Tout est possible — 2e partie
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Publication : octobre 2023
Mise en ligne : 21 janvier 2024
Après une première partie dans laquelle François Chatel nous a présenté les premiers exemples d’organisation sociale sans pouvoir centralisé, il poursuit dans une seconde partie ce voyage à travers notre histoire, permettant d’espérer l’émergence d’une organisation sociale respectueuse de chacun.
Civilisation de l’Indus [1]
Sur les rives du fleuve Indus, tout au long de la frontière actuelle entre le Pakistan et l’Inde, à partir de 5500 avant J.-C., et plus particulièrement de 2800 jusqu’à 1500 avant J.-C. durant l’âge du bronze, de grandes cités dont deux de 40 000 habitants chacune — Mohenjo-daro et Harappa — se sont développées en l’absence de classes dirigeantes et d’élites gestionnaires. Pas de palais ni de temples, aucun nom de roi ou de reine, aucune stèle ou statuaire royale, ni activité militaire bien que ces villes soient fortifiées. Sur la base des témoignages archéologiques disponibles, la grande majorité des spécialistes ont fini par admettre que la civilisation urbaine de la vallée de l’Indus n’impliquait ni prêtres-rois, ni noblesse guerrière, ni équivalent d’État. Ces deux villes comptaient des maisons en briques établies autour d’un quadrillage de rues et de longs boulevards. S’y ajoutaient un système de drainage et d’assainissement composé de tuyaux en terre cuite pour évacuer les eaux usées vers les champs alentours, des toilettes privées munies de chasse d’eau, des salles de bains dans chaque maison, des bains publics, etc. Des tourelles connues en Perse sous le nom d’"attrape-vent" permettaient de climatiser les maisons.
- Carte de l’emplacement des sites de la civilisation de l’Indus (© Michel Danino, 2004, Wikimedia Commons)
C’est une civilisation urbaine, dominée par plusieurs grands centres de plus de 80 hectares chacun comme Harappa, Dholavira, Ganweriwala, Rakhigarhi, alors que Mohenjo-daro couvrait jusqu’à plus de 200 hectares. La population totale de la civilisation aurait été de plus de 5 millions d’habitants et son territoire s’étendait sur 1 500 km le long des rives de l’Indus, puis dans toutes les directions. L’urbanisme de tous les centres est planifié sur le même modèle. Ils comportent en général une citadelle qui sert sans doute de cadre à un pouvoir politique dont la nature exacte reste mal connue. Un réseau de villes moins importantes, souvent édifiées sur le même schéma, garnit le territoire. Les habitants semblent avoir été principalement des artisans, des agriculteurs et des marchands. Il n’y a aucune preuve de l’existence d’une armée permanente, de palais ou de temples. Autour, se déploient une agriculture et un élevage qui recouvrent une grande variété de plantes et d’animaux. Un artisanat d’une grande technicité se développe, manifestement encadré par une organisation administrative. S’y développent la roue, les charrettes tirées par le bétail, les bateaux à fond plat suffisamment larges pour transporter les marchandises, et peut-être aussi la voile. Dans le domaine de l’agriculture, ils utilisaient les techniques d’irrigation avec canaux, divers outils agricoles, et avaient établi différentes zones pour le pâturage du bétail et les cultures.
- Carte montrant l’étendue de la civilisation de la vallée de l’Indus pendant sa phase de maturité (© Avantiputra7, 2014, Wikimedia Commons)
En Chine
Un exemple de destitution de monarque pour instaurer un régime beaucoup plus démocratique et égalitariste vit le jour à la cité chinoise de Taosi, dans la région de Jinnan. Son histoire a commencé comme sa voisine Shimao vers 4000 avant J.-C. aux abords de la Mongolie, toutes deux villes fortifiées munies de palais et d’une pyramide à degrés, de quartiers plébéiens tandis que d’autres étaient réservés aux élites, d’un réseau routier, et des zones de stockage protégées ainsi que des tombes hiérarchisées. Les fouilles de ces deux villes ont révélé l’existence de techniques artisanales perfectionnées dans l’élaboration et l’utilisation du bronze, tout comme des témoignages de conflits armés. Or, vers 2000 avant J.-C., une révolution eut lieu pour défaire la caste au pouvoir. Des signes de répression politique furent découverts, les murs d’enceinte furent détruits, les demeures devinrent uniformes. Ce changement radical s’est traduit par une ère de prospérité pendant 300 ans, puisque cette ville s’étendit alors jusqu’à 300 hectares.
