Après l’AMI, l’AGCS


par  G. PONS
Publication : décembre 2000
Mise en ligne : 21 mars 2009

Ayant répondu à une invitation conjointe d’ATTAC et du CCC-OMC [1] du Gard pour participer à un séminaire sur l’AGCS [2], notre ami George Pons y a tellement appris qu’il est bien décidé, nous a-t-il écrit, à « maintenant communiquer son inquiétude à tous ceux qu’il peut approcher, afin que chacun puisse, dans la mesure de ses moyens, lutter contre ce que certains voudraient nous faire croire inéluctable ». Voici ce qu’il a retenu pour nos lecteurs, qui feront sûrement le rapprochement avec l’AMI [3] dénoncé ici en mars 1998 :

 Où est le problème ?

L’AGCS que nous mijote en permanence l’Organisation Mondiale du Commerce risque de connaître de nouvelles avancées d’ici peu si nous n’y mettons pas notre nez et, n’en doutons pas, ces avancées seront faites de nos reculs.

Quel est, à travers ce dispositif, l’objectif poursuivi par les firmes transnationales qui manipulent les marionnettes ? C’est diaboliquement simple : transformer en marchandises commercialisables et privatisées toutes les activités humaines qui ne le sont pas encore…

Vous pensiez que des secteurs d’activités tels que la santé, l’éducation, la culture, pouvaient rester le domaine d’élection du service public ? Eh bien, non !

Cette “exception française” n’a pourtant rien d’exorbitant : dans les domaines cités, notre pays ne connaît, que je sache, aucune étatisation exclusive. Figurez-vous qu’elle nous mettrait pourtant à la traine de la “modernité”, autant dire au ban de la société des hommes. L’OMC veut donc en finir avec elle.

On peut résumer la “philosophie” de l’AGCS par ce commentaire de la Commission européenne : « L’AGCS n’est pas seulement un accord entre gouvernements. C’est en premier lieu et avant toute chose un instrument au bénéfice des milieux d’affaire ».

En attendant de relancer le “Round du Millénaire”, mis a mal à Seattle, les négociations sur une nouvelle libéralisation dans le secteur des services ont déjà commencé. Les “services” sont définis de manière si large qu’ils recouvrent près de 70 % des investissements globaux à l’étranger. Ce qui veut dire que les négociations de libéralisation de l’AGCS pourraient recouvrir presque tout, depuis les transports, l’énergie, l’eau et le pétrole, jusqu’à l’audiovisuel, la santé et l’éducation. Pour beaucoup de secteurs, libéralisation signifie en réalité privatisation, ce qui fait des discussions de l’AGCS une menace majeure pour ce qui reste des services publics en Europe. Avec le gouvernement américain, l’Union Européenne poursuit un programme de libéralisation accélérée. L’Union Européenne, avec à sa tête la Commission, calque ses sujets de négociation et ses stratégies sur le programme offensif des grandes sociétés de l’Union Européenne, élaboré dans le Forum des Services Européen (FSE).

Fondé au début de 1999, à l’initiative de l’ancien Commissaire au Commerce Sir Leon Brittan, le FSE est un partenaire privilégié de la Commission européenne ; il représente les intérêts des plus puissantes sociétés européennes de services. Il comprend un très large éventail de sociétés, depuis les banques (exemple la Commerzbank AG et ABNAMRO) et les compagnies postales (comme la Deutsche Post et La Poste), en passant par des gros détaillants (comme Royal Ahold et Metro) et des éditeurs (tels que Bertelsmann), jusqu’à des sociétés distributrices d’eau (parmi lesquelles Vivendi et Suez-Lyonnaise des Eaux) et d’énergie (la société finlandaise Fortum, Eurelectric).

