Propos sur le chômage
par
Publication : juillet 1981
Mise en ligne : 14 novembre 2008
« Le Monde compte aujourd’hui plus de 30 millions de chômeurs
et leur nombre ira toujours en augmentant. En effet, le Progrès
Technique permet aux entreprises d’utiliser un machinisme de plus en
plus perfectionné qui « libérera » de leur
travail des ouvriers et des employés chaque jour plus nombreux.
Ainsi s’aggravera de façon constante le Cercle Vicieux de la
« récession »
Quelqu’un cesse de travailler, Quelqu’un cesse d’acheter...
Quelqu’un cesse d’acheter, Quelqu’un cesse de vendre...
Quelqu’un cesse de vendre, Quelqu’un cesse de fabriquer...
Quelqu’un cesse de fabriquer, Quelqu’un cesse de travailler...
On m’objectera que mes conclusions étaient vraies hier, où
l’homme privé de son travail était livré à
son malheureux sort, mais qu’elles sont fausses aujourd’hui car les
chômeurs sont secourus. Ils reçoivent, en effet, une indemnité
de chômage qui leur donne un « Pouvoir d’Achat » à
peu près suffisant pour subvenir à leurs besoins essentiels.
Mais les « indemnités de chômage » ne tombent
pas du ciel !
Ce maigre « Pouvoir d’Achat » que l’on donne au chômeur,
il a fallu le prélever, sous forme de Taxes et Impôts,
dans la poche des consommateurs qui ne sont pas encore sortis du circuit
normal de l’économie.
Donc, avec chaque nouveau chômeur qu’engendre le Progrès
Technique, disparaît le Pouvoir d’Achat d’un consommateur... et
la récession s’aggrave. » -
Les lignes que vous venez de lire sont extraites d’un rapport que j’ai
publié il y a près de 50 ans (fin 1933). Ce rapport m’avait
été demandé par Gaston Bergery, député
de Mantes, dont quelques interventions à la Chambre firent alors
sensation.
Avant de devenir cinéaste, en 1942, j’ai été, en
effet, pendant plus de 15 ans, de 1926 à 1941, industriel et
commerçant. Je me suis passionné pour les problèmes
economique qui se posaient sans cesse dans le monde, et j’ai «
vécu », tant à New-York qu’à Londres et à
Paris, les méfaits inimaginables de la Première Grande
Crise Mondiale.
Elle sévissait alors dans presque tous les pays avec une violence
bien supérieure à celle de la crise actuelle... et, je
ne sais pourquoi, personne ne paraît aujourd’hui vouloir s’en
souvenir.
Peut-être est-ce parce que personne n’a trouvé le remède-miracle
pour en sortir.
Les plus grands économistes ont été de cafouillage
en cafouillage, proposant toujours des remèdes qui étaient
pires que le mal. C’est ainsi qu’en France, le Cabinet Pierre Laval
bloqua net tout ce qui subsistait encore d’activité économique
dans le pays en instaurant sa démentielle « Déflation
» (1). Aux Etats-Unis, Roosevelt et son « Brain - Trust
» accouchaient du « New Deal » en partant dans un
sens diamétralement opposé. Ils adoptèrent une
politique joyeusement inflationniste rendant ruineuse toute thésaurisation.
Leur slogan était : « Bye now ! ». Ce « mot
d’ordre » était soutenu et commenté, dans toute :
la presse des U.S.A. par une campagne expliquant aux consommateurs qu’en
dépensant leur argent, avant même de l’avoir gagné
(ventes à crédit), ils aideraient à faire repartir
la machine économique et que cela aurait comme heureux résultat
de garantir leur emploi et d’en créer de nouveaux. Cela avait,
aux yeux de tous, l’apparence d’un raisonnement sain... et, dans un
premier temps, cela fit repartir les affaires... Mais les résultats
à moyen terme furent très décevants car, aussitôt
après le redémarrage de tout le système économique,
une nouvelle vague de ce damné « progrès technique
» - qu’aucune force humaine ne pourra jamais endiguer - fut à
nouveau génératrice de chômage et commença
à amorcer l’infernal « cercle vicieux » de la récession.
C’était, hélas, inévitable !... Les mêmes
causes - auxquelles on n’avait rien changé - produisaient nécessairement
les mêmes effets.
Non, ce n’est pas comme on le croit souvent, Roosevelt et son «
Brain Trust » qui ont sauvé l’économie américaine...
c’est la deuxième- guerre mondiale.
Non, dans aucun pays ravagé par la crise il n’y eut un homme
à la hauteur de la situation qui ait tenté quelque chose
de nouveau, de sensé, pour sortir les pays dits civilisés
de l’abominable et étouffant marasme dans lequel ils croupissaient.
