Mon argent m’intéresse


par  J.-C. PICHOT
Publication : décembre 2000
Mise en ligne : 21 mars 2009

« La monnaie est au cœur de la réforme distributive que propose la GR-ED » dit Jean-Claude Pichot, qui ajoute « réforme (ou révolution ?) qui est la seule à pouvoir prétendre donner à chaque humain la place qui lui revient sans avoir à subir le despotisme d’un système financier actuellement omniprésent et tout-puissant. C’est pourquoi il tente une expérience :« présenter de manière résumée, et si possible sans trahir la réalité, la place ou les places que tient aujourd’hui pour le meilleur ou pour le pire, dans la vie de chacun, ce que nous appelons couramment “l’argent”. La description de ce que peuvent être nos relations avec ce “partenaire” incontournable dans le cadre de l’ED est la suite logique de cet article ; mais, plutôt que d’en proposer une » il préfère demander « aux lecteurs de réagir en participant à cet exercice qui paraît bien plus “démocratique” que celui consistant à énoncer unilatéralement des propos qui risquent d’être partiaux et partiels. »

Il y a environ 10.000 ans, l’homme a commencé à mettre en œuvre des pratiques monétaires utilisant des produits ayant une valeur “marchande” (par exemple, sel, bétail ou grains) pour le règlement de dots, d’alliances politiques, de conflits ou de rançons ; certaines sociétés de cette même époque ont simultanément adopté, pour certains échanges commerciaux, des monnaies symboliques telles que coquillages ou objets de pierre sans réelle valeur économique. Ces monnaies ont probablement eu, dès le début, le triple rôle d’outil de valorisation (relative) des produits, d’outils d’échange (au moment de la transaction) et de moyen de thésaurisation (“bas de laine” pour l’avenir).

Ces pratiques n’ont pas, semble-t-il, supplanté immédiatement celle, plus ancienne, de la mise en commun et du partage pratiqués par de nombreuses communautés humaines de petite taille vivant en autarcie, dont nous trouvons encore quelques traces chez certaines “peuplades” traitées parfois de primitives ; mais elles n’ont cessé, depuis cette époque, de se développer sans discontinuité majeure jusqu’à ce que nous connaissons aujourd’hui.

La vie sociale et économique de nos ancêtres a été rythmée par les nouveautés, les crises et banqueroutes qui ont marqué nos pays occidentaux dans ce domaine. Il y a un peu plus de 2.500 ans, selon Hérodote, sont apparues en Asie Mineure les premières pièces, confectionnées, au début, en électrum, mélange d’or et d’argent, puis dans l’un ou l’autre de ces métaux ; de leur côté, les Chinois ont utilisé, il y a environ 2.000 ans, des monnaies en cuivre. Il est vraisemblable que ces métaux, que l’on pouvait trouver à l’état natif, donc sans nécessité de pratiques métallurgiques compliquées, ont été choisis à cause de leur rareté, de leur pérennité et de la fascination visuelle qu’ils ont pu exercer sur des humains déjà sensibles à la beauté des choses. En ce qui concerne les monnaies ayant le caractère de biens marchands utilisables (exemples : sel ou grain), on peut noter qu’elles ont perdu progressivement leur place, même si le troc était encore d’actualité récemment dans nos sociétés actuelles (ex : café contre voitures, raisin contre matériels électroniques !).

Les premiers billets en papier, beaucoup moins attrayants que l’or ou l’argent, mais que l’on pouvait “produire” en quantité, ont été lancés par les Chinois au 9ème siècle pour cause de pénurie de cuivre. Cette nouveauté, importée en Occident par Marco Polo à la fin du 13ème siècle, est probablement le pas le plus important vers la dématérialisation de la monnaie, qui, après l’étape fiduciaire (qui tient son nom de la confiance que l’on était bien obligé d’accorder aux banques qui émettaient ces billets), nous a conduits progressivement à la monnaie scripturale (les chèques, qui constituent une variante souple des billets) et aux solutions électroniques d’aujourd’hui (cartes à puces, relayées par les réseaux de télécommunications mondiaux).

