Et pourtant !


par  C. ECKERT
Mise en ligne : 2 avril 2006

Nos fidèles lecteurs se souviennent du colloque “Monnaies et Solidarités”qui fut organisé à Mulhouse en Novembre dernier, nous en avons rapporté quelques extraits et commentaires dans la GR 1061 de janvier.

Caroline Eckert y assistait, elle y a pris des contacts et les a prolongés, ce qui lui permet d’ajouter à ces réflexions sur le salariat et l’activité, un complément sur ce qu’est aujourd’hui le volontariat.

Lorsque Marie-Louise Duboin présente l’économie distributive lors de conférences, elle suscite toujours de vives réactions parmi son auditoire. L’évocation du revenu social, en particulier, déclenche immanquablement une intervention du type « mais si chacun percevait un revenu, indépendamment de son travail, personne ne voudrait rien faire ».

Or des millions de personnes, pour ne parler que de la France, exercent toutes sortes d’activités sans aucune contrepartie financière. Des milliers d’associations ne doivent leur existence qu’au travail de bénévoles. Certes, beaucoup d’entre elles (clubs de tennis ou de broderie, associations de parents d’élèves, par exemple) ne servent que leurs adhérents, de sorte que l’activité de ces derniers peut sembler intéressée. Cependant elles ont aussi un rôle de formation et d’information pour les nouveaux adhérents, ce qui leur donne tout de même une ouverture vers l’extérieur. Et puis il y a aussi de nombreuses associations (aide aux plus démunis, protection de l’environnement, etc.) dont cette ouverture aux autres et l’ancrage dans la société sont leur raison d’être.

La mainmise de la société de marché allant grandissant, les inégalités augmentent et un grand nombre de besoins ne sont plus satisfaits. C’est ainsi que sont apparues maintes associations caritatives et structures (crèches parentales ...) destinées à pallier les dysfonctionnements de la société. Elles exercent en général leurs activités grâce au travail conjoint de salariés et de bénévoles. Les uns sont rémunérés selon les critères habituels (niveau d’études, ancienneté ...), tandis que les autres ne sont pas rémunérés du tout.

A mi-chemin entre le salariat et le bénévolat il existe un autre statut, le volontariat. C’est à l’occasion du colloque “Monnaies et solidarités” qui s’est tenu à Mulhouse en novembre dernier qu’il m’a été donné d’en apprendre un peu plus à ce propos. C’est en effet une équipe de l’association Unis-Cité [1] qui a permis le bon déroulement de ce colloque. Imaginez un groupe de six jeunes d’une vingtaine d’années, composé de Aude, Faty, Guillaume, Julie, Magali et Marvin, encadré par Basile. Imaginez maintenant qu’ils vous accueillent en vous remettant le programme du colloque, qu’ils se chargent de faire les photocopies lorsque des personnes veulent échanger des documents, qu’ils déplacent les chaises ici ou là en fonction du nombre de participants aux différents ateliers, qu’ils donnent le bras à ceux qui ont des difficultés à se déplacer, qu’ils veillent à ce que tout soit prêt à temps lorsque l’on part en visite, qu’ils rappellent l’heure à ceux qui ont un train à prendre, et de multiples autres choses, tout cela en participant eux-mêmes, et activement, aux ateliers. Imaginez enfin que tout cela se passe dans la bonne humeur, qu’ils sont souriants et donnent l’impression de prendre plaisir à ce qu’ils font. Et ce n’était pas qu’une impression, ils m’ont confirmé qu’ils remplissaient leurs missions avec plaisir.

C’est ce qui m’a donné envie d’en savoir plus. Après avoir bavardé avec l’un ou l’autre pendant le colloque, je suis allée les rencontrer au siège de l’association, un soir, après nos journées de travail respectives. Ils étaient là tous les six, ainsi que Basile, le coordinateur de l’équipe, et Lilla Merabet, la directrice. Ils m’ont d’abord expliqué la différence entre le bénévolat et le volontariat. Un bénévole « donne de son temps pour une cause en fonction de ses disponibilités », c’est-à-dire souvent occasionnellement ou irrégulièrement. Un volontaire, au contraire, se consacre à plein temps à la cause qu’il a choisie. En échange le volontaire reçoit une indemnité, appelée bourse de subsistance, qui doit lui permettre de subvenir à ses besoins. Depuis la loi sur le « Service civil de cohésion sociale et de solidarité », les volontaires bénéficient d’une protection sociale, notamment la prise en charge par la Sécurité sociale. Cependant plusieurs raisons empêchent toute comparaison entre cette bourse et un salaire. Elle est la même quel que soit le niveau d’études, seule la moitié du temps effectué est pris en compte pour la retraite, les jours d’absence sont déduits et son montant est faible, quoique non imposable. Selon Basile, elle « donne aux volontaires les moyens financiers de se consacrer aux autres ». En entendant cela, il m’a semblé qu’il s’agissait d’une sorte de préfiguration de ce que pourrait être le revenu social. De même, la nécessité d’honorer ses engagements, avec des horaires définis, et de respecter les objectifs fixés ne sont pas sans rappeler le contrat civique proposé par Marie-Louise Duboin.

