À propos du projet Hunebelle
par
Publication : juin 1982
Mise en ligne : 27 janvier 2009
SI le distributisme était appliqué, il est certain que
les hommes seraient d’emblée dans des conditions idéales
pour rechercher le meilleur moyen de s’alimenter en nourritures de plus
en plus élevées, à partir du moment où le
problème aurait été résolu...
... Il y a un aspect de philosophie sociale, de sociologie même,
qui me paraît très intéressant et utile c’est une
réflexion qui analyse et dissèque parfaitement les faits
actuels et qui dépasse à mon avis en profondeur les analyses
marxistes ou keynésiennes traditionnelles. C’est la France profonde,
intelligente, logique et fraternelle qui se manifeste à l’évidence
dans « La Grande Relève »...
... La France ne croit plus au capitalisme mais ne trouve rien d’autre
pour le remplacer qu’un certain « socialisme » qui fait
du distributisme à la petite semaine (ils y viennent). Ce qui
me paraît sympathique en France c’est finalement que la crise
peut entraîner une réflexion véritable, donc la
mise à l’épreuve des idées ultramodernes de Jacques
Duboin. Mais pour l’instant l’atmosphère est plus difficile à
respirer qu’en Suisse, hélas ! Est-ce le prix à payer
pour la gestation d’une France nouvelle, plus égalitaire, plus
libre et plus fraternelle, comme nous le souhaitons tous au fond de
nous-mêmes ?
... En fait l’Etat se voit contraint peu à peu, par les nécessités,
de taire du distributisme sans le savoir, sans l’avouer, tout simplement
parce que c’est inéluctable, inévitable ; parce que la
société future, automatisée, ne pourra pas survivre
sans donner à sa population les moyens d’acheter la production
des machines. Le rêve élitiste et cynique des capitalistes
attardés serait de « dégraisser » l’entreprise
de tout l’élément coûteux, contestataire, irrégulier,
fatigable, pour le remplacer par une chaîne automatique, réduisant
les frais de production à un minimum, pour un profit maximal.
Mais ce raisonnement primaire oublie la question du marché et
n’intègre pas ce rêve dans un modèle économique
global. Au niveau planétaire l’on retrouve la même inconscience
bornée...
...C’est toujours le même système à courte vue,
à court terme, qui ne voit que le plus immédiat et qui
ne tient pas compte de l’intégration du système. «
Pour produire, il faut donner aux hommes « les moyens d’acheter
» : cette loi évidente, logique, vraie, devra peu à
peu s’imposer aux chefs d’entreprise et d’Etat jusqu’à ce que
finalement ils l’appliquent systématiquement, consciemment, ayant
enfin (sera-t-il encore temps ?) compris sa justesse : ce sera le distributisme
organisé...
...Mais combien d’amères expériences ; d’années
d’essais et erreurs seront nécessaires pour que l’Etat redécouvre
empiriquement les lois que Jacques Duboin avait autrefois formulées
si clairement ?...
... Un phénomène de polarisation dialectique se manifeste
de plus en plus et va obliger les hommes à effectuer un choix
entre deux pôles, qui sont en eux-mêmes : le pôle
du mal poussé à l’absolu par la logique interne des systèmes
informatiques ou celui du bien, qui peut de même être développé
par les machines, qui sont neutres et obéiront aux ordres donnés.
D’où finalement, n’en déplaise à ceux que cela
gêne, l’obligation de considérer le problème MORAL
de la distribution, celle-ci pouvant être le pire ou le meilleur
des systèmes selon que le partage est fait fraternellement, équitablement,
collectivement, ou au contraire, fait perversement, cyniquement, égoïstement,
sur le principe « plus j’en ai mieux ça vaut et tant pis
pour les autres » bien connu. Toute idée, même généreuse,
peut être récupérée et transformée
en son inverse si l’intention morale est différente. Je crois
que cette réflexion est nécessaire et utile parce que
la lecture de la revue m’a parfois laissé quelques impressions
d’optimisme presque naïf quant à la nature humaine. Je crois
qu’il faut être prudent et réaliste, et tenir compte de
tous les cas de figure possibles, dont les pires...
... Je ne crois qu’au travail concret, à l’exemple même
individuel, donné aux autres pour éclairer un chemin.
