Comment sortir du capitalisme ?
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Publication : janvier 2019
Mise en ligne : 25 avril 2019
Si la servitude néolibérale était volontaire, cela n’interdirait pas en principe, de changer de modèle de société. Examinons l’hypothèse dans son contexte.
Partons du fait que les capitaux actuellement disponibles sont plus volontiers affectés à la spéculation qu’à l’investissement nécessaire à toute vie socio-économique.
Constatons ensuite que la casse des avancées sociales nées à l’issue de la deuxième guerre mondiale met à mal le principe d’une société centrée sur l’amélioration de la vie de tous les humains sur Terre.
Nos démocraties peinent à penser les grandes orientations du futur et échouent à tirer les conséquences pratiques de l’interdépendance des États.
N’en déplaise à M. Trump, les États-Unis ne vivent pas hors-monde. L‘avènement d’une écologie sociale et solidaire supposerait de déconstruire “l’économystification” [1] ambiante, pour redéfinir les termes d’un “vivre ensemble” qui ne déclencherait pas la colère que suscite l’accroissement constant des inégalités.
Mais le capitalisme n’est ni moralisable, ni réformable, par essence.
Destructeur en son principe et exploitant la gratuité de la nature au sein d’un monde fini, le capitalisme autophage [2], avide de profits, traverse la stase d’un paradigme en phase terminale.
Situé sur un graphique dont l’abscisse représente le temps d’hominisation, soit quelque 200 millions d’années, l’épisode capitaliste est imperceptible quand nos élites décérébrées pensent qu’il est immortel...
Sortir d’un monde qui ne se comprend plus lui-même [3] supposerait de penser les choses sur un mode radicalement différent de celui qui se contente de prescrire « des seuils à ne pas dépasser »… sans y parvenir. Osons donc dire que la sortie du capitalisme implique l’arrêt de l’outil privilégié de la spéculation qu’est le trading à haute fréquence, la fin de la rémunération de l’argent, et la nécessité de faire défaut sur les dettes illégitimes ainsi que l’abrogation de l’article 3 alinéa 5 de la Convention cadre sur le changement climatique, qui tient la liberté de commercer et de produire comme la plus importante des libertés. Ne pas le faire revient à encenser l’oxymore.
Entendant les cris d’orfraie qui s’élèvent, la question cruciale est de savoir combien, parmi les quelque deux cents États du monde, seraient assez lucides et courageux pour créer une dynamique et un effet d’entraînement suffisant pour passer d’un idéal de compétition fondé sur une croissance pérenne impossible, à un modèle de sobriété et de coopération ; pour passer d’une analyse de production des richesses à une analyse du mécanisme d’engendrement des difficultés, qui conduit le système ultralibéral au désastre.
Serait-ce se confronter à l’impossible ?
À vrai dire, l’inconscient fabriquant le social semble nous river à une forme indépassable dont seule l’administration de la preuve inverse indiquerait que notre servitude, à l’issue du temps confiné de l’aventure capitaliste, n’aurait été que volontaire.
La “servitude formelle” [4] (du latin formalis = « qui a telle forme »), suppose au contraire la quasi-impossibilité de nous affranchir d’une forme dont l’intenable extension nous conduit collectivement au chaos.
La tyrannie du court terme gagnerait à céder la place à la prise en compte du long terme [5] pour lequel le capitalisme n’est malheureusement pas outillé. Les thuriféraires du néolibéralisme se trouvent assujettis à la forme d’un ordre pris dans un réseau de milliers de fils intriqués rendant son agir incontrôlable [6].
Au-delà de mesurettes censées calmer provisoirement le jeu, une civilisation prenant réellement en compte les réactions de la Terre à notre action, reste donc totalement à inventer…
[1] Le terme est emprunté à Jean-Pierre Dupuy.
[2] L’expression est empruntée à Anselm Jappe (La société autophage).
[3] L’idée est empruntée à Jean-Luc Nancy.
[4] Cf. ma Critique du discours STM - Scientifique, Technique et Marchand-. Essai sur la servitude formelle.
[5] L’idée est empruntée à Jean-François Simonin (La tyrannie du court terme).
[6] L’expression est empruntée à Pierre-Henri Castel (Le Mal qui vient).