Ulla 36 15

Réflexion
par  B. VAUDOUR-FAGUET
Mise en ligne : 31 décembre 2007

 La communication soupçonnée

Un magazine qui se respecte commence, en première page, par une pub sur la voiture et se termine, en dernière page, par une pub sur le racolage. Le racolage en question ayant d’ailleurs une forte parenté génétique avec la prostitution (cf les services téléphoniques proposés par ce type d’annonce). Les plus honorables parutions, les titres les plus “idéologiques”, les plus inspirés par “l’éthique”, n’ont aucune crainte de diffuser pareil message ! Passons...

Entre ces diverses sollicitations s’accumulent, pêle-mêle, d’autres publicités sur les parfums, sur les dentifrices, sur les vêtements ou les porte-jarretelles... Parmi ce fatras d’insignifiances notoires on peut croiser, avec de la chance, des brèves (qui ne dépassent guère 3, 4 lignes), des flashes d’infos (qui ne sont guère plus étoffés), des croupions de textes sans signature qui racontent les potins de la Cité. C’est un grand vide sidéral bien organisé.

Tout de même, en cherchant finement, en tournant bon nombre de feuillets, on arrive à déchiffrer un article digne de ce nom qui tente, en trois paragraphes fortement concentrés, de commenter le sort du monde, l’air du temps, le tragique des sociétés.

Dès lors, comment s’étonner que le lecteur, découragé, jette l’éponge ? La presse contemporaine a basculé, en bloc, dans l’irresponsabilité, dans la déchéance culturelle capitale. La dégringolade des idées atteint le plancher. Le lecteur “boude” les journaux et quelque part, il faut lui donner raison. où sont les opinions trempées au vitriol ? Où sont les arguments taillés à la hâche ? Où sont les morceaux de bravoure de l’impertinence à 360° ? Où sont les coups de menton et les coups de poignet ? Indigence et pauvreté de la chose écrite se conjuguent ; désormais les phrases sont squelettiques, refoulées dans le microscopique, réduites à de la bouillie pour minets. Les phrases embarrassent les journaux.

C’est la “marchandise” qui prend le relais. Ce sont les objets qui commandent. Le texte est devenu un faiseur de problèmes. La presse actuelle fait seulement la promotion de la camelote à bas prix, des produits de luxe, des produits pour madame, des produit pour monsieur, des produits de rien du tout... Fringues, colifichets, bijoux, cuirs, bagatelles ! Les publications ont pour but avoué de servir la vente et se gardent bien de servir l’intelligence, la raison, l’indignation, la volonté de voir clair en dénonçant les mensonges et les hypocrisies de l’instant qui passe. Voilà pourquoi on assiste à la douloureuse agonie de cette activité.

 La critique vigoureuse de l’univers

Revenons un peu en arrière pour saisir les ressorts du mécanisme. Depuis une dizaine d’années, beaucoup de gens en place ont cru bon de proposer un modèle journalistique “propre” c’est-à-dire un modèle débarrassé des piquants de la colère, des scories de l’investigation. Les managers, les propriétaires, calculaient seulement leurs profits, les publicistes calculaient leur expansion, les journalistes (censés s’exprimer en propos singuliers) n’exprimaient plus grand-chose afin de ne pas “ennuyer” des psychismes stressés ou pressés. En revanche, pour compenser ce déficit d’envergure, on a collé des photos sous tous les angles, des dépliants glacés, des placards pour l’immobilier, des placards pour aller se bronzer sous les Caraïbes. Disons-le tout net : la pagination, depuis des années est “ouverte” à tous les commerces, à la foire de quatre sous, au supermarché, à toutes les convoitises du consumérisme... sauf à l’essentiel à savoir la critique vigoureuse de l’univers. Au cours de ce révisionnisme médiatico-économique les responsables de la presse poussaient les structures vers le gain et les bénéfices tandis que le personnage central - le citoyen acheteur du journal - restait largement sur une faim de loup. On venait d’oublier une règle basique : le journal est destiné à décoder le tumulte des passions et des intérêts. Le journal rationalise le brouhaha qui monte de la rue ; ce n’est pas une vulgaire boutique de casseroles en aluminium. En inversant ces pôles on a détraqué la machine à comprendre, la machine à donner du sens.

Banquiers, hommes d’affaires, experts en marketing, ont imaginé, un peu vite, que ce “système”, réduit de moitié, allait durer en fournissant capitaux et profits. Hélas ! L’imposture était à la hauteur de l’enjeu. Le lecteur fut patient à l’extrême : il achetait des kilos de brosses à dents à la place d’une vision percutante de l’événementiel ! La prise de conscience s’est opérée : le trop d’artifices, de paillettes, de tape-à-l’œil a provoqué la nausée des plus fidèles abonnés.

Quand le courage de parler se fait chimère, quand la seule motivation journalistique passe par le négoce, on saisit soudain la cause de la débâcle ! Elle est inévitable. Le citoyen n’a plus le déclic mental, moral, intellectuel, pour aller vers la lecture ; défilent devant lui des montagnes d’insipidités et il cherche alors sa pitance ailleurs. Le journal conçu comme un lave-vaisselle avec du design, du clinquant, de l’informatique coloriée, procure l’illusion de briller de mille feux. Les yeux s’amusent de cette distraction superficielle ; l’esprit se lasse de cette régression.

 Un nuage d’obscurantisme

La presse (de la Révolution Française à la révolution industrielle, de la Renaissance à la modernité, de l’Affaire Dreyfus aux années 3o), a toujours accompagné la connaissance et la liberté de penser. Elle a servi de matrice directionnelle aux institutions républicaines, parlementaires, au pluralisme des partis. Elle a donné de la consistance, du caractère aux rouages fondamentaux de notre civilisation. Cet itinéraire interrogatif, réflexif, jalonné de combats difficiles, rugueux, de censures et d’apprentissages juridiques stimulants, s’est effectué avec des mots, des démonstrations articulées, des révoltes audacieuses portées au rouge. Si les journaux, au cours de cette longue période, ont grimpé dans l’échelle du prestige, de l’indépendance, de l’intégrité, c’est parce qu’ils osaient « gueuler la vérité » (C. Péguy).

L’ultime virage se dessine aujourd’hui. Le texte est assimilé à une denrée encombrante qui coûte cher et qui ne gratifie guère les dirigeants des publications. Sur l’agora de la communicatique règnent seulement des oripeaux de pacotille. La presse n’a pas échappé aux cyclones dévastateurs de son temps. Comment songer à une autre hypothèse ? L’air est saturé de CO2 ; l’eau est contaminée par les pesticides ; la terre est intoxiquée par les métaux lourds ; la société est gangrenée par le terrorisme. La presse, quant à elle, se montre sensible aux pollutions de l’inculture et de l’argent. C’est la logique du siècle. Une belle aventure qui s’amorce et qui promet de changer, de fond en comble, la nature de notre condition !

Ulla et ses cousines, et ses clients, et ses maîtres, font le tirage des magazines : on peut affirmer, sans risque de sombrer dans le ridicule, qu’un nuage d’obscurantisme envahit le ciel de notre royaume démocratique.

Une presse au-dessous de la ceinture c’est de la gaudriole pour quelques jours, de l’indécence pour demain, une décadence assurée pour après-demain !


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