Ce n’est pas du nez de Reagan qu’il s’agit, mais bien
du régime dont le Président du plus puissant et plus riche
pays du monde s’est fait le champion - à vrai dire rétrograde
- : le capitalisme en crise.
« Faites vos jeux... rien ne va plus », comme à la
roulette.
La Grande Relève le démontre constamment dans ses colonnes.
Mais, au sortir des vacances, après que l’affaire Grégory,
le Tour de France, la querelle Jospin- Fabius, le sida, le Greenpeace,
la cohabitation, la Nouvelle- Calédonie, l’apartheid aient occupé
en force les médias, il n’est pas indifférent de faire
le point de l’économie dans le monde : la réalité,
têtue, s’avère de plus en plus différente de ce
qu’espéraient encore il n’y a guère longtemps les chantres
du capitalisme, alias les experts, les hommes politiques ou les chefs
d’entreprise eux-mêmes.
A tout seigneur,- tout honneur les Etats-Unis.
Après deux années d’euphorie - 2 années seulement
! où sont les 30 glorieuses ? - c’est à nouveau le pessimisme.
" La croissance, de plus de 10% au premier trimestre 1984, était
tombée à 0,3 % au premier semestre 1985. Le 2e trimestre
a été « meilleur » : 2 % (en rythme annuel
1,1 %) mais grâce - voir Le Monde du 2 août - à l’augmentation
des commandes militaires en juin : + 25 %. Meilleur quantitativement,
car, qualitativement, c’est moins bon : le profit des entreprises a
diminué. C’est sans doute pour cela qu’ATT s’apprête à
supprimer 24 000 emplois.
L’objectif pour l’année (4 % au budget) déjà revu
en baisse à 3 %, ne sera pas atteint, selon les experts qui tablent
sur 2 %. A ce niveau - problématique - il manquera donc 2 points
sur les prévisions qui ont servi à calculer les recettes
budgétaires. Les dépenses 1985 n’étant pas réduites,
le déficit pourrait, selon R. Priouret, atteindre 220 milliards
de dollars. Dans ces conditions, il est peu probable que les taux d’intérêt
baissent de manière significative, car le gouvernement US devra
continuer à drainer l’épargne dans le monde entier pour
subvenir à ses emprunts, l’épargne américaine étant
depuis des années insuffisante. Mais le résultat devient
de plus en plus aléatoire depuis la baisse du dollar (20 %) amorcée
en février 1985. Les capitaux recherchent des monnaies plus stables
pour éviter les pertes en capital : mark, yen, voire livre.
" Le commerce extérieur : l’effet boomerang d’un dollar
cher atteint cette année son point culminant. Le déficit
du commerce extérieur sera de 150 milliards de dollars, peut-être
170, contre 120 en 1984 et 2T seulement en 1981, chiffre fantastique
jamais atteint. Bravo pour votre politique monétariste M. Reagan
: on doute que les « reaganomies » passent à l’histoire
comme un coup de génie.
Le marché US absorbe actuellement 35 % des exportations du Japon,
ce qui fragilise l’économie de ce pays : le boomerang pourrait
s’inverser. Mais la baisse du dollar, si elle perdure, ne permettra
de renverser la vapeur que dans 2 ans au mieux. Présentement,
du fait du niveau élevé des importations (pour la première
fois, en 1984, dans le pays de la « High technology » -
ô scandale, ô stupeur - la balancé des matériels
électroniques est déficitaire), la croissance industrielle
stagne, malgré les fabuleux marchés militaires. Si le
flux s’inverse avec la baisse du dollar, ce sont les pays qui exportent
aux USA qui seront touchés. On tourne en rond. Le capitalisme
mondial ne peut sortir des filets de ses contradictions.
" Les agriculteurs. D’ores et déjà, les agriculteurs
US connaissent une crise grave : tous les médias s’en sont faits
l’écho. Mais ce n’est qu’un début
- l’abondance des récoltes dans le monde entier en 1984, puis
1985, a fait chuter les cours. Les stocks vont atteindre 135 millions
de tonnes, soit 25 % de la production.
