De l’actuelle redistribution à l’économie distributive

Éditorial
par  M.-L. DUBOIN
Mise en ligne : 31 octobre 2010

« On vit plus longtemps, il faut donc travailler plus longtemps ». C’est cet argument, parce qu’il paraît être de bon sens, qui servit de prétexte au gouvernement Jospin, en 1999, pour permettre aux assurances privées d’introduire leur coin dans les retraites. Et c’est ce raisonnement qui vient d’être ressorti par Martine Aubry. Le terrain ayant été ainsi préparé, le gouvernement Sarkozy use aujourd’hui de sa méthode forte pour imposer les réformes qui lui conviennent.

La question maintenant est de savoir si les salariés et leurs syndicats, les chômeurs, les retraités, et les jeunes qui feront partie de ces catégories dans l’avenir, vont encore se laisser leurrer et se perdre en discutant de cas particuliers pour introduire un peu d’équité dans le financement des retraites, ou bien s’ils vont comprendre que cet argument démographique n’est qu’intoxication [1] pour noyer le poisson.

Car un petit effort de réflexion montre vite que le problème posé par le financement des retraites n’est pas un problème démographique, mais un problème économique : ce qu’il faut prendre en compte n’est donc pas le “ratio démographique”, le rapport du nombre des 20-59 ans à celui des plus de 60 ans, mais évidemment le “ratio de dépendance économique”, à savoir le rapport entre la population active (celle qui perçoit un salaire) et celle dite “inactive” (parce qu’elle n’en perçoit pas) qui est à sa charge. Puisque c’est, évidemment, de la richesse réelle produite par les actifs que vit toute la population.

Or la richesse à produire, nous l’avons montré [2], n’est pas définie pour répondre aux besoins de la population : les décisions essentielles sont prises, sans concertation, par un petit nombre de gens en fonction de leurs seuls intérêts, pour qu’elles leur “rapportent”.

Quant à la répartition des richesses ainsi produites, elle est assurée, directement ou indirectement, par l’intermédiaire des salaires. Ce système de redistribution pourrait très bien marcher s’il y avait plein emploi, avec pour tous un salaire de trader : il permettait non seulement de faire bien vivre toute la population, mais aussi, grâce à la croissance de la productivité du travail, d’abaisser l’âge de la retraite, d’abord peut-être à 55 ans, puis à 50, à 45, etc ! On en est loin. Par contre, si la masse des salaires diminue, si les salaires sont stables alors que les prix montent, si le chômage grimpe, on comprend bien que le moteur cale : il manque de carburant !

Nous sommes précisément dans cette situation, le chômage bat même tous ses records (voir l’article de Roland Poquet page suivante).

La politique de Sarkozy consiste à dire : je veux bien aider les entreprises, mais je les laisse libres de décider et de fixer les salaires au mieux de leur intérêt ; je ne reviendrai pas sur la baisse des impôts sur les plus hauts revenus. Je baisse donc tous les revenus de redistribution (allocations familiales, indemnités de chômage, aides aux personnes handicapées, remboursements de soins médicaux par la sécurité sociale, etc.), de même que toutes les dépenses sociales de l’État, je rogne de plus belle les acquis sociaux pour réduire tous les budgets en charge de l’État (enseignement, justice, recherche, police, culture, etc.) et si je trouve encore qulque chose à brader du patrimoine national, je n’hésite pas (on n’avait pas encore pensé aux aéroports, ça y est, ça va être fait).

Et pour imposer cette politique évidemment impopulaire, il utilise une méthode pire que ce qu’on avait imaginé (voir ci-dessous l’article de J-P Mon sur l’enseignement), indigne d’un pays démocratique. Et pour briser les résistances, une stratégie de surenchère sécuritaire (voir ci-dessous la description qu’en fait Christian Aubin) qui l’amène à bafouer tant les Droits de l’Homme que les traités européens.

Dans l’opposition, la social-démocratie ne dénonce pas, nous l’avons vu, le prétexte “démographique” invoqué. Le PS, qui ne veut effaroucher personne afin de se présenter comme ce qu’il appelle un “parti de gouvernement”, se garde bien de dire clairement que le vrai problème posé est celui de la répartition des richesses produites. Il critique cependant bien d’abord la méthode, la précipitation injustifiée, l’absence de réflexion et de débats, et puis le fait que la réforme imposée ne résout pas le problème du financement des retraites, ce qui est le comble !! Il va même un peu plus loin en osant rappeler que 10 % du PIB ayant été tranférés des salaires vers les profits, il serait tout à fait justifié de rectifier cette tendance par une taxe sur ces profits, en particulier sur ceux des grosses entreprises, en général multinationales.

Cette proposition conduirait effectivement à rééquilibrer un peu la répartition des richesses entre les salariés qui les produisent et les “investisseurs” qui en tirent une plus-value financière, sans créer eux-mêmes de véritables richesses.

La même frilosité envers tout changement plus radical se retrouve chez les dirigeants d’Attac (comme le fait observer, page 10, Bernard Blavette), qui proposent de même une taxe internationale sur les transactions financières. Précisons toutefois qu’Attac propose cette taxe pour qu’elle soit dédiée au financement de besoins vitaux des populations déshéritées, alors que les gouvernements qui semblent désireux de l’instituer y voient le moyen de constituer un fonds de sauvegarde du système financier, pour ne plus avoir à intervenir si les banques étaient à nouveau menacées de faillite pour leurs pratiques abusives.

Les propositions du PS et d’Attac peuvent donc être considérées comme un progrès par comparaison avec la politique actuelle.

Ce n’est évidemment pas le partage démocratique que nous proposons en parlant d’une économie de répartition, dans laquelle la richesse serait directement distribuée à l’aide d’un revenu créé à cette fin et partagé entre tous, actifs et inactifs. Mais la monnaie adaptée à cette économie distributive ne circulant pas, ce système supprimerait du même coup ces plus-values et toute spéculation financière. Or, pareille suppression est encore généralement impensable, les esprits n’y sont pas préparés, ils sont beaucoup plus conditionnés par la peur de l’étranger, savamment entretenue par la politique sécuritaire Sarkozyste (comme le prouve Guy Evrard avec l’anecdocte, rapportée page 9, de sa chasse photographique aux papillons), que motivés par le besoin d’utopie pour que le monde de demain soit plus convivial que celui d’aujourd’hui.

Alors, en attendant que les esprits cessent de croire, a priori, qu’un changement aussi radical que celui que nous suggérons est impossible, continuons à approfondir nos propositions (comme le suggère Guy Evrard en page 12) et, comme nous le faisons depuis tant d’années, à nous associer aux groupes de réflexion tels que BIEN, Attac, la Ligue des Droits de l’Homme, les Citoyens du monde, le collectif Richesses, etc, pour participer et encourager toutes les démarches qui font progresser dans ce sens.


[1Nous avons publié en juin 1999 (GR 989), un dossier intitulé “l’intox” sur les retraites, dans lequel notre analyse s’appuyait sur une étude approfondie. Comme il est toujours d’actualité, nous y renvoyons nos fidèles lecteurs, et ne reprenons ici, pour les nouveaux, que l’essentiel.

[2Lire Mais où va l’argent ? référence page 16.


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