Il n’y a donc aucune fatalité à subir l’insupportable, que ce soit quatre millénaires en arrière, comme aujourd’hui. L’exemple de Taosi se retrouve plus fréquemment encore en Mésoamérique.
La Mésoamérique
Au Mexique, les Aztèques découvrirent lors de leur migration vers le sud, une immense ville abandonnée qu’ils baptisèrent Teotihuacan, qui, d’après les chercheurs, fut érigée vers 100 avant J.‑C. pour s’éteindre vers 600 après. J.-C. Elle pouvait accueillir jusqu’à une centaine de milliers d’habitants. Tous les indices relevés (absence de palais, de sépultures princières, de monuments célébrant des conquêtes…) suggèrent que Teotihuacan avait trouvé le moyen de s’autogouverner en se passant de chef suprême, contrairement à la plupart des cités alentours, sous régimes dynastiques. À Teotihuacan, les habitants étaient des maîtres artisans et des créateurs d’images prolifiques : petites sculptures en terre cuite, fresques immenses aux couleurs vives décrivant des scènes de rue, témoignages par milliers sans aucune scène de pouvoir suprême, contrairement aux images des Mayas et des Zapotèques. Les meilleurs spécialistes du site s’accordent pour affirmer que Teotihuacan était sciemment ordonnée selon des principes égalitaires, avec application d’aides sociales et de forme indigène de démocratie.
Les trois premiers siècles de l’existence de Teotihuacan virent une société traditionnelle mésoaméricaine avec son aristocratie guerrière, sa cité-État dirigée par une noblesse héréditaire. Un virage total s’exerça et un programme de rénovation urbaine vit le jour afin de fournir des logements de qualité et confortables à la totalité des 100 000 habitants ; logements répartis dans des blocs d’environ 3 600 mètres carrés chacun, regroupant une centaine de personnes, munis d’évacuation des eaux usées, aux murs soigneusement plâtrés, aux cours centrales dont les murs étaient couverts de fresques aux couleurs vives, et chacune pourvue d’un autel accueillant les rituels domestiques collectifs. Il n’y avait pas de défavorisés, chacun jouissait de conditions de vie agréables. Les terres et les ressources semblent avoir été réparties entre les groupes de familles, elles-mêmes rassemblées suivant des spécialisations artisanales communes. L’autorité était vraisemblablement partagée entre plusieurs assemblées locales sans système vertical de pouvoir. La gestion des affaires municipales était déléguée à des conseils de quartier qui rassemblaient un nombre d’habitants similaire aux circonscriptions des cités mésopotamiennes et des mégasites ukrainiens [2].
L’organisation sociale de Teotihuacan a très certainement influencé la région qui s’est démarquée de la hiérarchie olmèque, de l’aristocratie toltèque, de l’impérialisme aztèque. De nombreuses villes se sont instituées en républiques, le plus souvent démocratiques comme Tlaxcala, dirigée par un conseil d’élus dont chaque candidat subissait une mise en épreuves sévère afin de casser toute ambition au pouvoir, et de l’instruire à l’art de servir le peuple. Cortés [3] la décrit comme une république telle celles de Venise, Pise ou Gênes, puisqu’il n’y a pas d’autorité suprême. D’ailleurs, il dut négocier avec un conseil urbain populaire dont les décisions se faisaient à l’unanimité, ce qui pouvait prendre des semaines de délibération. C’était une façon de prendre le contre-pied des royaumes aztèques.
Plus au nord, les cultures dites d’Adena à partir de 800 avant J.-C. et Hopewell vers 100 avant J.-C. occupèrent les vallées du Mississippi, de la rivière Ohio et de la rivière Tennessee. Elles se caractérisaient par la construction de grands monticules de terre qui servaient à des fins religieuses et politiques pour placer les chefs et les prêtres au-dessus du peuple, et plus près du soleil qu’ils adoraient comme source de vie. Ces monticules servaient aussi de résidences ou de tombes aux élites.
