Re-légitimer les services publics
par ,
Mise en ligne : 31 mai 2010
C’est toujours au nom des impératifs du capitalisme libéral que partout, systématiquement, les services publics sont démolis. Rétablir leur légitimité, faire reconnaître que ce sont des “biens communs sociaux”, selon le terme de Jean Gadrey, est donc l’une des tâches les plus urgentes que les citoyens conscients devraient s’assigner. C’est l’objectif du texte qui suit, inspiré de L’évaluation démocratique, outil de citoyenneté active, ouvrage collectif [1] sous la direction de Jean-Claude Boual [2] et Philippe Brachet [3] :
Pour les populations, les missions de service public sont essentielles parce que ces services touchent à la vie quotidienne : ils répondent à des droits fondamentaux en étant les outils qui permettent au quotidien d’accéder à ces droits. Sans eux, le droit n’est que formel : ainsi le droit au logement et le droit au travail, qui sont inscrits dans la Constitution, ne se concrétisent pas, tandis que le droit à l’éducation se réalise par le fait que l’école est un service public. Ce raisonnement s’applique tant au niveau local qu’au niveau national.
Le fondement d’un service public de qualité repose sur un cahier des charges prenant en compte les besoins des usagers. Or la définition des missions de service public s’effectue actuellement suivant des processus qui ne sont pas démocratiques : il faut donc que les usagers obtiennent les moyens d’en faire l’évaluation et que celle-ci soit un instrument de concertation entre tous les acteurs concernés. Ce qui suppose que l’usager/citoyen soit reconnu comme partenaire à part entière, que les personnels, à travers leurs syndicats professionnels, participent au processus de décisions et que celles-ci, résultat d’une réelle concertation, aient un caractère contraignant.
L’évaluation d’un organisme, quel qu’il soit, consiste à en apprécier l’efficacité (les résultats sont-ils conformes aux objectifs ?) et l’efficience (les résultats sont-ils en rapport avec les moyens utilisés ?). Or, actuellement, cette évaluation relève de la responsabilité des pouvoirs publics. Les services publics ont donc besoin d’être re-légitimés par une évaluation pluraliste qui les rendrait réellement démocratiques, les points de vue des usagers et des personnels s’exprimant de manière autonome à travers des associations, des syndicats, à tous les stades des processus de délibération et de décisions publiques, en commençant par la définition du cahier des charges. Pareille évaluation n’est pas une question d’experts, elle concerne d’abord les citoyens, or l’usager a une expérience directe du service rendu qui fait de lui un partenaire indispensable, même s’il dérange !
Notons au passage que cette démarche de re-légitimation par l’évaluation démocratique ne vaut pas seulement pour les services marchands, elle est nécessaire à l’ensemble de l’action publique. En effet, l’évaluation est au cœur de la réforme de l’État et de l’Administration. Or les procédures de contrôle et d’audit demeurent l’affaire des pouvoirs publics, alors qu’elles pourraient être une méthode de renouveau démocratique qui donnerait un contenu au pacte républicain, pourvu que tous les acteurs qui sont partie prenante d’une activité de service public y soient associés, par exemple dans l’élaboration “d’indicateurs de fonctionnement” des services de l’État, à commencer par ceux des différents Ministères.
Il existe un réel problème derrière lequel les pouvoirs publics abritent leur frilosité à ce sujet : c’est celui de la représentation des usagers. Il n’y a jamais eu, en France, une organisation large, puissante, et représentative des usagers, incluant une branche “services publics”. Si les rares associations d’usagers-consommateurs sont faibles, peu représentatives, c’est sans doute parce qu’il n’y a pas de véritables enjeux immédiats liés à cette représentation. Il faut donc une ferme volonté de la part des usagers-citoyens pour s’organiser, afin qu’une réelle importance soit attachée à leur représentation.
À l’heure où le capitalisme mène une offensive en règle contre la notion même de service public, on voit combien sa re-légitimation, par un approfondissement de la démocratie, est importante. Seule l’introduction de processus participatifs peut permettre aux citoyens de sortir d’une posture purement défensive et d’élaborer des propositions susceptibles d’engendrer une amélioration considérable de la qualité des services rendus à la collectivité. On verrait alors réapparaître la fierté d’œuvrer au service de la collectivité, avec le sentiment d’être en charge d’une véritable “mission” au service de tous, qui était le propre des personnels concernés, et qu’on rencontrait couramment, il n’y a pas si longtemps, chez les instituteurs, les professeurs, les postiers, etc. quand ils étaient fonctionnaires, mais qui devient de plus en plus rare, alors que cet état d’esprit entraînait une efficacité bien supérieure à celle qu’on trouve maintenant dans les services privés, dont les employés, souvent précaires, sont “au service du public” pour “faire du chiffre”, sans attendre la moindre “reconnaissance” de la part des usagers qui sont devenus des clients.
[1] aux éd. l’Harmattan, en 2000.
[2] animateur de l’association Réseaux Services Publics (RSP).
[3] Maître de conférences en sciences politiques à l’Université de Paris-X