- Reagan, des qu’il a été réélu, a supprimé
nombre d’aides à l’agriculture.
- Durant les années fastes, les agriculteurs se sont endettés
au point que leur dette globale représente pour certains 2 fois
leurs avoirs ; et, de surcroît, la réduction de l’inflation
rend les taux d’intérêts des emprunts antérieurs
exorbitants.
Le nombre des faillites ne cesse de croître entraînant celles
des banques : 22 ont fermé dans l’Iowa, la Californie, le Nebraska.
Alors que les producteurs de céréales ne cessent de réclamer
des aides à l’exportation, les viticulteurs de Californie réclament,
eux, des mesures protectionnistes.
Bref, l’abondance, une fois de plus, s’avère désastreuse.
Le Matin du 26 août titrait en première page : «
Moissons : un record dangereux. Les prix risquent de s’effondrer ».
Et tant pis pour les millions d’êtres humains qui meurent de faim
: ce n’est pas le problème des fermiers.
" Le protectionnisme : pour essayer d’enrayer les « dégâts
» des importations, les industriels ont obtenu de l’Etat champion
du superlibéralisme des mesures protectionnistes pour l’acier,
le textile, les chaussures. Les secteurs de l’électronique, inquiets
des importations japonaises, réclament protection ; des mesures
sont à l’étude.
" Heureusement, il y a l’industrie militaire pour venir au secours
d’une économie à nouveau en crise : la « guerre des
étoiles » vient à point pour relancer la machine.
Etant donné « le retard pris par les USA dans ce domaine
par rapport aux Russes » (sic refrain classique), l’adoption d’un
tel programme passera aisément. Tant pis si cela absorbe des
richesses phénoménales et indispensables aux populations
dans le besoin et provoque un jour l’anéantissement de la planète.
***
Et la France... « socialiste » ?
" En France, la croissance est faible, quasi nulle. Comment s’en
étonner, les socialistes au pouvoir ayant réussi ce que
les capitalistes n’avaient pas osé faire : baisse du pouvoir
d’achat de 1,5 % en 1984 et ça continue. A cela s’ajoutent les
360 000 chômeurs supplémentaires en un an : ça fait
un sacré manque à la consommation, surtout lorsqu’on sait
comment ils sont « secourus ». Sans compter, corollairement,
le trou qui se prépare à nouveau à la Sécurité
Sociale, dont les recettes ont forcément diminué, trou
qu’il faudra combler par des impôts, lesquels ne s’investiront
évidemment pas dans la consommation et donc ne relèveront
pas la production. La boucle est bouclée. Pendant ce temps-là,
les chômeurs ne recevront pas - sans mauvais jeu de mots - les
tomates qu’on est en train de détruire (puisque la récolte
est surabondante !) après lait, viande, vin, etc... Histoire
de fous. Toujours la même, hélas, depuis 55 ans !
" Notre franc se tient. Pour combien de temps ? En 30 mois, le
différentiel d’inflation avec nos principaux partenaires - les
Allemands de l’Ouest - atteint près de 12 %. Dévaluer ?
Pas question à 6 mois des élections : on laisse cela à
la droite. Mais les détenteurs de capitaux en France, pour se
garantir d’une perte de capital en cas de dévaluation, commencent
à rechercher le mark, le yen, le franc suisse, le dollar étant,
lui, devenu suspect depuis qu’il chute.
