La France travaille trop

Babil de visionnaire :
par  H. MULLER
Publication : octobre 1989
Mise en ligne : 7 avril 2008

Un titre en trompe-l’oeil, accrocheur, laissant espérer tout autre chose qu’un appel aux cadres et chefs d’entreprises pourvus d’un solide patrimoine, pour les inviter à vivre de leurs rentes, après liquidation de leurs biens immobiliers, et remise de leurs économies à des SICAV et SCPI de bonne réputation à l’appétit toujours ouvert.
A ce conseil, l’auteur ajoute une série de recettes pour bénéficier de maints avantages fiscaux et autres, pour échapper à la taxation des plus-values, profiter de la sécurité sociale, de voyages à bas prix, pratiquer le métayage, et même restaurer d’anciennes demeures seigneuriales, achetées à crédit, mi-louées et revendues après cinq ans à la barbe du fisc. L’âge optimum pour faire carrière dans l’oisiveté ? 45 ans. "En France, écrit l’auteur, ce ne sont pas les ouvriers qui coûtent cher, mais les autres, les cadres, les techniciens et les agents de maitrise . En préférant les charmes de l’oisiveté, ces cadres rendraient donc un fier service à la collectivité, d’autant plus que leurs placements pourraient financer la modernisation de l’appareil productif. Etant aussi plus économes et moins voraces en énergie, puisqu’ils auraient tendance à émigrer vers les cieux ensoleillés, ils contribueraient à réduire nos importations de pétrole et de biens de consommation qui sont les deux grands postes déficitaires de notre commerce extérieur. Amorce d’un cercle vertueux qui démontre assez la pertinence des paradigmes de la théorie économique libérale sur lesquels nous nous sommes appuyés."
Le ton est donné. Il ne s’agit pas de casser la baraque, mais de la rafistoler en réduisant les coûts de production, le chômage des jeunes, la charge des retraites, l’inflation, le déficit des échanges. "partagés entre le travail amateur, les entraides, l’échange d’idées, les voyages lointains, les pratiques sportives et culturelles, les activités éducatrices, les rentiers seraient à l’origine d’une révolution culturelle qui représenterait peut-être là mutation des valeurs dans l’art de vivre la plus importante de l’histoire de l’humanité"
Sans doute J. Marseille dénonce-t-il la sacralisation du travail imposé et brocarde-t-il à propos de ces gaspillages, citant Keynes : "Si le Ministère des Finances remplissait de vieilles bouteilles avec des billets de banque, les enterrait à une profondeur convenable dans les mines de charbon désaffectées qu’on remplirait ensuite d’ordures ménagères et s’il laissait aux entreprises privées le soin selon les principes établis du laisser-faire, de retrouver ces billets, il n’y aurait plus de chômage et les répercussions seraient telles que le revenu réel de la communauté serait sans doute plus élevé qu’il ne l’est actuellement". Et d’ajouter : "On savait déjà qu’épouser sa cuisinière faisait baisser le PNB, mais ce qu’on sait moins c’est l’absurdité d’une notion qui ne mesure que les biens utilisables pour un usage quelconque. Autant dire que le gadget le plus inutile, le produit le plus nocif, les armements les plus meurtriers sont ’utiles’ du moment qu’il existe pour eux des offreurs et des utilisateurs. les excès alimentaires, les accidents de la route entraînant des dégâts matériels, les encombrements de la circulation doivent être vivement encouragés dans la mesure où ils favorisent la croissance du PNB".
On n’en finirait pas d’épiloguer sur ce genre de propos auxquels, il y a bien longtemps, les ouvrages de J.Duboin ont tracé le lit. Mais J. Marseille se garde de conclure à la nécessité d’une révolution économique et monétaire pour mettre fin à tant d’absurdités dont il refuse d’identifier la cause : les usages monétaires, le mode de formation des revenus,qui en découle, les exigences du profit, la règle du jeu. Il batifole, se bornant à énoncer quelques lapalissades , brodant sur la vie idyllique promise, en période d’euphorie boursière, aux personnes dont l’ensemble du patrimoine atteint au minimum deux millions de Francs, gibier de choix pour le commerce du crédit, ballon d’oxygène pour la promotion immobilière, pour la spéculation boursière. Eloge du loisir présenté comme un formidable gisement culturel, le livre de J. Marseille brosse de savoureux portraits du cadre féru de noppomanie et de germanomanie, perdant sa vie à vouloir la gagner, ’insensible à l’enrichissement futur de sa vie personnelle, assez stupide pour lui préférer la vie cadencée, découpée, mutilée, du travail qui le consume, courant toujours après le temps sans jamais le rattraper". Inintéressants, en revanche, les salariés de bas échelon.
La France travaille trop ? Il est certain qu’une nombreuse main d’oeuvre besogne à seule fin d’approvisionner en biens futiles, en produits de haut luxe, une mini clientèle ultra-fortunée et l’on reste effaré du temps et des moyens consacrés à faire circuler l’argent en vue de former revenus et profits. Le profit fait feu de tout bois, source d’un gaspillage considérable de temps, d’énergie, de matières premières. Un constat éludé par notre visionnaire dont les chances de séduire, en regard des intérêts en jeu, pèse moins qu’un pipi de chat.