Système monétaire mondial ?
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Publication : octobre 1989
Mise en ligne : 7 avril 2008
L’actualité
Comme chacun le sait, les économies des pays de l’Est sont aux abois. Les Soviétiques, Polonais, Hongrois, Allemands de l’Est et même Roumains ou Bulgares sont sommés de se convertir au plus vite à l’économie de marché et au capitalisme "libéral’ par les médias occidentaux, s’ils veulent survivre. La création de sociétés mixtes ne suffit plus, les capitaux sont pressés de s’investir et réclament pour cela des garanties sûres et immédiates.
Dans la zone dollar, c’est-à-dire le reste du
monde, tout va bien (!) et aucune réforme majeure, ni même
mineure, n’est envisagée par les économistes aux ordres
de la haute finance. Evidemment, il y a bien la dette des P.V.D. dont
le montant astronomique dépasse 1300 milliards de dollars ; il
y a bien aussi la dette extérieure des Etats-Unis qui avoisine
400 milliards de dollars. Mais tout cela n’est que très légèrement
inquiétant et ne remet pas en cause l’optimisme de commande qui
attire placements lucratifs pour le prêteur et clients stimulés
par la publicité qui se battent pour acheter. D’ailleurs les
banquiers japonais et les riches porteurs des pays pauvres ne se précipitent-ils
pas sur les bons du trésor américain indispensables pour
financer la dette américaine ?
François Mitterand annonce une remise de 800 millions de francs
à nos créanciers, une misère ! Plus sérieux
: après le Mexique, les Philippines cherchent à obtenir
une réduction d’au moins 35% de ce qu’ils doivent aux institutions
privées, en application du plan Brady.
L’objection catholique
Un certain nombre de personnalités, et non
des moindres, s’émeuvent tout de même. Le Pape Jean Paul
II controversé lorsqu’il joue à la superstar observe dans
sa dernière encyclique "Sollicitudo Rei Socialis" :
qu’il convient de dénoncer l’existence de mécanismes économiques,
financiers et sociaux qui, bien que menés par la volonté
des hommes, fonctionnent souvent d’une manière quasi-automatique,
rendant plus rigides les situations de richesse des uns et de pauvreté
des autres. Ces mécanismes manoeuvrés d’une manière
directe ou indirecte par des pays plus développés, favorisent
par leur fonctionnement même les intérêts de ceux
qui les manoeuvrent...". (paragraphe 16). Et surtout, dans un domaine
qui nous intéresse particulièrement ici, il précise
: "...L e système monétaire et financier mondial
se caractérise par la fluctuation excessive des méthodes
de change et des taux d’intérêt au détriment de
la balance des paiements et de la situation d’endettement des pays pauvres.."
(paragraphe 43).
Dans sa livraison de juillet-août , le mensuel ’Responsables’
du Mouvement des Cadres : techniciens, ingénieurs et dirigeants
chrétiens (MCC) (1) publie un article signé Leila Preilec
de Boston, intitulé "Une encyclique qui fait du bruit".
L’auteur rapporte la satisfaction de la gauche américaine à
l’idée que le Pape accepte le concept de ’structures de péché"
semblant ainsi se rapprocher des vues des théologiens de la libération
latino-américains. Elle cite le paragraphe 22 de l’encyclique
où le Pape dénonce la tendance des deux blocs à
l’impérialisme, paraissant rejeter les systèmes capitaliste
et communiste dans une même réprobation. La droite des
Etats-Unis se déchaîne à l’idée que le Souverain
Pontife, pourtant Polonais, ignore que le capitalisme est la réalisation
historique du royaume de Dieu sur terre et renvoie l’Est et l’Ouest
dos-àdos. ’New Republic" et le ’New York Times" se
distinguent particulièrement dans l’indignation.
Economistes contestataires
Maurice Allais, seul Prix Nobel d’économie
(2) français de ces dernières années, fut un des
rares experts économiques à avoir prévu le krach
d’octobre 1987 (3). Dans deux articles du "Monde" des 27 et
29 juin 1989 que nous avons déjà relevés (4), il
stigmatise l’économie "casino’, les ’..gigantesques pyramides
de dettes, prenant appui les unes sur les autres dans un équilibre
fragile.." et la ’création de monnaie ex-nihilo par le système
bancaire (ainsi que) la pratique généralisée de
financements longs avec des fonds empruntés à court terme....".
Comme quelques autres spécialistes, tels que les catholiques
qui ont inspiré Jean-Paul Il et Jacques Riboud, par exemple,
ainsi que des grands patrons : Jean-Louis Beffa, Président du
Groupe Saint-Gobain, et Pierre-Yves Cossé, Directeur Général
adjoint de la BNP, Maurice Allais proteste contre les variations erratiques
du dollar. Citons JeanLouis Beffa : ’...ces fluctuations (monétaires)
sont devenues d’une ampleur qui va bien au-delà de la maîtrise
qu’un industriel peut avoir sur ses prix de revient. On pouvait paraitre
un industriel génial avec un dollar à 9,50 F et être
réputé mauvais avec un dollar à 4,50 F...’(5).
