Et après que faire ?
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Publication : juin 2023
Mise en ligne : 9 septembre 2023
Suite au rappel des réflexions ayant conduit à l’élaboration d’un système basé sur l’économie distributive, François Chatel place les contestations sociales que nous connaissons depuis quelques années en particulier, dans une perspective d’(r)évolution portée par une France sociale innovante.
Les mouvements spontanés ou organisés contre la réforme des retraites reprennent, pour une autre revendication, ceux de "Nuit debout" et des "Gilets jaunes". Ces mouvements expriment une colère dirigée contre le gouvernement en place qui agit comme bon nombre d’autres avant lui aux ordres d’une caste bourgeoise mondialisée. Pour appliquer ces ordres, le gouvernement actuel passe en force et utilise la stratégie basée sur la peur et la répression violente. L’objectif poursuivi par cette caste est de maintenir ses privilèges coûte que coûte malgré les signes manifestes d’une agonie du capitalisme. Comme présenté dans le précédent article, J. Duboin avait démontré que l’abondance tue le profit, et pour le maintenir le patronat réduit la masse salariale et licencie, ce qui diminue d’autant le pouvoir d’achat global et, en conséquence, la consommation, ce qui crée une surproduction qui accentue la baisse des prix et des profits.
Les gouvernements néolibéraux, pour tenter d’endiguer le processus, ont recours à la planche à billets afin de soutenir ce pouvoir d’achat en faveur de la consommation, au recrutement accéléré de la main d’œuvre à bas coût issue de l’immigration, au démantèlement des services publics et des acquis sociaux afin de privatiser et assurer des investissements rentables aux plus riches. Ces réformes se font en appliquant des mesures autoritaires, sans aucune considération pour l’opposition politique et le mécontentement populaire, en utilisant des stratégies propagandistes avec la complicité des médias principaux, tout en protégeant l’application de cette voie unique par une répression policière musclée voire violente, par la censure et l’oppression contre tout opposant ou contrevenant.
La crise du Covid-19, la guerre en Ukraine, la réforme des retraites, ont servi et servent de prétextes à la mise en place d’un système totalitaire capable d’imposer les réformes favorables aux possédants. Orientation du capitalisme que J. Duboin avait identifié lors de la montée des fascismes en Europe après la grande crise du début des années trente. Sans oublier que la guerre constitue une ultime soupape de sécurité pour le capitalisme.
Au moment où j’écris ces lignes, les manifestations d’opposition aux mesures impopulaires du gouvernement demeurent puissantes et très suivies, soutenues par une partie importante de la population malgré des tentatives d’intimidation de la part de la police, et de dénigrement de la part des médias et des autorités gouvernementales. Mais, réellement, au-delà de la contestation légitime contre la réforme des retraites, n’y a-t-il pas, comme pour "Nuit Debout" et les "Gilets jaunes", au fond de chaque manifestant un espoir de changement radical de système économique et social, une volonté diffuse d’en finir avec un mode de vie absurde basée sur l’individualisme, la compétition, l’incitation constante à la consommation, le travail et encore le travail, associé à la précarité du salariat, l’omniprésence totalitaire et angoissante de l’argent, l’injuste disparité de richesse, l’absence de rôle politique accordé à tout citoyen, etc. tout cela au nom de la croissance génératrice des nuisances environnementales et sociales qui menacent la santé et l’équilibre mental ?
Si l’objectif des rassemblements populaires est de faire en sorte que le gouvernement abandonne sa réforme sur les retraites, n’y a-t-il pas dans cette révolte l’expression d’un espoir de faire basculer le régime vers un autre monde à offrir à nos enfants et aux futures générations, d’un besoin d’effacer le tableau noir et d’y inscrire une manière de vivre propre à nos aspirations dictées par les réelles possibilités offertes par le progrès scientifique et l’abondance potentielle. La révolte exprime le rejet d’une situation intolérable et le refus du présent qui ne peut qu’aboutir à un futur inacceptable. Alors, cette révolte, viscérale et impulsive, qui cherche à évoluer vers un changement radical de société, ne pourra l’entreprendre sans construire une idée réaliste de l’objectif à atteindre, en suivant une méthode déterminée et en visant toujours un certain ordre.
