Pour une économie de répartition

Débat : Pour qui pousse le blé ?
par  G.-H. BRISSÉ
Mise en ligne : 31 mai 2007

La première contribution à cette nouvelle rubrique nous a été adressée par Gérard-Henri Brissé. Partant de la lecture du livre, il en donne son interprétation en soulignant ce qui l’a le plus frappé, et il termine par ses propositions personnelles :

D’où vient l’argent ? Où va l’argent ? Pour quoi faire ? La réponse est étonnamment claire dans cet ouvrage de synthèse, rédigé par Marie-Louise Duboin, après de nombreuses réunions de travail avec des membres du comité local Attac78 Nord et de l’équipe du journal. Préfacé par René Passet, professeur émérite à l’Université Panthéon-Sorbonne, il est assorti d’une solide bibliographie.

J’invite le lecteur à bien s’imprégner de cet ouvrage, qui ouvre des perspectives d’évolution beaucoup plus exaltantes que les multiples mesures partielles exposées comme autant de promesses par les candidats de la campagne pour la magistrature suprême. En tout cas, il démolit un mythe, plus solide encore que l’ex-mur de Berlin, celui de la monnaie créatrice de richesses, pour lui substituer une connaissance plus approfondie des véritables mécanismes qui fondent la monnaie scripturale. On a oublié que la monnaie n’est qu’un outil visant à faciliter les échanges, et non une loterie virtuelle destinée à faire du profit !

On ne peut considérer la monnaie aujourd’hui comme un instrument au service d’un État, ce qu’elle fut effectivement naguère. N’importe quelle institution ou entreprise privée peut maintenant créer par un simple jeu d’écritures les crédits qui vont lui permettre de se développer et de servir ses intérêts propres.

Combien savent que ce transfert de pouvoir à des institutions financières ou économiques n’a eu pour effet que de creuser un peu plus l’abîme existant entre les institutions politiques et ceux qui détiennent les véritables pouvoirs financiers ? Et que la totalité de l’impôt sur le revenu ne sert qu’à rembourser les intérêts de la dette nationale ?

 Spéculation et surendettement

Car quoi qu’on en dise, l’État est de plus en plus sur-endetté, à l’instar de son maître, l’hyper-puissance américaine. Le surendettement grève le budget de tous les acteurs, de l’État bien sûr, mais aussi des régions, des départements, des particuliers dénommés pudiquement en jargon statistique, les ménages.

Pour faire face à ses échéances, l’État cède, à des consortiums privés, ses entreprises, voire même ses administrations, qui constituaient naguère les piliers de la puissance publique. Son patrimoine est abandonné au plus offrant. C’est une spirale de démolition sans fin du service public dans laquelle nos dirigeants se trouvent aspirés pour assurer leur survie.

Et le territoire, nos hameaux, nos bourgs se vident de leurs substances : adieu Postes, Télécom., services de santé, hôpitaux, salles de classe, ports, aéroports, autoroutes et, pourquoi pas, bientôt, la Police et l’Armée nationales auxquelles on substituera des milices privées ! Tout y passe ! Ah bien sûr, on pourra toujours remplacer une simple lettre par un courriel, une télécopie par le jeu d’internet, l’instituteur ou le professeur par les cours de rattrapage, les routes par le TGV ou l’avion. Tous ces beaux joujoux étant gérés par des entreprises privées, sous supervision européenne.

Un élu municipal, candidat à la présidentielle, a tiré ostensiblement et bruyamment le signal d’alarme en accusant certaines dispositions des traités européens d’être responsables de ces transferts de compétences au profit de l’hydre européenne, initiatrice du bradage des services publics nationaux. D’autres, pour des motifs idéologiques, ne disent pas autre chose en empruntant une phraséologie différente : avec, pour certains, des relents de discrimination raciale ou sexiste que l’on croyait relégués aux oubliettes de l’Histoire !

Dénoncer toutes les dérives idéologiques n’est pas l’objectif premier de l’ouvrage Mais où va l’argent ? Il est plus prosaïquement économique, même si son préfacier reconnaît que les entreprises trans-nationales acquièrent de plus en plus de pouvoirs au gré des fusions-acquisitions, qu’elles se constituent en groupes de pression ou “lobbies”, voire même en “maîtres du monde”, pour faire gagner une élection, financer des partis politiques. Il confirme qu’ainsi c’est « la démocratie qu’on assassine ».

