Le commencement de la fin


par  P. LECOCQ
Publication : juin 1982
Mise en ligne : 27 janvier 2009

INFLATION, dévaluation, chômage sont les syndromes de l’agonie du système d’économie de marché dit «  Capitaliste ». Les lois élémentaires de l’arithmétique sont bafouées au point qu’on admet comme axiome qu’un Etat ne peut faire faillite, alors que les faits prouvent le contraire. Le déficit budgétaire de la France prévu pour 1982 sera de 115 milliards de francs. Celui des Etats-Unis de 130 milliards de dollars (800 milliards de francs). L’endettement de la France en 1983 frisera les 200 milliards. Vingt pays débiteurs des banquiers américains sont incapables d’honorer leurs échéances. Leur dette globale avoisine 150 milliards de dollars. Quant aux pays en voie de développement, ils ne peuvent même pas régler les intérêts des capitaux empruntés ! La Pologne et la Belgique sont en état de faillite virtuelle. En France, les entreprises qui avaient emprunté à long terme à 8 % doivent rembourser aujourd’hui alors que les taux sont à 17 %. Le Crédit Agricole a accordé en 1981 19 milliards de prêts aux agriculteurs. Un grand nombre de ceux-ci sont dans l’impossibilité de rembourser. 80 000 d’entre eux parviennent tout juste à rester à flot. 40 000 sont dans une situation désespérée. Les Etats-Unis, le pays le plus riche du monde, connaît une récession profonde et son taux de chômage est plus élevé qu’en 1929. La vente des voitures a chuté de 60 % et celle des logements de 50%. Les 320 000 employés de la Général Motor ont accepté une réduction de 9 jours de congé et le gel de leurs salaires jusqu’en septembre 1984. La Grande-Bretagne bat tous les records européens du chômage : 3 millions et demi. En Belgique, qui a pourtant adopté la semaine de 35 heures, 12 % de la population active est en chômage (9 % en France). Comme gâchis, il n’y a que les pays communistes pour faire mieux  !
Tous les palliatifs employés pour sortir des crises précédentes sont sans effet aujourd’hui. L’arsenal le plus sophistiqué mis au point par de « distingués économistes » bouffis d’autosatisfaction, est incapable de juguler les évasions de capitaux, les spéculations qui font vaciller telle ou telle monnaie pour aboutir aux dévaluations. Ils essayent d’arrêter la hausse des prix en ralentissant les achats des entreprises et des particuliers en portant le taux de l’argent à des valeurs usuraires dont seuls profitent les spéculateurs qui transfèrent leurs masses de capitaux flottants là où ils sont le mieux rémunérés. L’argent n’a pas d’odeur mais il n’a pas de patrie non plus !
Les dirigeants du monde sont incapables de maîtriser les forces que les apprentis sorciers ont libérées. Ou ils sont asservis par le système, ou ils sont incompétents. (De Gaulle ne disait-il pas que les Japonais n’étaient que « des petits vendeurs de transistors »). Nos technocrates proclament : «  Il faut créer des emplois ». Quels emplois ?? Ou bien il y a du travail, donc un besoin de main d’oeuvre, et on emploie des chômeurs  ; ou il n’y a pas de travail et alors on peut se demander si créer des emplois signifie : pour faire du travail inutile ? L’emploi est la CONSEQUENCE du fait qu’il y a quelque chose à faire, mais il n’en est pas la CAUSE. « Une conséquence est fausse lorsqu’elle ne résulte pas bien des prémisses ». C.Q.F.D.
Or, que passe-t-il ? Les microprocesseurs remplissent de plus en plus les tâches répétitives. Dans les prochaines années la production va s’intellectualiser du haut en bas de l’échelle hiérarchique. Nous ne sommes qu’au début de l’Ere du Robot et déjà nous constatons qu’ils prennent de plus en plus la place des hommes. La British Steel Corp. produit autant d’acier qu’autrefois avec 40% de main d’oeuvre en moins. En France, au lendemain de la guerre, le textile et l’habillement employaient 1 200 000 personnes. Aujourd’hui, les effectifs sont ramenés à 550 000. Cette diminution est liée à l’amélioration des techniques et de la productivité. On s’achemine vers des usines automatiques qui réduisent la main d’oeuvre dans la proportion de 5 à 1. Dans l’industrie automobile, tout le monde a pu voir à la télévision les chaînes robotisées. Et on pourrait multiplier les exemples dans n’importe quelle branche de l’industrie.
La technologie progresse à pas de géant et ce mouvement est bien entendu irréversible. On imagine mal le retour au travail à la pioche à la place du marteau piqueur, au pinceau au lieu du pulvérisateur, à la traction animale au lieu du moteur et à la bougie au lieu de l’électricité.
La vérité qu’il faut proclamer, puisque nos politiciens n’ont pas le courage de le faire, c’est que LE CHOMAGE EST INTRINSEQUEMENT TECHNOLOGIQUE ET QU’IL SERA DESORMAIS ENDEMIQUE dans l’économie de marché. Tant mieux si l’Homme est enfin libéré de la malédiction de « gagner son pain à la sueur de son front ». Le mot chômage devra disparaître avec ce qu’il évoque de peines physiques et morales. Mais pour cela, il faut que le monde change avant qu’il soit trop tard.
L’ECONOMIE DISTRIBUTIVE EST L’ALTERNATIVE QU’IL FAUT SAISIR car il n’y a actuellement RIEN d’AUTRE ! Déjà en France, le tiers des revenus disponibles des ménages provient des prestations sociales allouées par les mécanismes de redistribution. Mais soyons sans illusions. Ce sera long et difficile car les puissances d’argent et les idéologies s’opposeront de toutes leurs forces à cet avènement. Leur loi n’est-elle pas : « Périsse l’Homme plutôt que le profit » ?


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