Vers un crédit vraiment social


par  P. VILA
Publication : juin 1991
Mise en ligne : 18 mars 2006

Le texte qui suit nous a été présenté par son auteur comme une simple ébauche. Mais son intérêt nous a incités à le publier tel quel pour permettre à nos lecteurs d’y réfléchir.

En raison des difficultés de tous ordres pour chiffrer le bilan réel des circuits de productionconsommation, qui définirait rigoureusement le crédit des comptes individuels engagés dans l’économie, on recourt à l’usage empirique du crédit financier, agrégat (de la distribution par l’échange) des prêts bancaires consentis au système économique par le système de créaton et de gestion du crédit. Cette pratique entraîne deux imprécisions :

1° sur la valeur de l’unité de compte monétaire

2° sur sa distribution réelle à l’échelle micro-économique des échanges dans le temps.

La valeur d’un bien ou service n’est donc repérée qu’a l’instant d’un échange par le "prix du marché" commodément fixé en monnaie. Mais cette monnaie elle-même n’a un sens défini qu’à condition qu’on puisse suivre la circulation de chacune de ses unités en contrepartie de réalités économiques. D’où un monopole double du système bancaire, qui impose aux institutions d’Etat la création de liquidités au nom d’évaluations forcément arbitraires sur le crédit réel du système économique réel, et qui impose aux individus ses conditions d’accès au crédit.

Il y a une troisième distorsion, celle du postulat financier :

3° la monnaie et le crédit sont indûment assimilés à une marchandise un peu particulière fabriquée par les banques pour le bien commun et le bénéfice des opérateurs astucieux, descendants de ces éleveurs de veaux d’or qui faisaient de la richesse à l’infini avec la richesse-bétail.

Nos échotiers de finance qui cornaquent les gouvernants persistent à décrire l’objet-crédit comme une super-marchandise identifiée aux antiques monnaies-bétail ou -bijou. La nature comptable en est devenue immatérielle, ajoutant au mystère qui plane sur ses manipulations justifiées à divers niveaux par le besoin de sécurité. La relation précise de ce crédit avec les mécanismes socio-économiques réels qu’il est censé représenter est occultée par des controverses d’experts sur les déséquilibres entre Etats ; en façade, ces débats d’opinion alternent avec les vieilles notions mystiques sur le rôle de l’or comme facteur mondial d’équilibre des bazars-Bourses. Le pouvoir financier s’impose sans discussion derrière une telle série d’inconsistances aux opérateurs politiques, aisément rappelés à l’antique terreur du pouvoir : pénuries, famines, révoltes, défaites dans l’opération néolithique de base qui est la guerre extérieure. Et ces malheurs sont présentés par nos vertueux orthodoxes banquistes comme l’héritage des agressivités et des paresses nomadiques de l’espèce.

Eh bien oui, c’est une paresse intellectuelle qui pousse les nantis à se garder de poser les questions de comptes du crédit, de dette de crédit national, de l’ascension et de la chute des puissances économiques quelles que soient leurs victoires militaires et même leur rôle d’arbitres mondiaux de l’échange monétaire par la propriété des symboles monétaires. Quelques hommes libres se sont posé depuis la première guerre d’extermination mondiale la question de la validité du système bancaire ? Les distributistes veulent en finir avec ces fausses terreurs collectives mêlées d’envies paranoïaques pour l"argent-sécurité", envies qui reproduisent les guerres et les banquismes modernes dans un mouvement de décomposition incessante.

Je pense que c’est la contrainte indiscutée du pouvoir financier qui déchaîne l’hyperconcurrence commerciale à tous les niveaux ; le mobile essentiel de ce crime contre l’espèce me parait être le prix exorbitant du crédit, profit très spécial de la banque.

Il existe une quatrième distorsion dans l’effet boule-de-neige des intérêts bancaires à sens unique :

4° II n’est pas possible aux utilisateurs du crédit de payer l’intérêt sans contracter de nouveaux emprunts ; le système est indolore grâce aux progrès de productivité et à la multiplicité des profits réels de l’ensemble économique, mais le "secret" des opérations bancaires, c’est cette accumulation systématique de la dette.

Il n’est pas facile de corriger ces profondes distorsions . c’est peutêtre pour cela que les économistes "orthodoxes" cherchent à les "oublier" dans leurs tableaux qualitatifs et embrouillés des mécanismes du marché.

La reforme à faire s’appuiera sur un chiffrage rigoureux des flux économiques réels. Actuellement ce sont les défauts de ce chiffrage qui imposent la course au crédit et la spéculation abusive. Bien sûr comme toute l’humanité, les hommes d’affaires ont leurs rapaces, mais leur caractère principal est le réalisme, pas la soif de superpouvoirs. La concurrence effrénée qui sévit actuellement dans leurs rangs n’est qu’une manière de s’assurer les outils de nouveaux échanges à partir d’avoirs thésaurisés par l’entreprise elle-même sous deux formes : l’épargne sur le profit prévu et le fruit des spéculations intelligentes. Ces avoirs sont la récompense des sciences et des techniques, mais aussi de la longue chaîne d’efforts et de progrès qui fondent la société ; ils constituent le véritable crédithumanité, qui devrait bénéficier le plus également possible à tous les vivants d’un pays.

Pour que cette répartition soit possible, il faut cesser de tricher sur le crédit, donc transformer profondément le système bancaire.

I. Une gestion nationale du crédit

Il n’existe que deux types d’activités dont le contrôle soit une question de vie ou de mort pour un pays. Ce sont évidemment les fabricants d’armes, mais encore bien plus les banquiers ; car non seulement ces derniers doivent régler les échanges après marché conclu ; beaucoup plus stratégiquement encore, ils devraient effectuer le chiffrage de ces échanges dont la connaissance est la condition sine qua non d’une vraie démocratie économique, et la donnée de base permettant de définir le crédit réel du pays donné.