L’Illinois a abrité la plus grande cité précolombienne du continent nord-américain, Cahokia qui a existé entre environ 600 et 1350 de notre ère et qui, à son apogée, comptait plus de 20 000 habitants. La religion semble y avoir imprégné tous les aspects de la société. À son apogée (entre 1000 et 1150 après J.-C.), Cahokia abritait une théocratie fortement centralisée.
Vers 1250 de notre ère, des preuves suggèrent que des troubles sociaux et de violents affrontements concomitants avec la réduction des ressources et un tremblement de terre causèrent progressivement l’abandon de la ville vers 1350.
Les cherokees, les chicachas, les choctaws, les creeks et les séminoles, descendants du peuple de Cahokia, ont délibérément pris le contre-pied de l’organisation sociale de cette ville déchue en faisant appel pour les décisions à des conseils communautaires, où toutes les voix comptaient à égalité et qui fonctionnaient selon le principe du consensus.
Depuis la chute de Cahokia, les principes indigènes se sont attachés avant tout à une voie anti-autoritaire. Ils avaient parfaitement conscience des alternatives politiques existantes à adopter, afin de faire barrage à tout ce qui aurait pu rappeler les erreurs de cette ville, son mysticisme extrême, sa soumission à des chefs suprêmes, ses abus d’exploitation des ressources.
Probablement influencée par ce même mouvement de rejet de tout ce que représentait Cahokia, encore plus au nord, près des Grands Lacs, la ligue des Cinq-Nations des Iroquois s’est construite autour de cinq peuples, les Sénécas, les Onneiouts, les Onondagas, les Cayugas et les Mohawks. Elle adopte le système des assemblées gigognes : le conseil du clan, puis le conseil du village, celui de la nation, jusqu’à celui de la confédération — le Grand Conseil formé de membres envoyés par chaque nation. La recherche du consensus en est le principe. Chez les Iroquois, donner des ordres était une offense suprême. Les femmes possédaient leurs propres assemblées et leurs propres responsables politiques et un pouvoir supérieur aux hommes au niveau local.
Ils avaient adopté la propriété collective du sol, des parcelles distribuées aux familles et une grande partie en commun. Le travail était réalisé par tous et la production répartie de même. La responsabilité de l’agriculture et la gestion des terres revenaient aux femmes, par l’autorité du conseil des Mères. Certains emplacements appartenaient à tous les clans et la production servait aux fêtes communes. La division du travail était établie selon le sexe, et le système d’échange selon l’économie du don. Leurs ressources étaient tirées de la cueillette, de l’agriculture, de la chasse, de la pêche. Les bonnes récoltes donnaient lieu à des fêtes.
L’accent était mis sur l’utilité sociale de l’individu, ce qui encourageait la contribution de chacun. L’individu possédait peu de biens propres. La culture de l’individualité s’appuyait sur une forte tradition de responsabilité et d’autonomie. L’éducation formait des hommes indépendants, auto-disciplinés, autonomes, responsables et stoïques. Ils apprenaient à penser en tant qu’individu et à travailler pour la collectivité.
Pourquoi sommes-nous bloqués ?
On a longtemps admis que l’apparition des villes marquait un point de non-retour et que les hommes devaient renoncer pour toujours à leurs libertés fondamentales, et se plier aux décisions de bureaucrates anonymes, de prêtres rigoristes, de rois protecteurs ou de politiciens attirés par le pouvoir. L’archéologie montre le contraire en révélant que de nombreuses villes sont exemptes de hiérarchie administrative et de l’autoritarisme attendus : des organisations sociales et politiques définies volontairement, des familles indépendantes organisées en quartiers et en assemblées citoyennes. Certains rassemblements populaires ont d’abord emprunté la voie du gouvernement monarchique avant de prendre une voie plus collective et égalitaire. L’inverse s’est aussi produit.
Nous avons vu que des groupes de tailles diverses ont fondé aux quatre coins du monde des civilisations qui n’ont pas eu besoin de souverains permanents, de bureaucrates professionnels ni d’armées de métier pour faire progresser les connaissances mathématiques, les sciences et créer une longue liste d’inventions.
L’histoire officielle met très facilement en avant les monarques et les dynasties ayant régné en toute région du monde en omettant trop souvent d’étudier les périodes intermédiaires aux règnes des empires, des royaumes, ces périodes bien plus importantes en durée où les peuples se sont montrés réfractaires à tout système d’autorité.
