Dérives sémantiques
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Publication : novembre 2002
Mise en ligne : 2 décembre 2006
Le krach boursier, qu’aucun économiste ni expert de renom n’avait réellement vu venir, du moins sous sa forme actuelle, continue à engloutir des millions et des millions d’euros dans le précipice de la volatilité des marchés. Pour notre part, nous avions prévu et annoncé cette échéance, depuis des mois et des mois. Mais personne ne voulait écouter ce langage-là, pas plus que nos exhortations à une réforme monétaire dans l’urgence.
Pour gagner du temps et tenter de sauvegarder leurs acquis et leur rang dans le concert des places boursières, certaines entreprises, et non des moindres, n’ont pas hésité à manipuler leur comptabilité, permettant ainsi à une poignée d’initiés de céder en catimini leurs actions et d’engranger ainsi de confortables profits. Tel fut le cas de la firme américaine Enron, et de bien d’autres encore. Ces pratiques très contestables, qui s’ajoutent au caractère très artificiel des placements dits “technologiques”, condamnent le système à se réformer en profondeur, à défaut de sombrer dans le néant.
Les principales victimes du krach boursier sont les petits porteurs, les modestes épargnants qui ont placé leur confiance dans le système, notamment pour s’assurer une retraite tranquille. On a fait une publicité telle aux “fonds de pension” à l’américaine, aux “stocks options” qui permettent à des cadres d’entreprises d’arrondir copieusement leurs fins de mois, que beaucoup y ont cru. À l’heure où le dossier des retraites ressort une fois de plus de sa boîte de Pandore, il est opportun d’en rappeler les enjeux.
Nous n’avons pas fini de mesurer les retombées de ce krach boursier et financier à l’aune de la croissance (qui s’oriente vers la « croissance zéro »), sur le revenu des ménages en tant que consommateurs, sur l’évolution très négative de l’emploi. Les plans sociaux consécutifs aux “licenciements boursiers” ne furent jamais aussi nombreux, mais comme ils n’entrent pas, dans un premier temps, dans les statistiques officielles du chômage, seules des manifestations de rues organisées par les victimes peuvent rappeler leur existence à nos politiciens et à l’ensemble de l’opinion.
La crise que nous subissons, et qui a des antécédents (notamment à partir de 1929) n’est pas inéluctable. Nous avons déjà démontré, après Jacques Duboin et tant d’autres, que des solutions de rechange existent. Elles sont affaire de volonté politique. Les remèdes, en effet, sont à portée de décision. Faudra-t-il attendre l’ultime effondrement du système, pour réagir ?
Une première approche concerne la nécessaire refonte du système monétaire international. L’économie et les finances transnationales ne peuvent demeurer indéfiniment à la remorque du dollar, monnaie dominante mais largement surévaluée. Dès que le dollar s’enrhume, toute la planète éternue. Jeu dangereux, en vérité. Jeu de la facilité.
Pour combien de temps ?
Il s’avère urgent de fixer les contours d’une nouvelle valeur universelle de référence, hors de portée de toute manœuvre spéculative. L’idéal serait d’en confier la gestion à un organisme supra-national, indépendant des groupes de pressions existants, placé sous l’autorité des Nations Unies et réellement représentatif de l’intérêt général, par delà les intérêts particuliers de certaines puissances.
La création de monnaies continentales ou régionales, telles l’euro, a déjà contribué, comme nous le redoutions, à amplifier la guerre économique ; et ce sont les actifs, les salariés, les chômeurs, les retraités, les jeunes à la recherche d’un premier emploi, qui en font les frais, avec leur cortège de délocalisations et de licenciements accrus, la compression des salaires, la disparition des avantages sociaux, la dégradation de l’environnement naturel, des soins hospitaliers, de l’éducation, etc. La vie devient de plus en plus difficile pour la majorité des populations européennes, sacrifiées à la rentabilité financière optima. La solution ne réside que dans une réforme adaptée du système monétaire international. Il faut mettre hors-la-loi la spéculation débridée. Et replacer la monnaie au cœur de l’harmonisation entre l’offre et la demande.
Outre ses retombées politiques et sociales, le coût financier de l’opération “monnaie unique européenne” donne le vertige et l’ampleur en a été largement sous-estimée. Non seulement les établissements bancaires ont du se mettre à l’unisson, mais cette mutation a concerné aussi les entreprises, les commerces, les administrations fiscales, la reprogrammation de millions d’ordinateurs, le changement de logiciels, le suivi des comptabilités. On connaît désormais l’impact de ces nouvelles charges sur l’évolution des prix. L’inflation est au rendez-vous depuis janvier 2002.
Dans cette Europe en gestation, à vocation ultra-libérale et à gestion technocratique, les vieilles nations pétries d’histoire et aux cultures si diverses seront reléguées au rôle de “Länder” ou d’États fédérés à la sauce américaine. Nous sommes de plus en plus éloignés du concept d’Europe confédérale des peuples (ou des patries) imaginée par certains de ses promoteurs — et non des moindres.
