Sombre printemps
par
Publication : juin 1986
Mise en ligne : 24 juin 2009
En France, la bataille des législatives, qui
durait... depuis 5 ans, est enfin terminée : la droite est revenue
au pouvoir, avec, dans ses bagages, une extrême droite non négligeable.
Les mesures sociales vont en prendre un sacré coup ; les mesures
socialisantes - nationalisations, autorisation de licenciements etc...
- vont disparaître. La privatisation des chaînes publiques
de Télé (alors que nous avons déjà reçu
notre redevance à payer pour l’année à venir, un
comble !) est pour bientôt.
Bref, la France rentre - enfin - dans la mouvance libéraloaméricaine
comme le Japon et les autres grands pays européens Allemagne,
Angleterre, Italie. Le reaganisme triomphe.
Triomphe ? Voire.
Depuis la réunion des « cinq » à New York
le 22 septembre 1985, le dollar a baissé d’un tiers. Dans le
même temps le prix du baril de pétrole a été
divisé par trois. Nombreux sont les chantres capitalistes qui
proclament que les conditions sont réunies pour une reprise mondiale.
Je viens de lire - une fois de plus - sous une plume« experte
» que « la crise » était finie, même si
la « MUTATION » doit encore se poursuivre jusqu’aux années
1990 (du reste de plus en plus nombreux sont les économistes
et les politiques qui réfutent la notion de crise pour parler
d’une « longue mutation de 15 à 20 ans » due aux
prodigieuses découvertes technologiques etc...). La crise est
finie ?
" Les bourses prospèrent, enregistrant toujours de nouveaux
records : en 1985, + 107 à Milan,
+ 93 à Zurich, + 74 à Francfort, + 46à Paris. Le
"Matin" du 27 avril publie des courbes édifiantes sous
le titre : « Les bénéfices des entreprises en hausse
partout ».
" L’Allemagne prévoit pour 1986 une inflation zéro,
voire négative et une croissance de 4% : presque un chiffre des
30 glorieuses.
" Le Japon, par contre, s’affole, car 30 % de ses exportations
se font vers les USA. Sur les 46 milliards de dollars d’excédent
commercial, 39 proviennent des seuls USA. La baisse d’un tiers
du dollar, qui rend plus compétitifs à l’exportation les
produits américains, risque d’avoir une conséquence grave
sur la production japonaise. Et lorsque le dollar baisse trop par rapport
au yen, c’est la panique : le Japon tente de soutenir le dollar à
tour de bras. Sans grand succès.
" La France de CHIRAC va sortir de la « situation catastrophique
» dans laquelle les socialistes l’avaient mise. Songez moins de
5 % d’inflation, des entreprises nationalisées qui ont presque
toutes retrouvé leur équilibre, une police augmentée
et modernisée ; mais 3 millions de chômeurs (chiffre de...
l’ancienne opposition). Ce sujet a même « paru » la
préoccupation essentielle du Premier Ministre dans l’émission
« l’Heure de Vérité » du 23 avril les patrons
pourront licencier aisément, donc ils embaucheront ; et, comme
ils récolteront un tas d’avantages - exonération de charges
sociales, diminution des impôts sur les bénéfices
industriels et commerciaux (45 % au lieu de 50 %), rentrées sans
pénalités des capitaux planqués à l’étranger,
suppression de l’IGF -, ce sera l’EUPHORIE, LA CROISSANCE, L’EMPLOI...
On se bouscule au portillon pour racheter les assurances, ces vaches
à lait...
Il n’y a que la foi qui sauve attendons !
" Et le Tiers Monde ? Son endettement dépasse 1 000 milliards
de dollars (380 pour la seule Amérique Latine). Le Mexique est
en faillite virtuelle. Dito le Nigéria. Le Guatemala, qui vient
de sortir d’une dictature militaire de 30 années soutenue par
les USA, compte 65 % d’analphabètes, 40 à 50 % de sans
travail. De l’aveu de son nouveau président, 95 des 7 500 000
habitants manquent du nécessaire. Tout comme les habitants de
la Barbade, généreusement « libérés
» par les USA de leurs « tyrans marxistes », qui ne
comptent que 40 % de chômeurs ! Pour alléger la dette des
pays du Tiers Monde, il faudrait au moins réduire les taux d’intérêts
(actuellement 9,5 %). Conférence en janvier 1986 à Londres
sur ce sujet : échec total. Et ceux à qui le FMI prête
des fonds, avec des conditions drastiques, peuvent à peine, la
plupart du temps, avec les bénéfices de leurs exportations,
payer les intérêts de leur dette. Pauvre Tiers Monde. Même
pour les pays producteurs de pétrole, la belle vie est terminée.