Et il constate que cette “révolution monétariste” qui prône la régulation par la spéculation monétaire n’a pas pour autant fait avancer la lutte contre les inégalités et les injustices, ni contre la misère et la violence. Notons au passage qu’elle ne fait qu’enrichir les 358 super-riches de la planète qui disposent à eux seuls d’autant de ressources que 2,5 milliards de pauvres, qu’aux États-Unis le supplément de richesse réalisé en vingt ans (1979-1997) a été accaparé par seulement 1% de privilégiés, tandis que les salaires baissaient en moyenne de 20% (comme l’a révélé le Rapport 1998 du PNUD).

 Par delà le “toujours plus” de la “croissance”

Les attaques contre le système monétaire actuel, sous couvert du “social” mis à toutes les sauces, relèvent au mieux de la provocation verbale, elles ne peuvent que consituer des rustines appliquées sur quelque brèche d’un navire qui fait eau de toutes parts.

L’association Attac, et c’est tout à l’honneur de ses militants, a été capable de lever sur le thème de l’alter-mondialisme plusieurs dizaines de milliers d’adhérents en France, et beaucoup aussi sur tous les continents, jusqu’aux États-Unis. Elle a élevé des contre-feux au moment de conférences au Sommet, de l’Amérique latine à l’Inde, de l’Afrique à l’Europe. Mais elle n’est pas, hélas, en mesure de réaliser une synthèse opérationnelle pouvant se traduire en réalisations politiques globales. Le mouvement alter-mondialiste, qui dépasse l’ère d’influence d’Attac, est en outre partagé par des clivages partisans. Les expériences réalisées demeurent très marginales et exigent de ses animateurs une bonne dose d’investissement personnel frisant souvent le sacrifice.

De plus, des concepts tels que le développement durable, le commerce équitable, l’agriculture raisonnée, sont de plus en plus accaparés par des effets de mode, et par des modes opératoires qui s’apparentent à un “business” fort rentable.

L’esprit du “toujours plus” qui s’exprime à travers le concept de “croissance” sans limites, la “compétitivité” universelle érigée comme outil d’activité unique, secrétant un profond malaise comportemental et un déséquilibre social croissant, tout cela débouche sur le phénomène de l’avoir qui l’emporte sur l’être, l’individu, qui étouffe l’accomplissement de la personne.

Ces dérives corrosives l’emporteront-elles indéfiniment sur l’esprit de coopération, de recherche du bien-être, et d’un minimum de solidarité vraie ?

C’est à ces questions à la fois angoissantes et exaltantes que tente de répondre cette réflexion. Chaque proposition mérite à elle seule un développement approprié.

Par exemple : le transfert du pouvoir monétaire à la maîtrise politique ; le nécessaire ajustement de la masse monétaire au flux de richesses produites ; la recherche permanente des bases d’une économie cherchant à satisfaire de réels besoins au lieu de fabriquer d’éphémères gadgets ; l’élaboration du prix d’un bien ou d’un service au moment de sa production, et non après, quand c’est trop tard ; la substitution de la logique de répartition à celle de capitalisation ; la séparation entre les revenus et l’emploi, entre la gestion des biens et celle de la vie des citoyens, etc.

Il faut bien considérer que l’objectif d’une entreprise n’est pas de donner du travail. Mais que son rôle est de transformer des matières premières en produits ou services de consommation, le travail ou l’emploi n’étant qu’un moyen pour parvenir à cette fin. Cette transformation peut exiger une intervention humaine mais aussi faire appel à l’utilisation de machines de plus en plus sophistiquées.

 Pour une économie de répartition, non de capitalisation

En outre, la production aujourd’hui est l’aboutissement de recherches théoriques et d’expérimentations élaborées. C’est pourquoi l’université et les organismes de recherche jouent un rôle fondamental dans ce processus. Mais l’objectif de l’éducation nationale ne doit pas être de préparer à un métier, mais de donner “des clartés de tout” à tout récipiendaire susceptible d’être éclairé, et de s’adapter à toutes les orientations possibles [1]. Dans cette élaboration, étalée dans le temps, et qui fait appel à des équipes au moins autant qu’à un individu particulier fût-il un génie, le salariat devient de plus en plus une absurdité, voire une escroquerie.

