2045 selon Rifkin


par  J. RIFKIN
Publication : décembre 1997
Mise en ligne : 2 décembre 2005

Dans sa préface à la traduction du livre de Rifkin, Michel Rocard « trouve redoutable l’idée que les activités du tiers secteur puissent non seulement se développer hors du marché, mais s’y substituer ». Il craint que, pour financer le tiers secteur, les prélèvements sur la production automatisée ne nuisent au dynamisme du système productif lui-même. Il est favorable au partage de la richesse mais « les conditions dans lesquelles doit être fait ce partage doivent être telles qu’elles ne brisent pas la croissance ». Le drame est bien là. Comme le souligne Guy Roustang23 : « Tout se passe comme si hommes politiques, patronat et la plupart des syndicats, économistes, journalistes, refusaient de voir les vrais défis, en voulant se faire croire que demain le ciel pourrait s’éclaircir parce que les Français consommeraient davantage, parce qu’il y aurait reprise de la croissance, parce que la France exporterait encore plus qu’aujourd’hui, parce que la croissance du sud-est asiatique nous garantirait à nouveau des décennies de forte croissance... Autant dire, n’importe quoi, pourvu que cela évite les vrais choix.

On discute à perte de vue sur le type de carburant à mettre dans le moteur, alors que c’est la direction prise par le véhicule qui est en question. »

Rifkin insiste sur les deux points de vue qui s’opposent. Celui des dirigeants politiques et de la plupart des économistes qui veulent faire croire que les innovations technologiques vont engendrer la croissance, une demande renforcée de la part des consommateurs et de nouveaux marchés à l’échelle mondiale, et donc conduiront à plus de créations que de pertes d’emplois. Le sien est au contraire que ces progrès technologiques permettent d’assurer la production matérielle tout en éliminant des dizaines de millions de travailleurs mais :« étourdis par la profusion des thèses contradictoires, les dirigeants continuent à tergiverser ».

Et, en attendant, conclut-il,« Certains vivront de petits boulots, s’assurant un minimum de nourriture et un toit. D’autres se lanceront dans le vol et la petite délinquance. Le trafic des drogues et la prostitution enfleront, seule planche de salut de millions d’être humains valides exclus par une société qui n’aura ni besoin, ni désir de leur travail. Leurs appels à l’aide seront largement ignorés car les gouvernements resserreront les cordons de la bourse et transféreront leurs priorités budgétaires de la prévention sociale et de la création d’emplois vers le renforcement des forces de police et la construction de prisons plus nombreuses [...] Aussi longtemps que les gens continueront à s’identifier avant tout à l’économie de marché, les valeurs de croissance et de la consommation sans limite continueront de peser sur les comportements personnels. Les gens persisteront à se voir, d’abord et avant tout, comme des “consommateurs” de biens et de services... L’avenir dépend de la capacité qu’auront les gens laissés-pour-compte de prendre leurs propres affaires en main et de recréer des collectivités locales viables qui les protégeront des forces impersonnelles du marché mondial et d’autorités centrales de plus en plus faibles et incompétentes... La transition d’une société s’appuyant sur l’emploi de masse dans le secteur privé à une autre fondée sur l’adoption de critères non marchands dans l’organisation de la vie sociale exige un bouleversement de notre vision du monde ».

Il faut changer la règle du jeu. Rifkin est un des rares à en prendre conscience quand il écrit que les emplois utiles et même nécessaires sont ceux de la société “post-marchande”, mais sans pour autant parler clairement de l’après-marché capitaliste :


Jeremy Rifkin est économiste et président de la Foundation of Economics Trends (fondation pour l’étude des tendances économiques). Dans une interview donnée au journal UNTE Reader de Minneapolis, il prédit que dans cinquante ans, l’économie de marché aura quasiment disparu, pour le grand bonheur de tous. Car chacun se consacrera enfin à des activités sociales et personnelles :

Nous sommes en 2045. Pour la plupart des Américains, la vie d’aujourd’hui n’a plus grand rapport avec celle d’il y a cinquante ans. La mutation la plus visible est peut-être l’effacement du marché dans les activités courantes. A l’ère de l’information, la majeure partie des biens et services de la planète est produite dans des usines à main-d’œuvre quasi nulle et distribuée par des entreprises virtuelles gérées par de petites équipes de patrons et de cadres hautement qualifiés. Ordinateurs surpuissants, robots et systèmes de télécommunication dernier cri ont remplacé “l’ouvrier” de l’ère industrielle. Moins de 20 % de la population adulte travaille à plein temps.

