Un monde de fous... dangereux
par
Publication : juin 1986
Mise en ligne : 24 juin 2009
La catastrophe de Tchernobyl est lourde d’enseignements
et fera, pour le moins, couler beaucoup d’encre. Loin de moi, par conséquent,
l’idée de faire ici le tour d’une aussi grave question !
Mais tout de même, est-ce que la première réflexion
que suscite l’annonce que le coeur d’une centrale nucléaire est
en fusion, et qu’un nuage chargé de matières radioactives
se ballade au gré des vents, n’est pas de se dire que les craintes
exprimées par les écologistes n’étaient pas sans
fondements et qu’il importe de tenir compte des risques que fait courir
aux populations la prolifération de telles centrales, ou, pire
encore, des usines de retraitement du type de celle de la Hague ?
Eh bien NON. Le mot d’ordre officiel est d’affirmer qu’en France, toutes
les précautions ont été prises, qu’il n’y a aucun
souci à se faire puisque de hauts responsables veillent sur notre
sécurité. L’opinion publique est suffisamment conditionnée
pour admettre que les écologistes sont des marginaux, donc des
incompétents dont les objections ne peuvent faire le poids en
regard des certitudes affirmées en haut lieu.
Les raisons de ce conditionnement de l’opinion, que nous dénonçons
si souvent (*) sont ellesmêmes, évidemment, passées
sous silence par les grands médias. Au point qu’il faut signaler
comme un évènement remarquable le fait que le «
Nouvel Observateur » a eu récemment (**) le courage de
rendre la parole à celui qui fut naguère un de ses meilleurs
journalistes, Michel Bosquet, et qui dénonce le rôle que
joue la centralisation de l’Etat au niveau des décisions sur
les choix énergétiques « En France, souligne Michel
Bosquet, il y a un accord tacite entre l’industrie, l’Etat et les créateurs
de technologie pour exclure toute forme de débat sur ces choix,
y compris au Parlement. Ce verrouillage s’explique de façon assez
curieuse : un même corps d’Etat, celui des Mines (***) impose
sa loi dans l’industrie privée, dans les secteurs nationalisés
et dans les cabinets ministériels ! Vous avez les mêmes
gens comme décideurs là où s’élabore la
technologie, là où elle s’applique et là où
se prennent les décisions politiques... Il parait difficile de
faire bouger quoi que ce soit... »
Donc, on ne remet pas en cause la politique nucléaire. Mais,
par contre une mesure d’une très grande fermeté a été
décidée : celle d’interdire l’importation de toute production
agricole d’où qu’elle vienne, si c’est d’un pays de l’Est. Sans
nuance. Pas question, par exemple, de mesurer le taux de radioactivité
de ces productions pour savoir si elles ont été contaminées
ou non.
Quelle aubaine, en effet, qu’une pareille occasion ! C’est d’abord des
milliers de camions chargés de vivres qui sont ainsi immobilisés
jusqu’à ce que leurs chargements soient devenus impropres à
la consommation. Et puis un embargo général ! De mémoire
de producteur agricole européen, se lamentant depuis des années
et des années, de ne pas pouvoir vendre avec assez de profit
toute sa production, dite par conséquent « surabondante
», on n’avait pas osé rêver un moyen aussi radical
de MAINTENIR LA RARETE, donc de soutenir les cours ! Un nuage radioactif
apparait ainsi presque aussi rentable qu’une guerre ! Les Américains
ne sont d’ailleurs pas en reste : dès l’annonce de la montée
possible de la radioactivité en Ukraine, région grosse
productrice de blé, de grosses demandes de grains ont fait grimper
le prix du blé à la Bourse des Céréales
!
Ce monde, qui a les moyens d’être merveilleux, est aussi fou que
dangereux. Et il le restera aussi longtemps que la RENTABILITE, dans
toute entreprise économique, prévaudra sur son ASPECT
HUMAIN.
* voir par exemple dans « les affranchis de
l’an 2000 » le passage reproduit ci-dessous.
** dans son numéro 1122 du 9 Mai
*** ajoutons ici : ce même corps des Mines qui crut naguère
aux « avions renifleurs... »