Entreprise de démolition

Actualité
par  J.-P. MON
Publication : décembre 2002
Mise en ligne : 27 novembre 2006

Les attaques contre le secteur public [1] continuent. C’est maintenant au tour de la recherche publique de supporter l’attaque “libérale”. À l’occasion de la discussion à l’Assemblée nationale des crédits de la recherche, Le Figaro [2] a interviewé Olivier Postel-Vinay, directeur de la rédaction du mensuel La Recherche, sur le livre qu’il vient de publier [3]. Au journaliste lui demandant s’il trouve fondé le mouvement de protestation lancé par les scientifiques français, dont plusieurs prix Nobel, pour protester contre la baisse de ces crédits, il répond : « C’est humain de protester quand on a moins d’argent, c’est d’ailleurs une réaction automatique dès que la droite revient au pouvoir. Mais c’est un faux problème. Selon la Cour des comptes l’évolution réelle des dépenses de recherche est constante quelle que soit la tendance des gouvernements. Le vrai problème, c’est qu’on gaspille tellement qu’il faut d’abord repenser la manière de dépenser… » Et il décrit ce qu’il considère comme un gâchis : « Un nombre considérable de personnes labellisées chercheurs ou enseignants-chercheurs font très peu de recherche au regard des critères internationaux […] Énormément de jeunes frappent à la porte mais les postes budgétaires sont occupés en raison du recrutement à vie dans les établissements publics. Cette lourdeur du système se traduit par une désaffection très forte des jeunes pour les carrières scientifiques. Cette crise des vocations est mondiale, mais particulièrement sévère en France. Les jeunes savent qu’il y a peu de places et qu’elles sont mal payées ». Le recrutement à vie, ça y est, la voilà bien la source de tous nos maux ! Les CDD, il n’y a que ça de vrai pour Postel-Vinay qui n’hésite pas à se contredire en écrivant d’abord qu’« énormément de jeunes frappent à la porte » puis « qu’il y a une désaffection très forte des jeunes pour les carrières scientifiques » ! Il admet ensuite que les difficultés de recrutement de jeunes scientifiques ne sont pas spécifiquement françaises mais mondiales, alors de deux choses l’une : ou bien tous les pays du monde embauchent des chercheurs à vie ou bien ce type de recrutement n’est pour rien dans la désaffection des jeunes pour la recherche ! Mais c’est là un raisonnement trop simpliste pour ce chercheur de salon qui enfonce le clou en ajoutant qu’il y a « consensus pour la plupart des directeurs d’établissement public comme de l’administration centrale » sur « cet énorme problème » qu’est l’emploi à vie. Et d’ajouter : « Mais c’est évidemment politiquement très difficile à aborder, c’est presque un sujet tabou ». Il atteint le comble de la malhonnêteté quand il dit en parlant du gâchis financier : « La France reste le pays dont la part du budget de l’État affectée à la recherche est la plus importante en pourcentage du PIB. C’est le premier pays au monde en termes de recherche fondamentale… ». Pas de chance, dans la même édition du même Figaro, un encart rappelle les pourcentages du PIB consacrés à la recherche dans les grands pays développés : s’il avait fait correctement son métier de journaliste, plutôt que celui d’idéologue, Postel-Vinay aurait pu y apprendre que la part de la recherche et développement (R&D) dans le PIB est de 2,64% aux États-Unis, 3,04% au Japon, 3,67% en Suède, 2,44% en Allemagne… mais seulement 2,2% en France ! En ce qui concerne la recherche fondamentale à laquelle sa revue semble préférer les performances des “start-up”, il devrait avoir noté, toujours dans le même encart, que le prochain budget fédéral de R&D des États-Unis s’élèvera à 112 milliards de dollars, en hausse de 8,6% par rapport à celui de 2002 et qu’avec 25,5 milliards de dollars (hors grands équipements) la part de la recherche fondamentale devrait croître de 7,9%, soit plus que celle de la recherche appliquée.

Postel-Vinay a évidemment la solution miracle pour éviter le “gâchis humain »” : il faut donner plus de liberté aux établissements publics en leur permettant, par exemple, de se constituer un volant de jeunes chercheurs sous contrat pendant trois ans et, pour cela, il faut supprimer le grade de chargé de recherches [4]. Main-d’œuvre taillable et corvéable à merci, que feront ces chargés de recherche à la fin de leurs trois années de contrat ? Mystère ! Créeront-ils des “start-up”, vite emportées au gré des vents boursiers ? Ou iront-ils rejoindre la foule innombrable des demandeurs d’emploi ? Qu’importe ! Voici l’argument imparable : « Dans un autre registre [???], je cite dans mon livre l’exemple de la Chine, qui est en train de réussir à sortir d’un système à la soviétique dans lequel est enfermée la recherche française »… À moins d’acheter son livre, nous n’en saurons pas plus dans cet interview sur “l’autre registre”, mais ce qui est très important pour lui, c’est l’adjectif soviétique [5]… Ce qu’on peut constater, en tout cas, c’est que M. Postel-Vinay ne sait pas de quoi il parle quand il s’agit de recherche. Trois ans pour mener à bien une recherche sérieuse, c’est, sauf exception, une incroyable plaisanterie. Rassembler une documentation, concevoir les dispositifs adéquats, construire ou faire construire les appareils nécessaires, analyser les résultats, cela ne se fait pas en trois ans. Y-a-t-il un seul programme spatial qui ait été réalisé en moins de huit ou dix ans ? Et que se passe-t-il si la fusée qui emporte dans l’espace les dispositifs expérimentaux que vous avez conçus pendant de longues années explose à son décollage ? Que fait-on des chercheurs engagés dans cette aventure ? Et ceci n’est pas spécifique à la recherche spatiale. Écoutons P-G. de Gennes, prix Nobel de physique, qui pense que la recherche doit-être socialement utile [6] : « Les cristaux liquides et les polymères, ces longues chaînes de molécules qu’on retrouve dans de nombreux objets de la vie quotidienne (des vêtements aux pneus de voiture) ont été au centre de mes recherches. Après avoir étudié ces deux substances, j’ai eu l’idée de les marier. La démarche me paraissait prometteuse. Au sein de mon laboratoire au Collège de France, j’ai mis des jeunes sur cette piste. Elle n’a jamais abouti et j’ai fait perdre ainsi du temps à ces chercheurs. Mais reconnaître honnêtement ses erreurs est salutaire et, même utile. Cela fait avancer la connaissance ».

Nous voilà bien loin de l’idéologie d’un Postel-Vinay !


[1GR 1026, novembre 2002.

[2daté du 6 novembre 2002

[3Le grand Gâchis, splendeur et misère de la science française, Eyrolles, éd., 2002.

[4Des fonctionnaires, quelle horreur !

[5La science soviétique n’était pas aussi nulle que voudrait le faire croire Postel-Vinay : dans l’espace, par exemple, depuis Spounik, jusqu’à la station MIR, championne de la durée et que nombre de chercheurs occidentaux ont été ravis d’utiliser.

[6L’Express, 14/11/2002.


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