C’est pourquoi le Plan Hunebelle me paraît être la meilleure
chose qui soit sortie du distributisme depuis -1934 dans la revue. C’est
sur ce plan et non sur des analyses du type commentaires amers de la
réalité qu’il faut se concentrer. Comme vous le dites
dans un dernier numéro : « il faut agir ». Il est
illusoire d’attendre des aides extérieures et même le Plan
Hunebelle me paraît entaché d’une certaine naïveté
quand il croit pouvoir faire appel aux pouvoirs publics pour l’aider
à se développer... Cette incurable tendance à faire
pression sur les gouvernants pour leur faire accepter des idées
très radicales n’a jamais pu être perdue malgré
les démentis historiques. Même si l’idée devait
être acceptée et reprise par un gouvernement, ce qui est
très hypothétique, elle serait automatiquement récupérée,
déformée, transformée, pour qu’on ne puisse pas
dire qu’elle a été reprise de quelqu’un d’autre. C’est
ce qui se passe pour la plupart des découvertes faites par des
non-officiels, qui sont reprises sous un autre nom et une autre forme.
Rien ne serait plus facile que de reprendre ainsi le Distributisme sous
une autre terminologie et une autre morale !
« Je pense qu’il faut donc passer à l’action dans la légalité
mais sans attendre de quelconques aides gouvernementales. Si elles se
produisent, tant mieux. Il faut rester pilote libre et maître
de l’application orthodoxe des idées de J. Duboin, ce qui ne
serait plus le cas en cas de braderie aux officiels. L’idée suggérée
par un lecteur de créer une sorte de kibboutz ou d’atelier communautaire
me paraît être la bonne : je crois qu’il faut privilégier
la production pour pouvoir ensuite redistribuer...
« Il existe en France des groupes marginaux qui parviennent ainsi
à vivre sans presque aucun contact avec l’extérieur et
qui se développent.
Je crois qu’il serait utile d’envisager une sorte d’interconnexion entre
tous les mouvements à vocation d’autonomie ; même s’ils
ne pratiquent pas encore une économie purement distributive,
afin de regrouper les bonnes volontés, qui ont toutes en commun
de lutter contre un système officiel décadent et condamné.
Certaines communautés existantes pratiquent peut-être sans
le savoir ni le nommer un distributisme spontané ou larvé,
qu’il suffirait alors de redresser et d’améliorer pour offrir
le noyau d’un futur réseau...
...Il serait peut-être possible de commencer par acheter collectivement,
par souscription, un vaste domaine exploitable, qui permettrait d’abord
à de nombreux chômeurs de travailler et de manger, ce qui
est le plus urgent. Ce projet de communauté agricole est possible
parce qu’il en existe déjà beaucoup par ailleurs. Au lieu
d’envisager d’emblée que toute la France passe à l’économie
distributive avec les mêmes structures, le même réseau
fondamental, je crois qu’il serait sage de radicaliser vraiment les
idées et de penser à une décentralisation, la plus
poussée possible, sur la base d’unités de production autonomes,
pouvant par la suite envisager des échanges, des trocs (spécialisation
par région naturelle).
Le plus urgent me paraît être de regrouper toutes les bonnes
volontés dispersées et de faire circuler l’information.
Les chômeurs ne doivent pas automatiquement exiger de retrouver
les mêmes conditions de vie et de travail qu’auparavant. Il faut
accepter un changement de vie radical.
Les chômeurs constituent une population de type industriel, en
général spécialisée et adaptée aux
structures que nous refusons. Il nie semble donc qu’il leur faudra passer
en général par une phase de réadaptation, par un
recyclage en profondeur. Cela n’étant pas seulement vrai pour
les chômeurs mais pour nous tous, pour ceux qui un jour comprendront
l’impasse désastreuse du système actuel et voudront passer
dans l’autre système, fraternel, distributif : personne ne pourra
le faire d’emblée, sauf peut-être les paysans véritables
(non industrialisés), les vrais artisans, tous ceux qui ont conservé
un savoir-faire traditionnel, non industrialisé.
Tout à fait d’accord avec votre formule : « Le monde marchand
vous élimine, refusez-le ! ». Mais il faut aller jusqu’au
bout de cette idée : refuser ce monde, c’est aller vers un autre
univers, donc modifier de fond en comble toute sa mentalité,
ses habitudes, éventuellement sa profession et son activité.
-« o »-
Parfaitement d’accord pour penser qu’une des meilleures façons d’agir est de se prendre par la main et s’organiser en économie distributive sans attendre l’aide de l’Etat... Mais ces communautés distributives se placent alors dans des conditions matérielles souvent difficiles car elles sont privées de moyens techniques gigantesques qui existent et rendent aujourd’hui possible la libération de l’homme. Ces communautés doivent donc être considérées comme une démonstration de ce que la fraternité peut réaliser et d’un mouvement de masse qui peut, en les réunissant, imposer l’accès de tous aux moyens modernes par une économie distributive généralisée.
M.-L. D.