Spécialistes ou fumistes ?

RÉFLEXION
par  P. VINCENT
Publication : août 2005
Mise en ligne : 1er novembre 2006

Journaux, radios ou télés doivent fidéliser leurs clients, et pour cela trouver tous les jours quelque chose à leur raconter. Aussi pourra-t-on voir le plus banal fait divers monté en épingle ou un vieux sujet récurrent promu événement du jour. Avoir la chance de décéder en période creuse peut ainsi vous propulser au premier plan de l’actualité. Et on ne sait trop pourquoi les médias ont récemment attiré notre attention sur les drames de la famine dans l’Afrique subsaharienne. Les images d’enfants semblaient hélas toujours les mêmes depuis la guerre au Biafra, et on ne voyait pas ce qui pouvait justifier ce soudain regain d’intérêt : les invasions de criquets étaient connues depuis des mois, contre lesquelles on n’avait guère entendu parler d’une aide internationale, et la sécheresse n’était pourtant pas arrivée à la vitesse du tsunami. Peut-être voulait-on simplement nous montrer que nous avions de la chance d’être européens et faire diversion aux recherches de responsabilité post-référendaires ?

Lorsque la situation est particulièrement grave et qu’il serait vraiment malvenu de chercher à faire diversion, il est fâcheux de n’avoir aucune idée sérieusement étayée de ce qui va se passer quand de son côté le public réclame à tout prix des réponses. Le plus honnête serait de recourir à des “voyantes” en les présentant comme telles. Mais ce que l’on fait généralement, parce que cela semble plus sérieux, c’est de donner la parole à des “spécialistes”.

À la veille de la dernière guerre, éditorialiste très prisée à la radio et dans l’un de nos plus grands quotidiens du matin, Madame Geneviève Tabouis jouait sur les deux registres. Elle commençait toutes ses chroniques sur un ton de prophétesse par « Attendez-vous… », avant d’énoncer ses prévisions ou prédictions du jour. Autant qu’il m’en souvienne, elle était plutôt du genre Cassandre.

Mais à la même époque nous avions en Gabriel Hanotaux, historien, académicien et ancien ministre des Affaires Etrangères, un indéfectible optimiste. Dans Pour l’Empire Colonial Français, paru en 1933, loin de se satisfaire de cet Empire, il faisait miroiter aux amateurs d’aventure que la moitié du monde restait, selon lui, à coloniser. Aurait-il songé à coloniser la Chine ? Cette année-là Hitler accédait au pouvoir, dont on combattit bientôt l’expansionnisme au nom du “droit des peuples à disposer d’eux-mêmes”, un principe qui se révéla peu compatible avec la poursuite d’une politique de colonisation.

Mais voici ce qu’il écrivait encore au début de la guerre, dans L’illustration du 30 mars 1940 : « La guerre va changer de front. Elle va plus que probablement se tourner vers la Mer Noire et la Méditerranée… le chemin des Indes…car la puissance qui est visée c’est l’Angleterre. »

Et comme à en croire les communiqués militaires, nos avions survolaient Berlin sans entraîner de réaction de la part de la défense antiaérienne, il en concluait que les autorités allemandes avaient peur d’inquiéter la population : « On ne veut pas que l’Allemagne pressente qu’elle aura à subir les souffrances de la guerre et de l’invasion ». L’Histoire lui donnera peut-être raison quatre ans plus tard, mais six semaines après ses prophéties c’était quand même la France qui était d’abord envahie et qui allait commencer à souffrir.

Il a été publié, sous le titre L’Art d’avoir toujours raison [1], une traduction des leçons de dialectique éristique ou art de la controverse d’Arthur Schopenhauer, dans lesquelles, il y a deux siècles, celui-ci donnait 38 recettes pratiques pour y parvenir. Il y expose à bon droit comment contrer, quand on a raison, les mauvais arguments ou la mauvaise foi de l’adversaire. Mais il y donne aussi des conseils pour l’emporter quand on a tort en étant soi-même de mauvaise foi.

Ce qui m’a intéressé dans cet ouvrage, qui se rattache à mon précédent propos, c’est que Schopenhauer a lui aussi une piètre opinion des spécialistes : « Les gens du commun ont un profond respect pour les spécialistes. Ils ignorent que la raison pour laquelle on fait profession d’une chose n’est pas l’amour de cette chose mais de ce qu’elle rapporte. Et que celui qui enseigne une chose la connaît rarement à fond car s’il l’étudiait à fond il ne lui resterait généralement pas de temps pour l’enseigner…

Ce sont les autorités auxquelles l’adversaire ne comprend pas un traître mot qui font le plus d’effet… Les ignorants ont un respect particulier pour les figures de rhétorique grecques et latines…

On peut aussi, en cas de nécessité, non seulement déformer, mais carrément falsifier ce que disent les autorités… Le plus bel exemple en est ce curé français qui, pour n’être pas obligé de paver la rue devant sa maison, comme les autres citoyens, citait une parole biblique : « Paveant illi, ego non pavebo » [2].

Ce qui convainquit le conseil municipal. »

Très pessimiste ce Schopenhauer, mais un peu humoriste quand même !


[1aux éditions Mille et une nuits

[2en fait, cette phrase signifie : « Qu’ils tremblent, moi je ne tremblerai pas » !!!


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