M. Allais montre que cette instabilité provient des flux financiers
essentiellement spéculatifs (?) qui sont actuellement de 420
milliards de dollars, soit environ 34 fois plus élevés
que le total du commerce international qui se monte à environ
12,4 milliards de dollars par jour. En 1980, le rapport était
seulement de 12,5. Le montant total des réserves de change des
sept pays les plus riches est, par comparaison, de 311 milliards de
dollars.
Il faut donc être aveugle pour ne pas voir que les gouvernements
des sept, même unis, sont incapables d’influer durablement sur
la tendance des changes ; seuls ceux qui tiennent les marchés
sont en mesure de le faire, en fonction de leurs puissants intérêts.
Ainsi que le constate M. Allais, les groupes de pressions monétaires
et financiers ne sont évidemment pas favorables aux réformes.
Et il ajoute : "...l’emprise de certaines écoles contemporaines
fait songer naturellement à celle de certaines religions. Il
faut plus de pouvoir pour diffuser des idées simples, claires
et cohérentes que pour introduire des concepts obscurs, se prêtant
à toutes les interprétations et s’adaptant facilement
à toutes les opinions, à tous les sentiments, ...".
Et il attaque les doctrines dogmatiques, contradictoires et irréalistes
soutenues avec assurance, puis abandonnées au cours des 45 dernières
années, les sophismes et les modèles mathématiques
irréalistes qui n’ont eu pour objet que de remettre à
plus tard les ajustements nécessaires.
Des solutions ?
Maurice Allais propose trois mesures indépendantes
les unes des autres :
- Dissociations des activités bancaires entre banques de dépôts
d’une part et banques de prêts d’autre part, en vue de rendre
impossible la création de monnaie par les établissements
et le financement du long terme par le court terme. L’Etat seul bénéficierait
de la création monétaire assurée par une banque
centrale indépendante du pouvoir.
- Indexation de tous les engagements sur l’avenir, afin de rendre corrects
les calculs économiques et assurer des relations équitables
entre créanciers et débiteurs. Ce qui revient à
instituer une unité de compte de valeur réelle et invariable
dans le temps.
- Réforme convenable du système monétaire international
par abandon du dollar en tant que monnaie de compte, de réserve
et d’échange. Institution d’un système de changes fixes
mais révisables et, finalement, création d’une monnaie
internationale commune.
Nous avons vu précédemment (6) que Jacques Riboud, animateur
du Centre Jouffroy pour la réflexion monétaire, préconise,
lui aussi, le remplacement du dollar par une monnaie européenne
: eurostable ou écu constant. Ce projet consiste à remplacer
un impérialisme monétaire (américain) par un autre
(européen), comme l’américain avait remplacé l’anglais
après la dernière guerre, ce qui ne parait pas très
rationnel.
Dans son livre ’Compétitivité mère du chômage"
(7) que nous avons plusieurs fois signalé à l’attention
de nos lecteurs, notre ami mondialiste, G. Marchand, rappelle les innombrables
interventions qu’il a menées auprès des personnages les
plus connus pour faire connaitre nos thèses et celles des Citoyens
du Monde. Malgré sa ténacité, sa persévérance
et sa constance admirables, G. Marchand explique qu’il n’a trouvé
en face de lui que le mépris, le silence ou de vagues encouragements
sans suite. Son activité incessante pour la bonne cause mériterait
un meilleur sort. Guy Marchand soutient, bien évidemment, qu’une
réforme du système monétaire international est
nécessaire ; là aussi, une dose de supranationalité
est indispensable et les nouvelles règles adoptées pourraient
alors recevoir vraiment l’appellation de système monétaire
mondial.
Le regretté Charles Warin, cité par Marchand,
avait envisagé dans un ouvrage trop méconnu "Une
monnaie pour un nouvel ordre économique mondial" (7) la
mise en place progressive du "primon" qui se substituerait
au dollar. Cette unité échappe au reproche adressé
ci-dessus à l’eurostable. Elle répond au souhait de Maurice
Allais avec beaucoup de précisions sur sa définition et
la méthode pour l’introduire dans les échanges mondiaux.
Un système ingénieux, dans le détail duquel nous
ne pouvons pas entrer ici, permet la stabilité d’un coût
des matières premières et évite la détérioration
des termes de l’échange si défavorable aux P.V.D. Cette
monnaie ne sert qu’aux règlements entre Etats et constitue uniquement
un moyen de paiement des marchandises essentielles.
Voilà des projets susceptibles de pallier les défauts
et inconvénients reconnus par les observateurs les plus lucides.
