Un titre en trompe-l’oeil, accrocheur, laissant espérer
tout autre chose qu’un appel aux cadres et chefs d’entreprises pourvus
d’un solide patrimoine, pour les inviter à vivre de leurs rentes,
après liquidation de leurs biens immobiliers, et remise de leurs
économies à des SICAV et SCPI de bonne réputation
à l’appétit toujours ouvert.
A ce conseil, l’auteur ajoute une série de recettes pour bénéficier
de maints avantages fiscaux et autres, pour échapper à
la taxation des plus-values, profiter de la sécurité sociale,
de voyages à bas prix, pratiquer le métayage, et même
restaurer d’anciennes demeures seigneuriales, achetées à
crédit, mi-louées et revendues après cinq ans à
la barbe du fisc. L’âge optimum pour faire carrière dans
l’oisiveté ? 45 ans. "En France, écrit l’auteur, ce
ne sont pas les ouvriers qui coûtent cher, mais les autres, les
cadres, les techniciens et les agents de maitrise . En préférant
les charmes de l’oisiveté, ces cadres rendraient donc un fier
service à la collectivité, d’autant plus que leurs placements
pourraient financer la modernisation de l’appareil productif. Etant
aussi plus économes et moins voraces en énergie, puisqu’ils
auraient tendance à émigrer vers les cieux ensoleillés,
ils contribueraient à réduire nos importations de pétrole
et de biens de consommation qui sont les deux grands postes déficitaires
de notre commerce extérieur. Amorce d’un cercle vertueux qui
démontre assez la pertinence des paradigmes de la théorie
économique libérale sur lesquels nous nous sommes appuyés."
Le ton est donné. Il ne s’agit pas de casser la baraque, mais
de la rafistoler en réduisant les coûts de production,
le chômage des jeunes, la charge des retraites, l’inflation, le
déficit des échanges. "partagés entre le travail
amateur, les entraides, l’échange d’idées, les voyages
lointains, les pratiques sportives et culturelles, les activités
éducatrices, les rentiers seraient à l’origine d’une révolution
culturelle qui représenterait peut-être là mutation
des valeurs dans l’art de vivre la plus importante de l’histoire de
l’humanité"
Sans doute J. Marseille dénonce-t-il la sacralisation du travail
imposé et brocarde-t-il à propos de ces gaspillages, citant
Keynes : "Si le Ministère des Finances remplissait de vieilles
bouteilles avec des billets de banque, les enterrait à une profondeur
convenable dans les mines de charbon désaffectées qu’on
remplirait ensuite d’ordures ménagères et s’il laissait
aux entreprises privées le soin selon les principes établis
du laisser-faire, de retrouver ces billets, il n’y aurait plus de chômage
et les répercussions seraient telles que le revenu réel
de la communauté serait sans doute plus élevé qu’il
ne l’est actuellement". Et d’ajouter : "On savait déjà
qu’épouser sa cuisinière faisait baisser le PNB, mais
ce qu’on sait moins c’est l’absurdité d’une notion qui ne mesure
que les biens utilisables pour un usage quelconque. Autant dire que
le gadget le plus inutile, le produit le plus nocif, les armements les
plus meurtriers sont ’utiles’ du moment qu’il existe pour eux des offreurs
et des utilisateurs. les excès alimentaires, les accidents de
la route entraînant des dégâts matériels,
les encombrements de la circulation doivent être vivement encouragés
dans la mesure où ils favorisent la croissance du PNB".
On n’en finirait pas d’épiloguer sur ce genre de propos auxquels,
il y a bien longtemps, les ouvrages de J.Duboin ont tracé le
lit. Mais J. Marseille se garde de conclure à la nécessité
d’une révolution économique et monétaire pour mettre
fin à tant d’absurdités dont il refuse d’identifier la
cause : les usages monétaires, le mode de formation des revenus,qui
en découle, les exigences du profit, la règle du jeu.
Il batifole, se bornant à énoncer quelques lapalissades
, brodant sur la vie idyllique promise, en période d’euphorie
boursière, aux personnes dont l’ensemble du patrimoine atteint
au minimum deux millions de Francs, gibier de choix pour le commerce
du crédit, ballon d’oxygène pour la promotion immobilière,
pour la spéculation boursière. Eloge du loisir présenté
comme un formidable gisement culturel, le livre de J. Marseille brosse
de savoureux portraits du cadre féru de noppomanie et de germanomanie,
perdant sa vie à vouloir la gagner, ’insensible à l’enrichissement
futur de sa vie personnelle, assez stupide pour lui préférer
la vie cadencée, découpée, mutilée, du travail
qui le consume, courant toujours après le temps sans jamais le
rattraper". Inintéressants, en revanche, les salariés
de bas échelon.
La France travaille trop ? Il est certain qu’une nombreuse main d’oeuvre
besogne à seule fin d’approvisionner en biens futiles, en produits
de haut luxe, une mini clientèle ultra-fortunée et l’on
reste effaré du temps et des moyens consacrés à
faire circuler l’argent en vue de former revenus et profits. Le profit
fait feu de tout bois, source d’un gaspillage considérable de
temps, d’énergie, de matières premières. Un constat
éludé par notre visionnaire dont les chances de séduire,
en regard des intérêts en jeu, pèse moins qu’un
pipi de chat.
La France travaille trop
Babil de visionnaire :
par
Publication : octobre 1989
Mise en ligne : 7 avril 2008
par
Publication : octobre 1989
Mise en ligne : 7 avril 2008