L’idée de l’égalité peut s’exprimer de deux façons : soit elle nie en bloc l’existence de spécificités individuelles, ce qui conduit à nier la réalité naturelle et mène à une impasse, soit elle insiste sur les particularités de chacun, variété qui fait la richesse d’une société, mais décrète l’impossibilité d’établir des classements, sur quelque fondement que ce soit tant nous sommes différents. C’est cette dernière notion qui fut généralement retenue par les sociétés égalitaires, mais avec la possibilité d’avoir recours à certaines qualités individuelles lors de circonstances particulières, liées à la santé lors d’épidémie par exemple, de menace guerrière, d’expéditions de chasse, de cueillettes, l’organisation de festivités, de création de décors artistiques, de production ciblée, etc. Si la circonstance perdure, elle devient un moyen d’accaparement du pouvoir, à moins qu’il ne soit prévu que l’utilisation de ces qualités individuelles aux bénéfices de tous ne conduise pas à une quelconque distinction sociale matérialisée, mais à de la reconnaissance, du prestige et de la renommée. Il est possible d’étendre cette réflexion au monde de la production en entreprise. La hiérarchie imposée n’y est pas nécessaire, car chacun muni de ses compétences et de sa renommée mises au service de tous, va pouvoir se voir octroyer une place offerte par les autres, révisable périodiquement.
Il ne s’agit pas d’omettre, dans ces cités régies par le peuple, le souci des libertés individuelles essentielles afin d’assurer l’autonomie de chaque membre en son sein, indispensable à la démocratie. Ainsi étaient garanties la liberté de partir s’installer ailleurs, la liberté d’ignorer les ordres donnés par d’autres et d’y désobéir, et la liberté de façonner des réalités sociales nouvelles et radicalement différentes, ou d’alterner entre les unes et les autres.
Les deux premières libertés acquises permettent seulement l’existence de souverains de façade, dont on se libère facilement au moment choisi. C’est aussi vrai pour toutes les fonctions hiérarchiques et tous les systèmes d’autorité.
Les libertés "modernes", comme la liberté d’expression ou la poursuite du bonheur individuel, n’ont aucune valeur si l’écoute est tronquée et si ce bonheur s’établit au détriment ou dans l’indifférence de celui d’autrui. Elles correspondent à cette idéologie de l’individualisme chère aux Lumières et au capitalisme.
Or, les récentes découvertes des archéologues à travers le monde que nous avons parcourues, nous amènent à en déduire qu’il n’existe pas de lien causal entre l’origine des villes et le développement des États à structures hiérarchiques, à gestion et à pouvoir policier et judiciaire centralisés. De nombreux exemples montrent même que des destitutions de monarques ont couramment eu lieu pour instaurer des régimes beaucoup plus démocratiques et égalitaristes, quelle que soit la situation économique et technique. Pierre Clastres révèle dans son livre "La société contre l’État" [4] que le politique précède l’économique. Le pouvoir est aux mains des peuples à moins qu’ils ne l’abandonnent à ceux qui cherchent à se l’approprier, et l’instaurer par la mise en œuvre de dispositions politiques et économiques d’exploitation qui protègent la classe dominante. [5]
On peut dire que l’État a été une composante variable dans l’histoire de l’humanité. Compte tenu des exemples historiques de cités et de territoires dépourvus d’État qui contredisent les théories officielles, il s’avère que toute organisation sociale reste possible du moment qu’elle est choisie et acceptée par le peuple, avec la possibilité d’évolution constante.
Si l’on considère que c’est l’entraide, la coopération sociale, la participation citoyenne, l’hospitalité ou même simplement le souci de l’autre qui font la civilisation par la coalition volontaire, alors son histoire reste presque intégralement à écrire.
Nos gouvernements actuels, avec leur combinaison particulière de souveraineté territoriale, d’administration tentaculaire et de concurrence politique, n’ont rien d’inéluctable. Ils ne sont pas l’aboutissement nécessaire de l’histoire.
Il ne s’agit pas de nier le rôle joué par les technologies dans le façonnage d’une société, mais il faut se garder d’en faire les seules responsables de la direction générale empruntée. L’utilisation des outils de pierre par les habitants de Teotihuacan et de Tlaxcala pour construire et entretenir leurs édifices, et de métal pour ceux de Mohenjo-daro, semble n’avoir eu qu’un effet négligeable sur l’organisation interne et même la taille de ces villes.