 Le “protecteur”

Et si vous pensez que le Commissaire européen chargé du dossier, pourtant français et même “socialiste”, Pascal Lamy, va faire en sorte de veiller au grain, erreur ! Souvenez-vous de Seattle. La voix de l’Europe, c’était lui. C’est toujours lui. Lui, un ancien du Crédit Lyonnais, qui entretient avec les lobbies patronaux les relations les plus affectueuses, au point de déclarer, à son arrivée à la Commission européenne : « c’est vraiment agréable de se retrouver dans le milieu des affaires ! », puis, rapidement débourré : « l’Organisation Mondiale du Commerce doit élargir ses attributions. » Il se trouve que j’ai connu, ou plutôt rencontré à trois reprises Pascal Lamy dans les années 80, à l’époque où, encore jeune énarque, il présidait le CIASI (Comité interministériel d’aménagement des structures industrielles), organe chargé de procéder au réglement de compte des entreprises de bonne taille frappées par la “crise”. C’était pour les besoins de la cause : j’étais appelé à intervenir dans le sauvetage d’entreprises en difficulté, et je me souviens combien la recherche de “solutions industrielles” le laissait parfaitement indifférent au sort des salariés victimes de ces restructurations. “Dégâts colatéraux”, comme on a dit naguère au Kosovo. Plus tard, directeur de cabinet de Jacques Delors [4], il a sans doute perfectionné son art de réduire les problèmes sociaux à leur plus simple expression.

 Les partenaires

Voulez-vous découvrir ses partenaires les plus familiers, ceux dont il anticipe volontiers les espoirs les plus fous, jamais las de rendre service ? On m’en a cité six, parmi les plus représentatifs, qui ressemblent à s’y méprendre à des clubs d’hommes d’affaires, mais qui, c’est un comble, sont pourtant classés “organismes non-gouvernementaux” (au même titre que “Emmaus”, par exemple…) :

• - TABD = Transatlantic Business Dialogue. Créé en 95 à l’initiative de la Commission européenne, il est actuellement présidé par J. C. Colomb, PDG de Lafarge et il compte environ 150 grands patrons des deux côtés de l’Atlantique. 80% de ses recommandations sont reprises dans les décisions de la Commission européenne qui, faut-il le rappeler, est composée uniquement de fonctionnaires européens, répartis en 23 directions générales correspondant à des missions particulières, les fameuses DG d’où nous parviennent les non moins fameuses “directives européennes” [5].

• - GSN = Global Service Network. Créé en 98 pour accélérer la libéralisation des services, il regroupe principalement banques, compagnies d’assurance, télécommunications, ainsi que les “Big Five”, les cinq plus gros cabinets d’affaires du monde.

• - ERT = Table Ronde Européenne des industriels, qui réunit 45 “capitaines d’industrie”.

•- UNICE = Union des Confédérations d’industriels et d’employeurs, c’est-à-dire tous les équivalents européens du Medef.

• - GBDEC = Global Business Dialogue on Electronic Business. Créé en 98 pour lever tous les obstacles au développement du commerce électronique, il est co-présidé par AOL et Time-Warner, qui ont récemment fusionné dans l’allégresse générale [6].

• - EUROPEN = Réseau européen des entreprises d’emballage et d’environnement.

Les 23 DG ont, paraît-il, peu de rapports entre elles. Au point qu’une directive conçue par l’une d’elles peut avoir des conséquences négatives sur la mission d’une autre. Mais en revanche, pour tout ce qui concerne les décisions mettant en cause une Organisation mondiale du commerce débarrassée de réglementations nationales vécues comme autant d’entraves au libéralisme, la Commission européenne s’est dotée d’un certain “Comité 133”, transversal celui-ci, chargé d’avaliser les textes conçus par les DG et approuvés par la Commission, afin que le Parlement européen puisse les voter à la volée…

