marché.
Ce n’est sans doute pas un hasard si j’ai reçu presque en même
temps deux témoignages. Le premier est un extrait de Ouest-France
du 31 mars, envoyé par un lecteur de Pont d’Ouilly. Il rend compte
d’une assemblée de « l’Association des agriculteurs en difficulté
d’Ille et Vilaine », tenue à Rennes « L’occasion de
dresser un bilan d’une situation dramatique pour nombre de paysans...
qui constatent que leurs droits fondamentaux sont trop souvent sacrifiés
au profit d’un productivisme et d’une restructuration qui leur échappent
».. Ils sont « déterminés à s’unir pour
faire face à la faillite de leurs exploitations et à la
perte de leur statut »... « On estime le nombre d’agriculteurs
au bord de la faillite à 1700 en Ille-et-Vilaine et à
plus de 4000 dans les Côtes-duNord »...- La création
des commissions Nallet a déçu bien des espérances »
chez ces « laissés pour compte d’une agriculture compétitive »
. Sous le titre « stopper le gâchis humain », les auteurs
décrivent le harcèlement des huissiers, les saisies de
biens personnels qui sont le lot quotidien de ces paysans - en difficulté,
d’autant qu’avec le système des cautions une faillite peut en
entrainer quatre autres. Et ils concluent « Tout ceci risque d’entraîner
l’abandon des campagnes, un véritable »génocide
culturel »... « L’Assemblée appelle ses membres à
résister face à ce qu’ils considèrent comme une
violation de leurs droits. »
L’autre témoignage m’arrive de l’autre bout de la France : la
région du Rhône. Le groupe « Objections en monde rural »
publie une circulaire dans laquelle on lit : « Les pénalités
pour dépassement de quotas laitiers sont appliquées inégalement,
frappant parfois durement les petits producteurs .. Ici des parcelles
libérées sont attribuées aux exploitations les
plus grandes, là des terres restent en friche. Les trois quarts
des exploitants âgés ne peuvent plus payer leurs cotisations
sociales et les allocations familiales sont retirées à
leurs enfants. L’obligation de compétitivité amène
les entreprises à prendre des mesures contraires à l’esprit
de solidarité.. Il est vrai qu’avec les excédents et la
concentration de la grande distribution, les prix des produits agricoles
et alimentaires sont écrasés. Celà répercute
dans toute la chaine, jusqu’au producteur, les exigences d’une efficacité
économique sans merci. Les producteurs des zones les mieux placées
supplantent ceux des zones difficiles.. De tels mécanismes risquent
d’aboutir à la destruction du milieu rural... Et la nature ne
deviendra-t-elle pas inhospitalière à tous nos concitoyens
par pollution d’un côté et par abandon de l’autre ? »
Cette circulaire venant d’un groupe d’agriculteurs chrétiens de l’Ain, de la Loire et du Rhône ajoute qu’à ce constat fait suite une prise de position : « Devant de telle situations, de telles attitudes, nous ne pouvons pas prendre notre parti, en tant que chrétiens, de l’élimination de ceux qui ne satisfont pas aux normes actuelles de la rationalité économique. L’exclusion n’est pas une fatalité. Elle est le fruit de choix politiques pris la plupart du temps au nom d’exigences économiques et financières à court terme. Les responsables politiques et professionnels en mesurent-ils les conséquences humaines et sociales ? »
Et le groupe cité conclut par un appel aux responsables
professionnels à « concevoir l’efficacité économique
comme un moyen au service des hommes et non comme une finalité
qui les élimine. »
En cette période où on parle tant de ta révolution
de 1789, le monde rural serait-il prêt à exiger son droit
à l’instauration de l’économie distributive, l’économie
mise au service des hommes et non plus l’inverse ? Est-il prêt
à prendre la responsabilité écologique du territoire,
à s’engager à produire selon les besoins tout en entretenant
la terre, contre un revenu assuré ?