La plupart des grandes inventions ont mis du temps à s’incorporer dans la vie sociale, à la refondre, comme l’agriculture, la céramique, l’utilisation des minéraux, le principe de la machine à vapeur, l’invention de la roue, de la poudre à canon, etc. En réalité, quelle que soit l’invention, chaque société est restée libre de l’utiliser ou non à sa guise.
Si l’humanité a bel et bien fait fausse route à un moment donné de son histoire, c’est sans doute précisément en perdant la liberté d’inventer et de concrétiser d’autres modes d’existence sociale. La protection des biens acquis, la gratification apportée par la conquête territoriale, la richesse apportée par le commerce lointain ont favorisé la mise en place de souverains guides qui ont évolué en rois de droit divin à l’autorité suprême.
Comment se fait-il que les peuples contemporains, par l’abandon de leur dignité et leurs riches particularités ont-ils pu se laisser soumettre à l’adoption d’une réalité sociale monolithique, qui a conditionné les rapports à partir de la concurrence, la violence et la domination ?
Tout est possible
En imaginant que notre espèce se maintienne à la surface de la Terre et que nos descendants, dans ce futur inconnu, jettent un regard en arrière, peut-être que des aspects que nous considérons aujourd’hui comme des anomalies — les administrations à taille humaine, les villes régies par des conseils de quartier, les assemblées citoyennes, les conseils de femmes, les aménagements territoriaux basés sur la préservation et non pas sur l’appropriation et l’exploitation, la collectivisation des ressources et leur gestion en commun, l’égalité pour l’accès aux biens et aux services mis à disposition, l’économie du don réciproque, le partage des ressources entre communautés suivant les besoins, etc. — leur apparaîtront comme des percées majeures qui ont changé le cours de l’histoire. Toutes ces "anomalies" pourraient servir d’exemples, de tremplins à la création d’une nouvelle civilisation qui fera paraître toutes les formes d’autoritarisme, d’esclavagisme (incluant le servage et le travail salarié), la guerre, le capitalisme, comme des "erreurs" à ranger au fond des tiroirs.
Si nous prenons conscience que la civilisation actuelle, même mondialisée, n’est nullement une fatalité, un aboutissement obligatoire de l’histoire, que des gens ont vécu des siècles, voire des millénaires, selon les trois libertés fondamentales dans des sociétés en recherche permanente d’égalitarisme, cela signifie que les possibilités de création sociale sont actuellement encore plus vastes que nous le pensons. Aujourd’hui, alors que le système économique capitaliste moribond chancelle et se débat en provoquant des désastres et des malheurs, nous sommes à l’aube de la "métamorphose possible des principes et des symboles de base" [6], à ce moment particulier que les grecs appelaient le "kairos", cette période où tout peut se produire, à condition de faire le bon acte au bon moment.
Ces axiomes de la science sociale qui hier encore nous paraissaient inattaquables, ces repères bien ancrés autour desquels s’organisait la connaissance de notre propre espèce, s’éparpillent, se dissolvent dans la masse du savoir nouveau. Que celui-ci serve les peuples à reconsidérer objectivement ce que réellement nous sommes et ce que nous pourrions devenir. Que celui-ci serve les peuples à renouer avec la troisième liberté fondamentale, celle d’inventer des réalités sociales, des relations nouvelles, jamais expérimentées à ce jour sur notre planète.
[1] J. J. Mark, Indus Valley Civilization, World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-10070/civilisation-de-la-vallee-de-lindus/
[2] cf. 1ère partie, dans le n° précédent de La Grande Relève
[3] Hernán Cortés est un conquistador espagnol qui, en 1521-1522, s’est emparé de l’Empire aztèque. Cortés se heurte notamment à l’État de Tlaxcala, république indépendante, ennemie héréditaire de l’Empire aztèque, mais dont les forces attaquent ses troupes le 2 septembre 1519. Il remporte la bataille, notamment grâce à la supériorité de son armement.
[4] Pierre Clastres, La société contre l’État, les éditions de minuit.
[5] La Boétie, Discours de la servitude volontaire, éd. Mille et Une Nuits.
[6] Carl Gustav Jung, Métamorphoses de l’âme et ses symboles.