Plus mais moins
par
Publication : juillet 2016
Mise en ligne : 2 novembre 2016
On ne supporte rien ; cette époque est bizarre ;
Plus rien qui nous ennuie, nous froisse ou désempare,
Plus rien qui n’ait été prévu, organisé
Dans les normes, testé, formaté, registré.
Nous sommes empêtrés dans nos contradictions,
À l’image des fruits qu’on aime hors saison.
Plus personne n’en veut, de terre dans la mâche,
Des tomates pas rondes ou pommes avec tâches
Des carottes tordues, des viandes trop lardées,
Des fraises trop menues, des courgettes arquées,
Des enfants fatigants, des pluies pas bien prévues,
Des routes biscornues, des ornières indues,
Des tours toujours plus hautes, aux records assénés,
Aux fenêtres fermées par pression condamnées.
Les chaleurs odieuses, les verglas et congères,
Sont gêneurs démodés que plus on ne tolère.
Personne ne veut boire à l’eau du robinet,
Mais on se gave avec des sodas trop sucrés.
Toujours plus d’instruction : toujours moins de bon sens.
Plus les choix sont divers, moins on a d’appétence.
Dans les étoiles on voit d’autres terres exotiques,
Sans savoir pour la nôtre, imposer une éthique.
Est-ce la faute à la ville, au manque de nature ?
La boue n’existe plus ; ni les grandes froidures.
Tout doit être soumis à notre dictature,
Mais cette anesthésie, notre vie dénature.
Tout doit être propret, policé et bien fait,
Sans effort et pratique, assuré et parfait.
Le rhume : il est odieux ! La grippe est un danger !
Les efforts : pernicieux ! Il faut se ménager.
L’imprévu : ennemi qui agresse et dérange !
Ne pas sortir des rails, éviter ce qui change,
C’est la sécurité ! En toute majuscule,
En toute majesté, l’apaisante formule.
Radars sauvant les vies…mais on les vilipende ;
On sauve les fumeurs, mais leur colère est grande.
Faune et flore en danger ? Pas un chasseur n’arrête !
On déboise à tout va, pour faire des palettes…
On veut évoluer, mais alors pas trop fort.
D’accord pour le progrès, mais juste pour confort.
Le riz trop long à cuire ou bien l’eau à bouillir,
Comme enfants trop gâtés, on voudrait raccourcir.
Le portable est le roi : mais est-il dangereux ?
La télé est partout, ses programmes piteux.
On n’est jamais content, tout nous choque et nous nuit :
Le parking est trop loin, les enfants font du bruit.
Le métro qu’on attend, le vent qui souffle trop,
Les remèdes trop lents, les escaliers trop hauts…
Sans notre GPS, nous craignons l’inconnu ;
Sans le gilet, l’airbag, nous nous sentons perdus.
Plus on veut vite aller, plus on se dit : c’est laid.
Plus on mange pressé, moins on digère gai.
Plus d’années à nos vies ? Moins de vie aux années…
Plus de médicaments ? Plus on est enchaîné !
Plus on obtient de tout, plus on désire encore :
L’envie de l’inutile est bien notre veau d’or.
Pour nous le superflu nous dit l’indispensable,
Et se rend nécessaire aux buts déraisonnables.
Entre l’avoir et l’être, on choisit sans vergogne,
Rarement nos consciences se révoltent ou bien grognent.
On oublie l’essentiel, mais on ne le sait pas ;
On n’a plus d’indulgence en dehors des schémas.
Consommons, consommons, c’est là le principal.
Toujours plus, tout pour nous voilà notre morale.
De l’électricité, il nous en faut beaucoup :
Alors, le nucléaire ??? Oui si c’est pas chez nous !
Des crèches et des foyers, jamais nous n’aurons trop :
On veut plus de social ? Mais sans payer d’impôts !
De nos médicaments, on exige bienfaits :
De leurs inconvénients, nul ne veut les effets !
A bas les dictateurs ! Mettons-les en déroute.
Défendons l’opprimé ! Oui, mais combien ça coûte ?
Nous sommes conseilleurs, professeurs de bonheur.
Nous voulons tout le beurre, aussi l’argent du beurre.
Du bonheur nous parlons en subtils praticiens ;
Heureux, nous sommes heureux ! Désespérément bien…
Pour illustrer l’article de B.Blavette, le poème ci-dessus a été choisi dans Maux à Mots de J.Grieu. Appréciant la façon dont cet auteur manie les mots, nous ne saurions trop en recommander la lecture.
Pour commander ce recueil (de 130 pages au format 24 x 16 cm), envoyer un chèque 13 euros + 4 euros (pour les frais d’envoi), avec vos nom et adresse, à Jacques GRIEU, 98 Bd Clemenceau, 76600 Le Havre.
Cet auteur se fera un plaisir de vous l’expédier.