" Les USA. Nous les avons gardés pour la bonne bouche.
Comme nous l’avons déjà signalé dans la G.R., pour
faire face à ses énormes déficits budgétaires
cumulés depuis plusieurs années, le gouvernement doit
avoir recours aux capitaux étrangers (1) l’épargne intérieure
étant insuffisante. C’est ce qui explique et justifie le niveau
élevé des taux d’intérêt. La baisse de ces
derniers devra être d’autant moins rapide et moins forte que le
dollar, en chutant, a perdu de son attrait de nombreux capitaux se réorientent
vers le Mark, le Yen ou le Franc Suisse. Au cours des dernières
années, la dette US s’est accrue plus vite que celle du Tiers
Monde. Les craintes d’un effondrement du dollar sont présentes
à l’esprit de tous les dirigeants du monde « libre ».
Même Reagan admet - enfin - la nécessité d’une refonte
du système monétaire international. Cependant la primauté
indécente du dollar, acquise à Bretton Woods, est le meilleur
atout des USA : la FED, en cas de risque d’insolvabilité, a le
pouvoir de créer autant de dollars que nécessaire. Et
quant au colossal déficit commercial (aux colossaux déficits,
devrions-nous dire, car cela dure depuis des années), il suffit
de faire fonctionner la planche à dollars pour l’éponger ;
ce qui est un scandaleux privilège pour le pays de plus riche
et le plus puissant du monde. Car les USA restent le plus puissant,
hélas ! Ils l’ont montré, il y a deux ans, en envahissant
la Barbade et, tout récemment, en bombardant la Lybie. Ce qui
est grave dans cet acte de « gendarme du monde » que s’est
octroyée l’Amérique de Reagan, sans même tenir compte
des avis de ses partenaires, c’est le précédent créé
pour le prétexte - justifié ou non - de base du terrorisme.
Reagan, en effet, quelques jours après le raid, dévoilait
cyniquement ses intentions : « J’espère que tous les membres
du Congrès réfléchiront au fait que les sandinistes
ont entraîné, soutenu, dirigé et pourvu en refuges
les terroristes. lis sont, en ce sens, en train d’essayer de construire
une Lybie à notre porte et ce sont les « contras »
les combattants de la liberté qui les en empêchent ».
Combien de gens ont entendu ou lu et mesuré la gravité
de ce propos, l’hypocrisie et la menace qu’il contient.
Le monde est mal parti. Il continue à s’enfoncer dans la misère :
la société duale - miséreux et chômeurs d’un
côté, riches, toujours plus riches de l’autre - est en
train de s’installer au niveau planétaire sans que l’économie
périclite comme dans les années 30 ; la guerre, les guerres
sont de plus en plus nombreuses et meurtrières. Bien sûr,
cela n’empêche pas la vie de continuer, les oiseaux en ce printemps
de nous réveiller par leurs cris de joie exubérante. Pour
quand un embryon d’Economie Distributive ? Il semble brusquement. en
ce printemps 1986, que la cupidité et la folie des principaux
dirigeants aient fait reculer cet espoir. A moins qu’un jour tous ces
déshérités, tous ces chômeurs...
Mais sans doute faut-il être distributiste pour optimisme garder,
quand on constate que, d’après une enquête RMC-Libération
faite le 16 mars auprès de 4229 électeurs venant de voter,
47 % des chômeurs ont voté à droite (14 % pour Le
Pen) contre 46 % pour le PC-PS ; tout comme les chômeurs Anglais
avaient voté à plus de 50 % pour madame Tatcher au lendemain
de la guerre des Malouines.
(1) Les intérêts payés à l’étranger ont fini par dépasser les entrées. de capitaux frais. La dette US atteint 50 % du PIB et les intérêts représentent 5 % de ce PIB.