Et pourtant il y eut en France un homme compétent, clairvoyant
et lucide : Jacques DUBOIN. Il avait compris les vraies causes du mal
dont souffrait le monde entier. Mieux, il en avait découvert
et révélé le seul remède. Mais, comme toujours
dans l’histoire des hommes, quand un être exceptionnel et désintéressé
voit très tôt, très juste et très loin, il
parvient difficilement à se faire entendre de ceux qui, détenant
le pouvoir et se croyant infaillibles, décident de la vérité
!
Jacques Duboin publia en 1932 « La Grande Relève des hommes
par la machine ». Je l’ai lu et relu dès sa parution. Je
viens de relire encore ce livre admirable où l’auteur analyse
de façon limpide et irréfutable les vraies causes de cette
première catastrophe économique et tout ce qu’il y exprime
est d’une actualité stupéfiante. A chaque chapitre on
constate que ce sont aujourd’hui les mêmes causes qui produisent
les mêmes effets... Et, comme il y a 50 ans, les plus grands experts
en économie se refusent encore à admettre les conclusions
évidentes de Jacques DUBOIN.
Personne n’a pourtant mieux que lui démontré que la situation
sans issue dans laquelle s’enlisaient presque toutes les nations du
monde, tenait au fait que leur régime économique de structure
échangiste était, dans ses principes mêmes, tout
à fait inadaptable à l’ère de production abondante
où le progrès technique venait de les faire entrer. Personne
n’a mieux que lui. exprimé que la seule solution efficace pour
tout harmoniser consiste à remplacer l’économie échangiste
par une économie distributive.
NECESSITE D’UNE EXPERIENCE DE TRANSITION
Nous voici donc fixés. Il n’existe au mal dont nous souffrons
qu’un seul remède : abandonner l’économie échangiste
et la remplacer par une économie distributive.
C’est ce que l’on appelle communément « un remède
de cheval I ». Et il est peut-être bon de se rappeler que
Molière écrivait : « Presque tous les hommes meurent
de leurs remèdes, et non pas de leurs maladies ».
Bien sûr, tous les lecteurs de « La Grande Relève
» - et avec eux beaucoup de Français pas tout à
fait idiots - sont certains que si une fée bienfaisante consentait
à transmuer, d’un coup de sa baguette magique, notre économie
actuelle en une économie distributive idéale, tout irait
pour le mieux dans le meilleur des mondes.
J’ai malheureusement perdu l’adresse de cette fée !
Or, parmi beaucoup de problèmes majeurs que poserait la transformation
radicale de toutes les structures économiques, le fait qu’en
1981 les économies de toutes les nations occidentales sont étroitement
solidaires...
Le fait que leurs peuples sont farouchement attachés aux principes
de l’économie capitaliste parce qu’elle leur a, dans le temps,
apporté parfois quelques bienfaits, et ils s’accrochent désespérément,
encore aujourd’hui, à ce régime dont ils crèvent,
parce que leur banquier leur répète qu’il n’y en a pas
de meilleur... Tout cela rend tout à fait impossible (il faut
en être conscient) d’obtenir d’un gouvernement quel qu’il soit,
le moindre geste dans ce sens.
Même si cette « réforme de structures » était
imposée par la plus redoutable des dictatures, cette « révolution
économique » demanderait des années avant d’être
efficace, des années pendant lesquelles règnerait une
confusion et des troubles faciles à imaginer.
Et je suis tout à fait certain qu’en exposant simplement nos
solutions incontestables et parfaites mais tout à fait inapplicables
aujourd’hui, à des hommes politiques très ouverts aux
idées nouvelles, et même à un économiste
intelligent qui consentirait à « ouvrir les yeux »
(il y en a sans doute un quelque part !), je suis tout à fait
certain que nous ne serons pas suivis.
Il importe donc, selon moi, de rechercher et de mettre au point une
« expérience d’économie distributive » limitée
à un petit groupe représentant à peine 10 % de
la population française, un petit, groupe d’hommes et de femmes
que le hasard paraît avoir mis à dessein sur notre chemin,
un groupe finalement pas si petit que ça, puisqu’il se compose
actuellement de 1 800 000 travailleurs, travailleuses et cadres sans
emploi.
Or, justement, ce groupe crée à nos dirigeants et à
leurs économistes des tas de soucis, des tas de problèmes...
et je parierais bien que si on leur proposait une solution acceptable
de ce problème-là ils nous prêteraient une oreille
attentive.
Mais, qu’est-ce que nous leur proposerons, au juste ?
Ça, vous l’apprendrez prochainement en lisant fidèlement
et assiduement « -La Grande Relève ».
(1) Jacques DUBOIN a fait avec beaucoup d’esprit, la critique de la « Déflation » prônée par Pierre Laval, dans « En route vers l’Abondance », premier vol., p. 147.