" Certains, tel Jean Poperen au PS, insistent pour une relance
de la consommation. Il est peu probable que le gouvernement suive cet
appel. La Banque de France, dans son bulletin trimestriel du 7 avril,
insiste : « Il faut que l’évolution de la demande interne
continue d’être maîtrisée et que soit poursuivie
la modernisation de l’appareil productif, car les fruits de ces efforts
sont de plus en plus visibles ». Les fruits ? Quels fruits ? Les
chômeurs. Ne croyez pas que c’est à-eux que pense la Banque
de France en poursuivant : « Le succès du dispositif mis
en place il y a 2 ans... est le préalable nécessaire de
la restauration de notre capacité d’expansion économique
et de notre aptitude à créer des emplois ». Oculos
habent et non videbunt... à moins que ce ne soit tout simplement
du cynisme. Et ce n’est pas la réponse de notre ministre du Travail,
Monsieur Delebarre, à l’article d’Edmond Maire dans Le Monde
du 20 août, qui peut nous rassurer. E. Maire écrivait :
« Rien d’essentiel, du moins dans leur attitude face au chômage
grandissant, n’apparaît distinguer la gauche rassembleuse et modernisatrice
de la droite démocratique et intelligente. L’emploi, pour eux,
c’est toujours pour après-demain, après le rétablissement
des équilibres financiers ». A cela, Delebarre répond
: « Je crois que l’enjeu essentiel de ces élections est
de savoir si, en même temps qu’on modernise la France, on est
capable de moderniser la société française en empêchant
les phénomènes d’exclusion sociale » (souligné
par nous). En servant le capitalisme mieux que lui-même n’a su
le faire, ce n’est pas possible, M. Delebarre : nous vous l’affirmons
comme les faits vous le confirment depuis 1981. Malgré un traitement
social du chômage efficace sous P. Mauroy, le chômage -
SANS QUE LA PRODUCTION BAISSE - a augmenté de près de
50 %. Seule l’instauration d’un socialisme authentique - c’est-à-dire
de type distributif - pouvait et pourrait « empêcher les
phénomènes d’exclusion sociale ».
Or, autant sinon plus que sous la droite, les pages des journaux sont
remplies d’entreprises qui ferment ou licencient ; mais c’est à
la loupe qu’il faut chercher les créations d’emplois.
***
Pour terminer, un rapide coup d’oeil sur l’Angleterre,
l’Allemagne, le Tiers-Monde.
" En Angleterre, les prévisions pour 1986 sont pessimistes
: croissance de 1,4 % au lieu de 3,6 cette année ; baisse des
exportations ; croissance zéro de l’industrie manufacturière,
comme aux USA. D’autre part, en Angleterre comme ailleurs, le développement
technologique jetant à la rue des travailleurs, le chômage
passera de 3 220 000 en 1985 à 3 310 000 personnes.
" En Allemagne, la croissance ne tient que grâce à
l’exportation : le marché intérieur stagne. Au 1er semestre
1985, le nombre des faillites (9 377) a augmenté de 12 par rapport
à 1984.
" Dans le Tiers-Monde, l’endettement est toujours un casse-tête
insoluble : les interventions du FMI imposant des solutions drastiques
ne résolvent rien sur le fond. Les pays endettés réduisent
leurs importations ; leurs exportations servent à peine à
payer le service de la dette, comme au Mexique, où 80 % du produit
des exportations a été employé à payer les
intérêts des emprunts. L’inflation atteint souvent des
pourcentages fantastiques : 150 % au Pérou ; plus de 300 % en
Argentine.
En résumé, rien n’indique, après ces quelques mois
de « vacances », que la crise du capitalisme soit en voie
de résorption. Le cancer se généralise : chômage
accru, accentuation de la société duale, tant au niveau
des pays riches, qu’au niveau Nord-Sud : les « exclus sociaux »,
n’en déplaise à M. Delebarre (il est piquant de se référer
à son titre : « ministre du TRAVAIL ») sont de plus
en plus nombreux, de plus en plus mal secourus et considérés.
Dans le monde où nous vivons, tout est bon pour gagner de l’argent
: depuis la fabrication et la vente d’armes jusqu’à la production,
par « d’honnêtes citoyens » autrichiens, de vin capable
de tuer ; sans oublier la « fabrication » - moyennant finances
- de faux contrats de travail, pour un millier de chômeurs, par
le directeur d’une agence de travail intérimaire. Nous aimerions
savoir à quelle peine cet escroc inique sera condamné
si on le pique. Affaire à suivre. Oui, vraiment, c’est un cancer
généralisé.