Cette évolution, qui s’est accélérée à partir du début du 18ème siècle (Law), n’a pas pour autant fait disparaître l’or, devenu le principal métal de référence ; bien au contraire, la “conquête” de nouveaux continents, notamment l’Amérique dite latine, avait pour objet la découverte de l’eldorado, et le métal précieux a permis jusqu’en 1976, année de l’abandon de la convertibilité, de fiduciariser, si l’on peut dire, les billets émis par les banques centrales grâce aux stocks qu’elles en avaient faits sous forme de lingots au poids codifié.

Nous sommes tous plus ou moins imprégnés de cette longue histoire, souvent à notre insu ; à tel point que pour une majorité, la monnaie (que nous appelons encore souvent l’argent), quelle qu’en soit la forme, est une création intouchable d’origine très ancienne, d’essence quasi religieuse. Si le “bas de laine” a pratiquement disparu dans notre pays, utilement remplacé par d’autres solutions plus sûres pour maintenir ses “économies” à l’abri des pertes, des vols et de la dévaluation, nos relations avec l’argent restent marquées par des comportements ou des sentiments anciens, souvent d’ordre sensoriel ou affectif.

Finies les “espèces sonnantes et trébuchantes”, mais on continue à parler d’odeur (pour dire qu’il n’en a pas), on le touche, il peut être sale (aux sens figuré et… propre). La monnaie peut être petite ou menue. On parle encore d’anciens francs (nostalgie mais de quoi ?) ; mais lorsqu’on l’assimile aux centimes actuels (centième partie du franc lourd), on se trompe d’un facteur 10, valeur approximative de sa dépréciation en 40 ans ! Il s’est vu attribuer un tas de noms plus ou moins imagés ou d’origines historiques tels que fric, oseille, pèpètes, pèse, pognon, flouss, sous (encore couramment utilisé il y a 50 ans dans nos campagnes avec la valeur de 1/20 de franc), etc., qui témoignent peut-être d’une tendance à vouloir particulariser ces relations en fonction de coutumes locales anciennes ou de groupes humains.

Les sociologues attribuent à la monnaie un statut de lien social de première importance, indépendamment de son rôle de moyen de paiement nécessaire à la majorité des échanges. Ceci explique que, même si les taux de change des monnaies de “l’Euroland” sont désormais fixes, certains habitants de notre vieux continent n’ont pas “digéré” l’abandon prochain de leur monnaie historique (c’est, notamment, le cas de l’Allemagne) et que les pièces en préparation auront toutes une face nationale. Dans le même esprit, alors que la monnaie électronique se développe, il faut savoir que les billets les plus “lourds” de notre histoire seront bientôt ceux de 500 Euros (soit plus de 3.250 F !), imposés par les Allemands, qui aiment bien manipuler les grosses coupures ! On peut, au passage, s’interroger sur les vrais raisons de cette décision.

Dans ce contexte, sommes-nous prêts à vivre avec une monnaie distributive, fondante au moment de son utilisation, et ne rapportant pas d’intérêt ? N’avons-nous pas pris des habitudes telles que nous ne puissions nous y mettre sans difficultés majeures ? A priori, on peut penser que les relations avec cette monnaie d’un nouveau genre seront similaires à celles d’aujourd’hui, notamment à travers le pratique des moyens de paiement électroniques qui se développent (cartes à puces, porte-monnaie électronique, etc.). Mais là s’arrête la comparaison : a priori, finis les billets et les pièces et tous les usages que l’on pouvait en faire en-dehors du paiement des biens essentiels, finies les situations de rente, mais aussi, et c’est tant mieux, l’argent sale, les dessous de table, le travail au noir ! Devenus alors “copropriétaires” du système au niveau de la planète, nous serions fondés à dire notre argent nous intéresse, nerf de la paix et non plus de la guerre.

Pour la suite de l’histoire, merci à vous, amis lecteurs, de nous faire part de vos réactions et de vos propositions.


Note : Ce résumé de l’histoire de la monnaie a été établi à partir du numéro n° 45 (3ème trimestre 2000) de la revue Alternatives Économiques.


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