Ces notions ont un sens similaire de part leur racine, et sont parfois même utilisées de façon interchangeable.
La coopération évoque une notion de travailler ensemble, vers des objectifs communs ; la place de chacun et sa contribution va être identifiée par la communauté. La coopération évoque un écosystème cherchant son équilibre pour répondre aux besoins identifiés.
La collaboration quant à elle, évoque une participation plus libre de chacun, peu importe l’environnement, selon ses moyens, en s’insérant dans le collectif de réalisation. La démarche collaborative amène à la satisfaction de chacun d’avoir participé à un projet.
Nous allons, après un aperçu de l’évolution de ces notions, tenter de les approfondir et identifier des nuances dans leur sens, afin d’en distinguer les concepts.
Le mouvement coopératif
L’histoire du mouvement coopératif illustre la notion de coopération.
Les coopératives sont nées avec les ouvriers de métier au début du xixe siècle. Cela permettait notamment de répondre au besoin commun de sécurité sociale de leurs membres. Dans l’entre-deux-guerres, le mouvement a étendu sa vision communautaire à la société dans son ensemble [1]. Dans le système économique concurrentiel, le mouvement coopératif s’est ensuite concentré sur l’organisation du travail. Suite à la crise financière de 2008 et ses conséquences sociales, la loi sur l’économie sociale et solidaire (ESS) [2] est adoptée, reconnaissant ainsi les spécificités de cette approche.
L’adoption de la loi sur l’ESS s’intègre dans un mouvement plus large d’économie sociale, suscité par le mouvement coopératif. Cette loi reconnaît et encadre toutes les sociétés de l’ESS : les coopératives, associations, mutuelles et fondations. Mais elle étend également ce statut légal aux sociétés commerciales qui se définissent un objectif d’utilité sociale, qui intègrent une gouvernance démocratique, et qui réinvestissent la majorité de leurs bénéfices [3].
L’organisation coopérative a expérimenté un mode relationnel qui va être bouleversé par l’arrivée des nouvelles technologies.
Les apports des nouvelles technologies
Le terme de « collaboration » a laissé des cicatrices douloureuses chez nos anciens. Aujourd’hui, les nouvelles technologies ont rénové quelque peu son sens et son usage, grâce aux facilités offertes par tous les outils collaboratifs disponibles sur l’Internet. En effet, l’apparition des nouvelles technologies a ouvert de nouvelles perspectives quant aux possibilités de collaboration. Le mouvement du logiciel libre en est un exemple marquant. Ce modèle offre la possibilité à chacun de participer librement à des projets suivant ses centres d’intérêts et avec enthousiasme. Cette approche du travail est typiquement collaborative. Pekka Himanen l’analyse [4] : « l’éthique hacker [5] devient une expression qui recouvre une relation passionnée à l’égard du travail, laquelle se développe à notre âge de l’information. » Ce travail du temps libre, non rémunéré, constitue une innovation sociale. Celle-ci est « susceptible d’avoir une portée qui dépasse largement les limites de l’activité informatique. »
D’autres innovations apparaissent avec le web 2.0, telles que la finance participative. De nouvelles façons de développer le lien social sont expérimentées. L’économie numérique basée sur la dématérialisation des échanges, permet elle aussi de nouvelles expériences. Les monnaies virtuelles telles le bitcoin, anonyme, et également des monnaies nationales à l’étude sont en plein développement. Mais là particulièrement, tout comme la monnaie est devenue une arme de destruction massive sous le règne de l’ultra-libéralisme, les monnaies virtuelles ont un potentiel destructeur des libertés et un possible niveau de contrôle du lien social jamais atteint. Nos dictateurs historiques en auraient rêvé, la finance l’aura réalisé. La vigilance restera donc de mise. Nous devons trouver les bonnes manières d’exploiter ces outils, pour le bien commun, de façon ouverte, et ne pas laisser une bien-pensance sous contrôle dicter les usages de chacun.
À travers ce panorama, nous commençons à distinguer une idée de participation volontaire, en particulier dans le développement de logiciels libres, probablement précurseur dans ces démarches.
Un pré-requis, la coordination
La coopération et la collaboration présupposent l’existence d’un objectif à atteindre. Dans leur étude de ces deux notions, Xavier Castañer et Nuno Oliveira [6] incluent l’étude de la notion de coordination. Leur méthodologie a consisté en une revue des cas d’usage dans les publications autour de ces trois notions. Ils ont finalement opté pour une répartition de leurs cas d’usage à travers trois dimensions : l’attitude des acteurs, leur comportement, et les résultats obtenus. Ce travail leur a permis d’aboutir à un tronc commun permettant de préciser les définitions.
La notion de coordination se positionne en pré-requis des deux autres. En effet, une communauté aura pour première mission de définir ses objectifs, et la coordination permet de les construire. Dès lors, la communauté pourra se mobiliser pour leur mise en œuvre. Ils positionnent ainsi la coordination, déterminant les objectifs communs, dans un stade temporel en amont de la coopération et de la collaboration, mettant en œuvre les actions nécessaires à l’atteinte de ces objectifs.
Identifier les nuances de coopération et de collaboration
Dans leur étude, Xavier Castañer et Nuno Oliveira distinguent ensuite plus précisément les deux notions de coopération et de collaboration. Il ressort en particulier que le type d’objectif est différent dans l’un ou l’autre cas :
– L’usage du terme de coopération se limite à la réalisation de l’objectif commun ;
– La collaboration vise à aider volontairement ses partenaires à atteindre l’objectif commun, mais aussi ou exclusivement des objectifs privés.
Ils distinguent alors trois types d’objectifs privés lorsque des entités aident volontairement d’autres partenaires :
– se sentir comme un "bon citoyen" pour satisfaire ses propres normes morales sans attendre la réciprocité du partenaire — la voie morale ou égoïste de principe ;
– s’assurer que le partenaire aidé reconnaisse l’aide et se sente redevable, augmentant peut-être la réciprocité et l’engagement envers l’ensemble des parties — la voie instrumentale ;
– ou établir une réputation de bon partenaire et donc être capable d’attirer de nouveaux partenaires — la voie réputationnelle.
Les résultats de la collaboration comprennent donc également les conséquences de l’aide apportée aux partenaires pour atteindre les objectifs privés. Il est à noter l’exclusion de l’opportunisme, poursuite de l’intérêt personnel avec ruse, qui pourrait contribuer à la disparition d’un partenaire ou à l’échec dans l’atteinte des objectifs.
Perspectives
Bien que des comportements asociaux puissent être observés [7], la plupart des humains ressentent le besoin de relations enrichissantes et épanouissantes. Afin de pouvoir cultiver leur esprit, prendre plaisir à la réalisation de projets, ils doivent disposer de la sécurité matérielle. Le temps libre [8] ainsi que le travail, peuvent alors contribuer à l’épanouissement social de chacun. Les systèmes économiques doivent dans l’idéal offrir à tous la possibilité de répondre à ses aspirations sociales.
Le travail vers l’atteinte d’objectifs communs, voire privés, sans nuisance envers la communauté ou un de ses membres serait un aspect essentiel des relations humaines dans une économie distributive. Nous connaissons les entreprises coopératives. Et si nous envisagions une société collaborative ?