À Unis-Cité les volontaires travaillent en équipe, ce qui ne signifie par forcément qu’ils interviennent toujours tous ensemble, mais dans le cadre de la même structure et avec une « communauté d’objectif et une communauté d’action ». L’antenne de Strasbourg existe depuis trois ans et comprend deux équipes constituées de six volontaires et d’un coordinateur. Les équipes sont formées en veillant à ce que les volontaires viennent d’horizons divers (origine géographique et sociale, niveau d’études, garçons et filles, ...). Pour les deux promotions de cette année, il a fallu choisir parmi 80 personnes réellement intéressées sur 120 demandes initiales. Leur période de volontariat a commencé en octobre 2005. Depuis, l’équipe que j’ai rencontrée a déjà plusieurs actions à son actif. Ils ont assuré le bon déroulement de deux colloques, dont celui de Mulhouse, et participé à la collecte annuelle de la Banque Alimentaire. Ils ont aussi participé à la réfection des entrées et cages d’escaliers de plusieurs immeubles, dans un quartier dit défavorisé de Strasbourg, en définissant le choix des peintures avec les habitants, puis en réalisant les travaux. Deux actions concernent un autre quartier faisant partie d’une zone urbaine sensible. D’une part ils emmènent des enfants de toutes religions à la découverte des lieux de culte des différentes confessions et, d’autre part, ils réalisent un court-métrage avec des jeunes sur un sujet choisi par ces derniers, en les aidant à éviter les clichés et à ne pas tenter de reproduire ce qu’ils ont l’habitude de voir à la télévision. Un jour par semaine ils rendent visite, en binôme, à des personnes âgées qui souffrent de la solitude. Enfin, ils apportent leur aide à la communauté Emmaüs pendant trois semaines avec pour objectif de « s’immerger dans la vie des compagnons » (partage des diverses tâches, mais aussi des repas).

S’engager dans une telle démarche ne vient pas du hasard. Pour certains d’entre eux cela résulte d’un blocage rencontré pendant leur parcours. Pour d’autres, il s’agit plutôt du « besoin de faire une pause » afin de réfléchir et de faire le point sur la suite de leurs études. Pour tous, cela représente une entrée dans la vie active en douceur et la possibilité de se trouver confronté à diverses formes d’organisation du travail. De plus, les volontaires doivent structurer leur cheminement personnel et développer un projet. Ils bénéficient pour cela de l’aide d’accompagnateurs. Ceux-ci sont en premier lieu les coordinateurs, qui les suivent au quotidien et avec lesquels ils ont un entretien individuel toutes les six semaines, mais aussi les parrains, bénévoles extérieurs à la structure et venant de tous horizons, qu’ils rencontrent au moins une fois par mois. Et, avant de revenir à d’autres types de statuts, leur période de volontariat s’achèvera en juin par un stage d’un mois, soit dans une structure du domaine vers lequel ils ont choisi de s’orienter, soit dans une activité qui leur sera utile pour la suite de leur parcours.

Si certaines orientations varient d’une antenne à l’autre, surtout celles liées à l’accompagnement des volontaires, les grandes lignes sont communes à toutes, et elles sont actuellement au nombre de dix (Grenoble, Lens, Lille, Lyon, Marseille, Nantes, Paris où se trouve le siège, Saint-Etienne, Strasbourg et Toulon). « Les jeunes volontaires sont réunis en équipes pour réaliser des projets utiles à la société » dit la plaquette de présentation de Unis-Cité.

Il ne reste donc au reste de la population qu’à refléchir sur les raisons qui font que, dans l’un des pays les plus riches du monde, on soit obligé de compter sur des volontaires pour « réaliser des projets utiles à la société ».

Ceci tout en continuant à vanter les soit-disant vertus de l’économie de marché et du libéralisme, bien sûr. Il apparaîtra peut-être alors que les objectifs de rentabilité financière immédiate et d’utilité sociale des projets sont contradictoires et que la mise en place d’un revenu social permettrait de favoriser le second.



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