L’ogre et le Titanic
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Publication : novembre 2004
Mise en ligne : 4 novembre 2006
Afin de prolonger l’esquisse de polémique amorcée par M.D., J.B. et Mouloud (GR 1047, pp 14 et 15), sans oublier les réponses de la rédaction, je suggèrerais ceci :
• N’est-ce pas un vœu pieux d’espérer qu’un Ogre cessera de dévorer les petits enfants parce qu’on dénoncera bien haut ses turpitudes culinaires ?
• Toutes tentatives visant par des lois issues d’un droit qui valide son existence d’Ogre à le contraindre au régime sans enfantine chair fraiche, ne sont-elles pas stériles par essence ?
Autant je souscris sans réserve à la vision sociale qu’énonce la Grande Relève et dans laquelle l’économie distributive (ED) trouverait naturellement sa place, autant il me semble évident que l’Ogre par lui-même n’œuvrera jamais dans ce sens.
Ainsi, hors un contexte où la volonté et la mentalité des citoyens seraient en phase, il ne pourrait s’agir, pour que l’ED devienne une pratique, que d’un coup de force et qui plus est, une force supérieure à celle dont dispose le Géant carnassier.
À supposer que cela soit possible, il n’y aurait alors pour ainsi dire aucune chance que l’ED prenne chair dans le corps social.
L’ED est un aboutissement. La concrétisation d’un désir de vivre autrement, un changement d’état d’esprit, une évolution des mentalités malgré le formatage actuel de nos cerveaux, éduqués à considérer la concurrence, la lutte pour la (sur) vie et la défense de l’emploi qui en découle, la recherche du profit, sa logique et ses lois, celle du plus fort, du plus malin, du plus compétitif, du plus compétent, du plus méritant ; la pérennité du mécanisme de la récompense qui marche également si bien avec les chimpanzés, etc. tout ceci présenté comme étant des principes naturels qui nous concernent et même nous constituent.
Alors, plutôt que de se répéter ad libitum à quelle vision de l’homme et de son environnement correspond l’ED, plutôt que de ressasser tout ce qui condamne à nos yeux l’idéologie et la pratique du libéralisme (même Attali à ce stade coiffe nos lunettes et si ça se gâte par la suite, quoi d’étonnant ? Certes, il n’est pas l’Ogre, mais il mange à sa table qui est grande). Oui, plutôt que tous ces louables efforts “post didactiques”, il me paraît urgentissime de contribuer à porter sur la place publique un débat sur la propriété des moyens de production, d’en établir l’historique de ses fondements et de passer au crible les slogans qui l’autojustifient, tels “il faut gagner sa vie” et “à chacun selon son mérite” !
Sinon, je redoute une catastrophe planétaire, peut-être seule capable d’épurer nos esprits, mais qui plus sûrement risque de mettre un terme à cet épisode de l’histoire des hommes, si ce n’est à leur propre présence.
Et le Titanic dans tout ça ? Quand ce beau navire fonce sur un iceberg, il est concevable dans l’urgence de vouloir en changer la route comme vous le préconisez, mais il faudrait surtout le stopper et en descendre.
Ensuite ? Demi-tour ? À droite, à gauche (topologiquement parlant) ? Je n’en sais rien, évidemment. Je sais seulement que nous devrons suivre une route différente avec des moyens de locomotion plus modestes. Une autre route et pas nécessairement maritime. Le prix à court terme sera celui d’un moindre confort matériel, n’en doutons pas. Y compris éventuellement pour ceux qui logeraient dans les cales ; bien que, les concernant, je vois mal ce qu’ils pourraient avoir à perdre (bien entendu, le monde entier n’était pas embarqué sur le Titanic. Les métaphores valent pour ce qu’elles sont, des métaphores).
RÉPONSE DE LA RÉDACTION.
Un débat sur la propriété des moyens de production ? Oh oui, nous sommes preneurs ! Tout à fait d’accord pour lui ouvrir ces colonnes. D’autant que c’est sans doute les transformations radicales des moyens de production (la terre, puis la machine, la connaissance et l’information) dont les propriétaires ne sont pas les mêmes, qui sont à l’origine des transformations sociales qu’elles ont entraînées et de celles qu’elles rendent nécessaires.