La majorité des Américains reçoivent leurs moyens d’existence de la mairie sous forme de bons, en échange de travaux d’intérêt général dans des organisations à but non lucratif. (Les bons sont financés par l’instauration d’une TVA sur les biens et services de haute technologie.) Leurs projets sont extrêmement variés : encadrement d’enfants ou de personnes âgées, cours pour adultes, travail dans des centres de soins préventifs, des galeries d’art municipales, des parcs de stationnement, des jardins publics, des équipes de sport de quartier, participation à des projets historiques, à des activités religieuses ou politiques. Les talents pour l’éducation et le domaine socioculturel requis par les emplois bénévoles sont ceux qui résistent le mieux à la substitution par les ordinateurs, robots et systèmes de télécommunication. Si les métiers liés à l’économie de marché - même les plus qualifiés - sont souvent réductibles à des opérations de numérisation et d’informatisation, les professions de soins, qui impliquent des relations intimes entre les personnes, sont beaucoup trop complexes pour être assurées par des logiciels high-tech. Dans l’ère “post marché”, ce sont ces emplois qui sont devenus les plus cotés. Les gains de productivité rendus possibles par le progrès technologique ayant été amplement diffusés dans la population américaine, les gens travaillent moins de cinq heures par jour - aussi bien dans le domaine socioculturel que dans le secteur privé. Ce qui laisse plus de temps pour la famille, les amis, les projets personnels et la détente. En outre, une partie des richesses dégagées par la révolution technologique est partagée avec les pays en développement.

Les activités communautaires font partie de la formation scolaire

Les valeurs de l’économie libérale, si dominantes à l’ère industrielle, ont fait place peu à peu à une nouvelle philosophie fondée sur le progrès personnel, la participation à la vie locale et la responsabilité de chacun à l’égard de la planète. Hier, le marché favorisait une vision matérialiste du monde, glorifiant la production et l’efficacité, présentées comme les principaux moyens d’atteindre le bonheur. Aussi longtemps que les gens se sont identifiés essentiellement à cette vision, le rêve de la consommation personnelle illimitée a continué à influencer le comportement du plus grand nombre. Les Américains se percevaient avant tout comme des “consommateurs”, et non comme des voisins ou des citoyens. A mesure que les êtres humains se sont libérés du travail formel dans l’économie de marché et qu’ils ont commencé à assurer des activités d’intérêt général dans I’économie sociale, I’influence des valeurs liées à la “communauté” s’est accrue aux États-Unis et dans le monde entier. Afin de se préparer à une carrière sociale les enfants apprennent, à la maison et à l’école, l’importance de l’entraide et du développement des liens de voisinage et de communauté. S’ils passent une partie de leur temps de classe plongés dans le cyberespace et dans la réalité virtuelle, on attend d’eux qu’ils consacrent le restant de leur expérience scolaire au “temps réel”, en rencontrant des gens de leur ville, en contribuant à une société plus humaine et écologiquement viable. Les activités pratiques au service de la communauté font désormais partie intégrante de la formation scolaire. Les jeunes apportent leur aide dans une grande variété de domaines : maisons de retraite, foyers pour animaux, actions en faveur de l’environnement et d’innombrables autres programmes de quartier. Ils sont préparés à la vie au sens large, pas seulement à un travail. L’importance de l’investissement personnel dans les relations avec les autres est perçue comme l’antidote nécessaire aux échanges de plus en plus impersonnels que provoquent les nouvelles technologies de l’information et des télécommunications.

La transition vers l’ère post marché ne s’est pas opérée sans heurts. Les chefs d’entreprise et d’autres groupes d’intérêts ont combattu chaque étape du passage à l’économie sociale, surtout dans les premières décennies du XXIe siècle. Ce qui n’a pas empêché le développement de politiques sociales post marché, à mesure que les rouages du capitalisme marginalisaient un nombre croissant de personnes. Même s’il existe encore une certaine opposition chez ceux qui restent attachés aux valeurs du XXe siècle, la plupart des Américains se sont bien adaptés à l’ère post marché. Ils apprécient l’espace de liberté dont ils disposent grâce à la diminution du volume du travail.


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