Les chances de réalisation
Les changes sont non seulement fluctuants, mais ils sont bilatéraux. Les monnaies sont cotées en francs à Paris, en dollars à New-York, en marks à Berlin, en yens à Tokyo, etc.. Des distorsions peuvent s’introduire suivant l’humeur des marchés. La tenue du franc est généralement jugée non pas rapport au dollar, mais par rapport à son concurrent, le mark et, dans une plus faible mesure, la livre. Pourquoi ? Une unité commune existe bien, il s’agit du D.T.S. (Droit de Tirage Spécial) utilisé par le Fonds Monétaire International, mais sa valeur est fixée en dollars et il ne s’agit que d’une monnaie de compte utilisable seulement entre banques centrales. De plus, les montants en circulation sont trop faibles pour régenter les échanges.
Le besoin d’une unité internationale est donc
largement ressenti. Le 30 septembre 1987, le Secrétaire d’Etat
au Trésor des Etats-Unis, James Balcer, avait proposé
d’utiliser à cet effet, mais comme indicateur seulement, un panier
de matières premières incluant l’or. Ce n’était
d’ailleurs pas la première fois qu’une telle mesure était
envisagée. Depuis W.S. Jevons, économiste anglais, en
1875, jusqu’à A. Hart, N. Kaldor et J. Tinbergen en 1964, idée
soutenue par Pierre Mendès-France, en passant par J.M. Keynes
: le bancor, en 1942-43, F. Hayek en 1943 et M. Friedman en 1953 ont
proposé des constructions basées sur un étalon-marchandise.
Tous ces auteurs se sont heurtés au mauvais vouloir ou conservatisme
et il faut ajouter aux énormes intérêts en cause
dans ces matières. M. Allais et J. Riboud, nous venons de le
constater, en sont conscients, Ch. Warin l’était aussi. Dans
le dernier paragraphe de son livre intitulé "Le mur des
impérialismes", il explique qu’un projet, le sien, qui entamerait
la position hégémonique du dollar, qui compromettrait
les situations acquises dans l’aide bilatérale, qui priverait
les gros producteurs céréaliers, dont les Etats-Unis,
de l’arme politique de la faim, qui serait défavorable aux multinationales
en permettant aux Etats spoliés de les taxer...se heurterait
au mur des impérialismes.
Même en tant qu’indicateur, les matières premières sont contestées : les marchés sont variables, spéculatifs et soumis aux interventions des Etats ; enfin leur importance dans le commerce international a tendance à se réduire au bénéfice des produits manufacturés jusqu’aux plus sophistiqués, comme ceux de la chimie ou des composants électroniques, ainsi que des échanges de services.
Parce qu’ils se veulent réalistes, aucun des réformateurs du Système Monétaire International que nous avons cités dans cette chronique ne propose de sortir vraiment du capitalisme, même si certaines de leurs propositions sont radicales. D’autres penseurs ont déjà objecté (8) la consubstancialité qui existe entre la monnaie scripturale bancaire et l’économie capitaliste. Qui touche à la monnaie touche à l’ensemble de l’édifice. Qui conteste le pouvoir et les privilèges bancaires attaque les structures dont l’impérialisme tire son emprise sur les peuples. Le réalisme conduit donc à l’impuissance. Il s’apparente au réformisme de certains mondialistes qui veulent créer des institutions mondiales supranationales en s’appuyant sur les hommes politiques et les institutions dont la raison d’être est justement de conserver les bénéfices qu’ils tirent de la gabegie actuelle.
Les défenseurs du capitalisme ont beau jeu,
surtout dans la période présente de déconfiture
du communisme soviétique, à faire croire aux naïfs
qu’il n’existe pas d’autre alternative.
On nous opposera qu’il n’y a pas, pour le moment, de forces populaires
capables d’impulser la rupture. C’est probablement vrai. Nous préférons
néanmoins offrir un projet de société vraiment
mobilisateur plutôt que des rafistolages sans espoir.
(1) 18, rue de Varenne 75007 Paris
(2) Si tant est qu’il existe vraiment un Prix Nobel d’économie.
Voir G.R. n° 877, page 6
(3) Il prévoit l’éventualité d’un nouvel effondrement
boursier et d’une récession mondiale dans un entretien accordé
au quotidien "La Presse" de Montréal (Le Monde du 30
mai 89)
(4) Voir "De l’écu à notre moulin" dans la G.R.
n° 881
(5) Dans "Responsables" voir nota (1). La parité du
pouvoir d’achat (P.P.A.) est en effet loin d’être assurée
entre le dollar et les autres monnaies principales.
(6) "Sur la monnaie" G.R. n° 865
(7) Club humaniste, 15, rue Victor Duruy ou 45, rue des Morillons 75015
Paris
(8) Voir notamment "Sommes-nous Geselliens ? " G.R. n°
868