On ne bâtira pas l’Europe (et a fortiori l’Europe à vingt-cinq membres) sur la seule base de critères de rentabilité monétaires et financiers, avec une banque centrale qui, en liaison étroite avec la Commission Européenne, en est déjà et en sera encore à l’avenir le véritable exécutif !
Mondialisation et mondialisme : confusion regrettable
De plus en plus nombreux sont ceux qui s’engagent dans la lutte contre ce qu’il est convenu d’appeler la mondialisation, ou encore globalisation économique et financière.
Les grandes manifestations qui se déroulent en marge des congrès ou autres conférences “au sommet” sont souvent évoquées par les médias comme un mouvement anti-mondialisation, mais aussi “anti-mondialiste”, comme si l’une et l’autre dénomination avaient le même sens. En réalité, notre planète souffre d’un excès de mondialisation incontrôlée, et d’un grave déficit de mondialisme.
L’on peut militer en faveur de “l’anti-mondialisation”, tout en étant un fervent mondialiste.
Le mondialisme est un mouvement d’opinion qui tente de promouvoir une citoyenneté mondiale, une assemblée constituante des peuples devant déboucher sur une Organisation des Peuples Unis, et un Gouvernement Fédéral Mondial. Autrement dit, une authentique autorité mondiale, élue démocratiquement. Rien ne s’oppose à ce que l’on ait en poche un passeport de citoyen du monde et une carte d’identité nationale. L’un et l’autre ne sont nullement incompatibles.
Aimer sa patrie, le pays de ses ancêtres, où l’on est né, et militer pour un nouvel ordre mondial, voilà qui constitue deux démarches complémentaires. Elles n’ont aucun commun rapport avec le mouvement non maîtrisé : financier, économique, technologique, vers la mondialisation.
Nul ne conteste aujourd’hui la nécessité d’instaurer une autorité mondiale en matière de protection de l’environnement naturel, de lutte planétaire contre toutes les pollutions, de sécurité collective et de désarmement. Il y va de la survie de l’Humanité tout entière !
Nous sommes en droit de nous interroger, entre autres, sur l’efficacité de l’aide financière internationale aux pays les plus pauvres. Comment se fait-il que les milliards de dollars qui lui furent consacrée au fil des dernières décennies, n’aient pas réussi à éliminer les principales épidémies, les famines, en bref, la grande pauvreté sur cette planète ?
Les institutions internationales, les ONG qui s’investissent quotidiennement dans une cause aussi noble seraient elles impuissantes à ce point ?
Peut-être leurs interventions s’avèreraient-elles plus efficaces si, préalablement ciblées sur des objectifs précis, elles s’appuyaient sur une référence monétaire mondiale non thésaurisable, autrement dit exempte de toute manipulation spéculative. Finis la corruption, la prévarication, les petits trafics, les détournements de fonds vers les paradis fiscaux.
Une telle réforme monétaire s’avère indispensable, comme l’est la réforme de l’ONU, en gouvernement fédéral mondial et son transfert en pays neutre (à Genève ?), la création d’une Organisation des Peuples Unis, sorte de Chambre haute, de conseil des Sages rassemblant les pacifistes au sein de chaque peuple, et d’autorités mondiales dont les décisions s’imposeraient à tous les États, en matière de préservation de l’environnement naturel (je pense aux projets Etheruno et Neptuno initiés naguère par le regretté militant mondialiste que fut Guy Marchand) et de sécurité internationale (Force d’intervention rapide neutre et supranationale), etc.
Aujourd’hui, l’Organisation des Nations Unies est le jouet d’une hyperpuissance, des consortiums multinationaux et autres marchés financiers. Elle doit recouvrer son rôle ultime de suprême arbitrage transnational et admettre équitablement en son sein non seulement les États, mais aussi les peuples, conformément à sa Charte : « Nous, peuples des Nations Unies… »
Économie marchande, ou économie sociale ?
La priorité des priorités, en ce début de siècle, est d’endiguer le flot de la spéculation transnationale, si contre-productive. La liberté des échanges est une chose, l’évasion des capitaux disponibles, voire leur dissolution dans des pratiques boursières très préjudiciables au développement économique et social, en est une autre. Certes, l’attrait du jeu et du profit facile est inséparable des activités humaines ; on peut affirmer toutefois que, dans ce cas de figure, il s’agit, en termes juridiques, d’une immorale et incommensurable entreprise de détournements de fonds. Des sommes considérables sont détournées de leur vocation première, par le biais des spéculations financières aussi bien que par l’organisation, souvent préméditée, des faillites d’entreprises, alors que le simple bon sens voudrait que ces fonds soient ré-injectés dans des investissements productifs : infrastructures, éducation, santé, hygiène, tout ce qui peut contribuer au bien-être des populations.