 La résistance

La détermination que l’on peut prêter à ces groupes de pression, servis par des moyens financiers probablement illimités, disposant de complicités que nous avons nous-mêmes contribué à créer, laisse-t-elle la plus faible chance aux citoyens de faire obstacle à leurs desseins ? Peut-être suffirait-il qu’ils le veuillent vraiment ? Peut-être suffirait-il qu’ils cherchent à s’informer ? Peut-être suffirait-il qu’ils imaginent un monde dans lequel tout aurait été organisé pour leur éviter de se poser les bonnes questions ? Si nos grands-parents avaient pû connaître en 1913 le bilan de 14-18, auraient-ils mis la fleur au fusil ? Si nos parents avaient connu celui de 39-45, auraient-ils assisté impuissants à la montée du nazisme depuis les années 30 ? Ce qui se prépare aujourd’hui à l’échelle mondiale n’a rien à voir avec ces tragédies ? On peut toujours l’espérer. Ou se mettre rapidement du côté du manche, à tout hasard. Ou se battre. Au choix …

Et là, que ceux qui douteraient encore du poids dont chacun dispose sur notre avenir commun, relisent le message d’Albert Jacquard [7] à son virtuel arrière-petit-fils : Ce n’est quand même pas faire de “l’anti-américanisme primaire” que contester une organisation de la planète entièrement soumise à la politique du “bloc occidental d’inspiration anglo-saxonne”, et alors même que notre pays n’est certainement pas la victime principale de cette nouvelle forme d’impérialisme.

A toi qui n’es pas encore né(e)

« Garde-toi d’imaginer que ton influence est négligeable. Tu n’es qu’un des huit milliards d’humains qui, d’après les prévisions actuelles, peupleront la planète en 2025, mais, comme chacun d’eux, tu comptes pour un. Ni moins que les personnages qui occupent le devant de la scène et que l’on dit puissants, ni plus que les malheureux qui sont apparemment sur la touche et que l’on dit exclus. Ta présence pèse du même poids que celle des présidents et des clochards. N’accepte jamais de succomber aux insidieux “à quoi bon ?”. Ne te satisfais pas du rôle de Ponce-Pilate. Ne dis jamais : « je n’y peux rien », ou pire, « je n’y suis pour rien ».Certes, les galaxies ou les particules élémentaires ne sont guère influencées par tes choix, mais, entre ces deux inaccessibles, l’infiniment grand et l’infiniment petit, il y a le monde des hommes, la “Terre des Hommes”, scène où, avec huit milliards d’autres, tu vas jouer ton rôle. Ce rôle n’est pas déja écrit. »

Albert Jacquard.

Sans doute sommes-nous relativement impuissants face aux États-Unis qui disposent de 17,87% des droits de vote au FMI et à la Banque mondiale. Pourtant, ces institutions prennent leurs grandes décisions à la majorité qualifiée de 85 %, ce qui veut dire que la minorité de blocage se situe à 15 % ; or, les seuls membres de la zone euro disposent en commun de 22,66 % des quote-parts, donc largement assez pour promouvoir d’autres politiques que celles de Washington…


[1CCC-OMC = Coordination pour le Contrôle Citoyen de l’Organisation Mondiale du Commerce. siège : 40 rue de Malte, 75011 Paris.

[2AGCS = Accord Général sur le Commerce et les Services. Nous avons publié une liste de ces services à propos de l’OMC voir GR-ED N°992, p.2.

[3AMI = Accord Multilatéral sur les Investissements. voir dossier GR-ED N°975.

[4Jacques Delors, ancien conseiller de Chaban-Delmas, devenu “socialiste”, président pendant dix ans de la Commission européenne qu’il a laissé “libéraliser” à outrance !

[5Plus personne ne peut sérieusement regretter cette évolution de l’histoire de notre continent qui tend à en fédérer les peuples. Ce n’est pas inviter à un replis frileux et xénophobe que souhaiter aux institutions européennes un fonctionnement plus démocratique. à condition toutefois, que le recul des souverainetés nationales ne laisse pas les citoyens de l’Europe sans recours contre les délires d’un nombre croissant d’eurocrates stipendiés par les multi-nationales…

[6Voir GR-ED N°997, édito.

[7Nous avons publié une analyse de ce livre et des extraits dans ce même GR-ED, N° 997, mars 2000, page 12.


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