II. La vraie source des richesses

La notion de profit est fondamentale à l’économie elle appelle à une évaluation de ce profit, qui mesure le progrès du système économique à capter l’énergie et transformer les richesses totalement gratuites de notre belle planète pour le bien d’autres hommes. Le crédit, c’est l’effort utile du producteur pour servir le consommateur.

Le grand écart des comptes de dette banco-capitaliste a été bien décrit par les ouvrages fondateurs de C.H. Douglas et de Jacques Duboin ; il semble atteindre aujourd’hui son état d’auto-instabilité terminal... N’y revenons pas, mais essayons de voir comment aller, nous autres Européens de l’ouverture, vers une économie redevenue réaliste. Il me semble que tout doit venir des pays relativement modernes où les outils d’une transformation sont aisément disponibles, alors que les racines du peuple tiennent encore à une terre et à des horizons accueillants, (de même que les réformes ouvrières réussies ont commencé dans les provinces de Grande-Bretagne encore "prospères" ou de l’Allemagne occidentale re-moralisée des tourmentes de l’après-désastre de 1919 et de l’après-cauchemar de l’hitlérisme).

La difficulté des réformes monétaires tient aux interdépendances multiples entre les secteurs de l’économie, où cependant la réflexion distributiste fait rechercher des gestions financières différenciées. Ce sont le secteur primordial des besoins vitaux (aliments-logementsvêtements-équipements individuels) et les secteurs de services (collectifs avec recherche, transports, télécommunications et commerce, en parallèle avec les grands services individuels de santé, éducation, loisirs et culture) ; ces deux grands secteurs sont reliés à l’ensemble des secteurs de production.

Une première réforme radicale doit libérer le secteur primordial ; les entrées et les sorties du crédit y sont directement contrôlables à cause du caractère visible du marché populaire et des temps assez courts qui séparent a production de la consommation (ou de l’acte d’achat commercial). Il est donc aisé de le prévoir il est juste de le financer intégralement pour tous les vivants d’un pays par un dividende social ; il est nécessaire d’instituer la destruction des signes monétaires correspondants à l’instant de la consommation, ce qui permet une observation simple et fréquente des échanges. Les spéculations au dumping en vue des hausses des mégastores peuvent ainsi être corrigées en accord des consommateurs avec l’autorité de contrôle en période de surplus, il est plus évident de stocker au meilleur compte sous forme ultérieurement distribuée en aides extérieures.

Reste à concevoir les masses monétaires d’échange des services et de la production, les plus lourdes et les plus sensibles aux conditions du "marché". Là, en sens inverse des programmes socialistes, il me semble que le prélèvement fiscal a cessé de permettre une surveillance de l’évolution, et qu’il faille s’en remettre à l’initiative des producteurs. Le principal argument pour cette confiance à accorder aux entrepreneurs est qu’aucun système centralisé ne peut économiquement prévoir et adapter les stratégies d’innovation qui s’imposent (enfin) aux groupes privés et nationalisés : l’éducation nationale elle-même recherche l’excellence dans une certaine autonomie de gestion des écoles. Il serait plus facile de faire des comptes clairs si la part de recettes d’Etat ne remettait dans les prix ce qu’on "donne" dans le service public. On devrait se contenter de prélever sur les superprofits, et s’appliquer essentiellement à coller par la monnaie aux biens et aux services, ce qui assouplirait les rouages des grands services, actuellement menacés par rapport aux activités du secteur "libre".

La masse du budget national doitelle pour autant disparaître ? Evidemment non, elle doit être gérée avec la précision et la continuité désormais disponibles grâce aux grands ordinateurs et elle peut enfin tenir compte du besoin de transformation renouvelante des activités de production et de services presque toujours combinées dans un "produit" donné. La "perte" du financement fiscal s’appliquant à ces salaires sociaux, hospitaliers et d’enseignement serait largement compensée par un financement adapté aux services rendus, et la chose publique pourrait devenir réellement celle des citoyens qu’elle sert. Loin de moi, la moindre tentation de franciser te système des ’fondations" américaines qui ont permis aux principaux spéculateurs de parasiter et corrompre la constitution américaine. Il faut donc un arbitrage fondé sur les données vraiment contrôlées sur place et sur les exemples vraiment comparables.

La disponibilité des moyens statistiques et comptables par les fichiers économiques d’aujourd’hui permet ainsi à l’organisme de contrôle du crédit de totaliser les résultats d’échanges. Elle autorise ainsi la nouvelle comptabilité financière qui investira sans contrepartie usuraire pour le compte des entrepreneurs et annulera les sommes correspondantes à l’instant de l’épuisement du service ou de la matière vendue. Ces brèves suggestions ne permettraient certes pas de lancer à bref délai la réforme. Une difficulté mal maitrisée par le système actuel, la circulation à vitesses inégales dans le temps et selon la nature des biens oblige à expérimenter d’abord sur des modèles, pour mieux prévoir les dispositifs réellement applicables.

On voit de dessiner les fonctions d’un Office du crédit réunissant les pouvoirs des présentes banques sans spéculer sur le crédit financier. Ce système briserait le chantage à a dette et mettrait fin à la guerre quotidienne pour l’emploi, à l’avantage d’une qualité de vie retrouvée : quel que soit le talent de chacun des Européens, l"emploi pour tous" est devenu un mythe aberrant. Au contraire les sciences et les techniques vont relever enfin la peine des hommes pour un monde en paix.