La fin programmée de l’école publique


par  J.-P. MON
Mise en ligne : 31 octobre 2010

 Le précédent de Vichy

9 juillet 1940 : « On connaît le mal fait par l’éducation sans Dieu. C’est toute l’Université, œuvre de Napoléon, qu’il faudrait foutre par terre. Toute l’idolâtrie classique […]. Démolition extérieure et putréfaction intérieure : les instituteurs. »

Le 10 juillet à Vichy : « Vote de l’Assemblée Nationale et fin du régime parlementaire et de la domination des francs-maçons et des instituteurs. Du moins espérons-le. Il n’y aura rien de fait tant qu’on n’aura pas abattu l’université de France et l’éducation classique. »

Ces lignes sont extraites du journal écrit, sur le vif, par Paul Claudel, diplomate de carrière, écrivain « catholique, intransigeant et conservateur mais, résolument antitotalitaire » [1], qui reprenait là le refrain en vogue dans la hiérarchie militaire, soucieuse de trouver des boucs émissaires pour expliquer la défaite à plate couture que venait de subir l’armée française : l’instituteur est devenu le véritable ennemi !

La presse reprend, bien entendu, au refrain. En 1934 déjà, lors de son entrée au gouvernement, Pétain voulait, en plus du ministère de la guerre, la tutelle de l’éducation nationale ; il avait déclaré : « Je m’occuperai des instituteurs communistes ». Nanti des pleins pouvoirs en 1940, il a tenu parole en y ajoutant les instituteurs juifs ou francs-maçons ou membres de la SFIO, qui sont déplacés, révoqués ou mis à la retraite d’office. En septembre, la loi de 1904 qui interdisait aux congrégations religieuses d’enseigner est abrogée et les écoles normales d’instituteurs sont supprimées. Les programmes sont révisés, notamment ceux d’Histoire qui ne parleront plus de la Révolution française, ni des guerres franco-allemandes… Désormais, pour Vichy, c’est dans les salles de classe que doit s’inventer la “révolution nationale”.

 La “réforme” sarkozyste

C’était il y a soixante ans, donc beaucoup de nos contemporains n’ont pas vécu cette époque, mais l’Histoire est justement faite pour nous permettre de tirer des leçons du passé. Et c’est pour cela que le pouvoir actuel la juge dangereuse ! Pas étonnant donc que la clique Sarkozy veuille supprimer l’Histoire des programmes des terminales scientifiques (dans un premier temps…). Pas surprenant non plus que les IUFM aient été supprimés… ni que la formation pédagogique disparaisse du cursus des futurs enseignants ! Quoi de plus inutile que le Latin et le Grec, qui ne figureront plus au programme du Capes de Lettres classiques à partir du mois de novembre… Logiques les 16.0000 suppressions de postes d’enseignants… N’oublions pas non plus les attaques répétées contre l’Enseignement supérieur, qu’il convient d’inféoder aux entreprises… Etc.

C’est donc à la casse systématique du service public d’enseignement que nous sommes en train d’assister. Comme en 40, mais de manière insidieuse, … avec onction peut-on dire !

 Vive l’école confessionnelle

Il fallait pourtant s’y attendre puisque, à peine “installé”, le nouveau chanoine de Latran [2], Nicolas Sarkozy, n’avait pas hésité à déclarer : « dans la transmission des valeurs, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé ». Et, dans la foulée, il abolissait, de fait, par décret, une loi de 1880 qui enlevait aux établissements catholiques le droit de distribuer des diplômes en France, légalisant ainsi les diplômes délivrés par le Saint Siège. Comme le dit la journaliste Caroline Fourest à propos des “réformes” de l’éducation nationale : « il ne s’agit pas seulement de faire des économies mais d’un programme idéologique : faciliter l’évasion scolaire en direction du privé » [3]. Elle précise : « L’État n’a plus d’argent pour l’école publique, mais en trouve pour financer l’ouverture de classes catholiques en banlieue […]. Deux fondations consacrées à financer les écoles privées, surtout les plus religieuses, se sont vu reconnaître le statut “d’utilité publique” : la Fondation Saint Mathieu et la Fondation pour l’école. Cette dernière a obtenu le statut d’utilité publique en un temps record, François Fillon ayant signé le décret un an à peine après sa création. Désormais, 60 à 75 % des dons qu’elle reçoit sont déductibles des impôts et donc investis dans des écoles hors contrat, de son choix : une liste de partenaires que la fondatrice de la Fondation pour l’école, Anne Coffinier, ne tient pas à rendre publique, mais qui compte de nombreux établissements catholiques intégristes. […] Il existe bien d’autres écoles, particulières ou communautaires, qui attendent de fleurir grâce aux niches fiscales, saignant les déficits publics en plus des 7 milliards que l’État verse directement aux écoles privées au titre de la loi Debré. […] C’est dire si les niches fiscales ne font pas que creuser la dette. Elles creusent aussi la tombe de l’esprit républicain ».

Et ce n’est malheureusement pas dans le seul domaine de l’éducation nationale que le gouvernement s’inspire des lois de Vichy, comme le montrent les mesures prises contre les Roms et les immigrés. Jusqu’où et jusques à quand ?


[1Histoire(s) de l’été 1940, Le Monde, 1er et 2 août 2010

[2Depuis le XVIIeme siècle, les souverains et chefs d’état français reçoivent le titre de chanoine de la basilique Saint-Jean de Latran. Le Président de la République française, Nicolas Sarkozy, a été installé chanoine d’honneur de la basilique Saint-Jean de Latran (Rome), le 20 décembre 2007.

[3Le Monde, du 4/9/2010.


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