N’oublions pas que l’essoufflement accompagne la colère si la raison ne prend pas le relais et procure la détermination suffisante pour conduire le mouvement vers une révolution. Prenons conscience que toute déception causée par l’absence d’aboutissement espéré d’un mouvement de révolte, produit une telle dépression qu’aucune réaction n’est possible face à la reprise en mains des rênes par les gouvernants. La révolte sans la révolution n’aboutit qu’à un renforcement des structures d’oppression. "Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau" [1].
Empêcher la réforme des retraites est certes l’objectif actuel mais, en imaginant une victoire, pouvons-nous croire que le gouvernement en restera là ? Poussé par les directives européennes favorables à la bourgeoisie et aux oligarques, nous pouvons être assurés que ce gouvernement où un autre tentera d’autres réformes impopulaires et des mesures liberticides. Allons-nous laisser faire ?
La République bourgeoise s’est construite sur les ruines de l’État féodal devenu un frein au progrès social et technologique. Aujourd’hui, c’est au tour du capitalisme de nous entraîner vers la régression et le chaos économique, social, et écologique. Le capitalisme est lui-même devenu un frein au progrès, et doit être remplacé par un système adapté aux conditions de développement actuelles de notre société.
La révolution reste plus que jamais "nécessaire". Mais elle ne peut avoir lieu que si la soif de liberté prend l’ascendant sur la quête de confort matériel assuré par la technique, et sur l’esprit de puissance que l’État ne cesse de valoriser, à travers la police, l’armée, le contrôle social, etc. La révolution n’est surtout envisageable que si cette quête de liberté prend la forme, chez les individus, d’une volonté de changer radicalement de style de vie.
Et savez-vous que l’économie distributive est prête à prendre le relais, totalement adaptée à cette aspiration à la liberté et aux conjonctures réalistes du monde économique ?
La Grande Relève ne peut que proposer à ce mouvement de révolte ce qu’elle prône depuis des décennies à l’initiative de Jacques Duboin, puis à celle de Marie-Louise, sa fille, relayée aujourd’hui en particulier par Yohann, et d’autres contributeurs et soutiens au journal. Quelle solution serait mieux adaptée à un changement souhaité dans un monde situé au-delà de la rareté ? L’économie distributive est la seule à offrir une organisation qui propose l’abandon de l’échange au profit du partage, qui a pensé une nouvelle société basée sur la répartition des biens réalisée en fonction des besoins de chacun, sur l’abolition de la propriété privée utilisée comme capital, comme moyen d’exploitation, comme source de profit, sur l’élimination de toute relation marchande, sur la rotation des tâches et le choix de son activité sociale, sur la réconciliation avec l’environnement, sur une monnaie comme moyen et non comme but, sur l’abolition du salariat, sur un revenu universel de consommation, ce qui favoriserait l’élaboration d’une constitution par et pour le peuple. Voilà pourquoi, depuis tant d’années déjà, la Grande Relève s’applique à promouvoir des propositions de solutions pour une nouvelle société, en recherche de coopération et de solidarité, en recherche d’un nouvel équilibre mondial basé sur l’entraide et le partage des ressources, en recherche d’une réconciliation avec la nature et la beauté, et en recherche d’une idéologie plus noble, plus élévatrice, consacrée à la promotion de l’être. Et nous ne réalisons pas aujourd’hui la portée de ce changement sur l’évolution du psychisme de chacun responsable des comportements ! C’est de nouveau le moment pour ce pays, la France, de mettre en avant ses valeurs de liberté et de démocratie qui la caractérisent mondialement. Soyons certains qu’en cas d’adoption d’un nouveau système économique et social révolutionnaire, cette initiative fera boule de neige au sein d’une organisation désormais mondialisée, dans laquelle l’ensemble des peuples exploités, opprimés et méprisés aspire à une autre façon de vivre.
[1] St Just, discours du 26 février 1794