Les salariés [2] doivent être étroitement associés à l’entreprise ou à l’institution à laquelle ils apportent non seulement leur force de travail mais leurs compétences, au même titre que les actionnaires [2] , c’est-à-dire les apporteurs de capitaux. Ils doivent recevoir en outre leurs parts de bénéfices. Il en est de même des producteurs en amont, de la clientèle en aval. C’est ainsi que l’on voit des hyper-marchés acheter du poisson, des légumes ou des fruits, pour ne prendre que ces exemples, à un prix dérisoire (concurrence oblige ?) qu’ils revendent aux consommateurs à des tarifs de plus en plus élevés, voire prohibitifs. Producteurs, salariés et consommateurs doivent avoir leur mot à dire dans l’élaboration du processus des prix, qui ne peut être laissé à la seule discrétion d’une minorité dirigeante, qui s’approprie des profits colossaux, quoiqu’ils s’en défendent.

 

L’économie dirigée par le haut, planifiée selon des critères bureaucratiques, a échoué. Elle conduit à la pénurie généralisée., à voir ce qui s’est passé dans les pays de l’Est européen notamment. Jusqu’à l’écroulement du mur de Berlin en 1989, ces régimes n’ont pas été en mesure de réaliser un challenge avec l’Ouest. Il est vrai qu’ils ne disposaient pas à l’époque d’outils de gestion informatique qui leur auraient permis d’introduire une amélioration sensible de leur gestion.

 

L’économie libérale n’a pas pour autant réussi à prendre le relais. Elle a engendré un gaspillage considérable, provoqué des inégalités sociales de plus en plus criantes. Elle n’a cessé de tendre à dévaloriser le travail soumis à des contraintes de précarité et de rendement statistique. Elle a entraîné la disparition des services publics, a fourbi des inégalités sociales de plus en plus criantes. Elle a eu un impact négatif et corrosif sur l’environnement. Elle a favorisé la spéculation financière stérile pour l’appât du seul profit. Elle a en outre contribué à dévaloriser la consommation qui devrait être soumise à des critères de qualité.

 

L’économie de répartition prendra tôt ou tard le relais des précédentes : ce mode opératoire peut réussir là où tous les autres ont échoué en mettant en adéquation production et consommation par une plus juste répartition. Il s’agit de produire pour la personne évoluant dans une société aussi harmonieuse que possible.

Ce dispositif technique, qui demande à être affiné, peut fort bien s’intégrer à la notion de “démocratie participative”, chère à une candidate au scrutin présidentiel. Encore convient-il d’être en mesure d’élaborer des perspectives de développement différentes, voire comme le suggère Marie-Louise Duboin, une prospective...

  ***

Chacun, dans un système de répartition, pourrait disposer d’un double revenu : un revenu social garanti de la naissance à la mort, accessible sur un compte spécifique par une monnaie de consommation, dont la valeur dépendrait des biens ou services disponibles sur le marché, et préalablement ciblés comme tels.

Le second revenu proviendrait de ses activités qui seraient déterminées en fonction d’un contrat civique, ou pacte anthropolitique.

Les centrales syndicales auraient un rôle important à jouer dans des Conseils économiques et sociaux, instaurés au niveau de chaque région et à l’échelon national. Y seraient représentées les organisations de consommateurs, les associations professionnelles, caritatives et de sauvegarde de l’environnement. Ces Conseils devraient avoir des représentants au sein d’un Sénat rénové.

Les principaux critères d’une économie de répartition méritent réflexion dans un environnement qui se dégrade, où le politique semble louvoyer entre impuissance chronique et tentation de légiférer dans le vide.

Mais au fait, où en est la réforme de la justice dans les promesses des candidats ?


[1La préparation, l’élaboration des filières de formation, les modalités d’accès aux différents métiers, doivent être du ressort d’un grand Ministère de la Promotion sociale, qui travaillerait en étroite collaboration avec l’Éducation Nationale et les services de l’Emploi.

[2NDLR. L’emploi de ces termes de salariés, d’actionnaires apporteurs de capitaux et de part de bénéfices, montrent qu’il s’agit ici du fonctionnement actuel.


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