Au fil des jours

Chronique
par  J.-P. MON
Mise en ligne : 31 août 2009

 Ce n’est plus la crise…

En tout cas, pas pour tout le monde : Bank of America a réalisé un bénéfice net de 3,2 milliards de dollars au deuxième trimestre, supérieur aux attentes, grâce notamment à des résultats record dans les activités de courtage ; Citygroup, qui n’avait plus été bénéficiaire depuis le troisième trimestre 2007 et qui avait été renflouée à hauteur de 45 milliards de dollars par l’État fédéral, a affiché un bénéfice net de 4,27 milliards de dollars au deuxième trimestre, grâce, elle, à la plus-value dégagée par la cession partielle de ses activités de courtage Smith Barney [1].

Mais la “performance” la plus étonnante est celle réalisée par la banque d’affaire Goldman Sachs qui vient d’annoncer un profit de 3,4 milliards de dollars pour le deuxième trimestre 2009 et un chiffre d’affaire record de 13,7 milliards de dollars [2], alors qu’elle vient à peine de rembourser l’aide publique de 10 milliards de dollars reçue à l’automne 2008. Ces bons chiffres n’ont cependant pas été réalisés dans “l’économie réelle” mais par des activités de financement sur les marchés financiers : « Le gros des bénéfices provient de commissions perçues sur des émissions de dettes d’entreprises, d’activités de marché et d’investissements réalisés pour son compte propre ». En d’autres termes, c’est reparti, comme avant la crise, grâce à des activités spéculatives. Tout cela fait un peu grincer des dents car on vient aussi d’apprendre que Goldman Sachs a mis de côté depuis janvier quelque 11 milliards de dollars « pour récompenser ses équipes » et on pense que les primes versées en 2009 pourraient atteindre 20 milliards de dollars, soit 700.000 dollars par salarié !

Pour couronner le tout, le Financial Times a révélé que les dirigeants de la banque avaient vendu pour 700 millions de dollars d’actions entre septembre 2008 et avril 2009, alors que la banque recevait encore des “secours” de l’État fédéral.

Pas étonnant donc qu’aux États-Unis, notamment dans les milieux financiers, des voix expliquent que le pire de la crise est passé, que la crise de 2008 n’était que l’éclatement d’une bulle du crédit, que la purge est désormais faite et que les choses vont repartir comme avant. Les banques n’ont-elles pas déjà remboursé les aides publiques ? Les bonus ne sont-ils pas de retour ?

 Revenons sur Terre

Si les bénéfices inattendus de Goldman Sachs ont fait bondir les Bourses, l’annonce d’autres résultats a fait l’effet d’une douche froide : le déficit budgétaire du plus gros débiteur mondial, le gouvernement américain, vient de dépasser les 1.000 milliards de dollars et devrait atteindre 1.800 milliards en fin d’année fiscale [2].

On vient d’apprendre [1] aussi que l’État californien, l’État le plus riche et le plus peuplé des États-Unis, la huitième puissance économique mondiale, était en “état d’urgence budgétaire” : les finances sont désastreuses, les parlementaires n’ont toujours pas voté le budget et le gouverneur, le célèbre Arnold Schwarzenegger, refuse de signer un budget prévoyant un déficit de 26,3 milliards de dollars. Et, par référendum, les Californien ont refusé toute augmentation des impôts.

En attendant, le gouvernement applique des mesures d’urgence : des factures sont réglées avec des reconnaissances de dette en papiers intitulés “je vous dois“ et des mises en congé sans solde sont prévues pour les fonctionnaires. De fortes réductions budgétaires sont annoncées dans les domaines de l’éducation, de la protection sociale des enfants, des services sociaux, administratifs et légaux, etc.

Cinq autres États américains ont aussi des difficultés à boucler leur budget.

 Doutes européens

De ce côté-ci de l’Atlantique, bien avant que les nouvelles qui précèdent soient connues, les propos tenus étaient généralement plus moroses. Lors des 9ème rencontres d’Aix en Provence [3], organisées par le très orthodoxe Cercle des économistes, les quelque cent cinquante intervenants dont une soixantaine d’étrangers, ont, dans leur grande majorité, tenu des propos alarmistes. Il faut dire qu’ils venaient de prendre connaissance des chiffres publiés par l’OCDE : d’avril 2008 à avril 2009, le chômage a crû de 40 % dans les pays les plus riches et de 2007 à 2010, il devrait même y avoir 26 millions de chômeurs en plus, un bond de 80 % sans précédent sur un si bref intervalle de temps.

« Le plus gros de la détérioration reste à venir », a prévenu Martine Durand, responsable de l’emploi.

Et Patrick Artus (Natixis) a enfoncé le clou : « Les emplois perdus le sont de façon irréversible […] On fabriquera moins de voitures et moins de biens durables. Où seront créés les emplois de demain ? On ne sait pas ». Même l’inénarrable Jean-Claude Trichet, président de la BCE, s’est mis à douter : « Nous avons créé une entité nouvelle, l’économie mondialisée, dont nous découvrons la fragilité […] L’avenir n’est écrit nulle part en ce moment… » Selon les prévisions de Patrick Artus, dans trois ou quatre ans, la dette des pays de l’OCDE va dépasser leur PIB et « il va falloir diminuer la protection sociale, le nombre de fonctionnaires et augmenter les impôts ».

Il faudrait que les pays européens aient une politique économique commune. Mais une telle solution collective semble bien loin : la France et l’Allemagne se tournent le dos, la Commission européenne ne fait rien et les Britanniques, ne pensant qu’à sauver la City, tentent de tuer dans l’œuf toute tentative de régulation.

Quant à Robert Reich, ancien Secrétaire d’État au travail de Bill Clinton, il juge le poids des lobbies [4] trop puissant pour que Barack Obama puisse vraiment gagner contre Wall Street !


[1Le Monde, 20/7/2009.

[2Le Monde, 16/7/2009.

[3Le Monde, 7/07/2009.

[4L’industrie pharmaceutique américaine emploie à elle seule 1.814 lobbyistes à plein temps au Congrès.


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