La démocratie et l’économie distributive

Réflexion
par  F. CHATEL
Publication : janvier 2024
Mise en ligne : 5 mai 2024

Dans la continuité de ses réflexions sur l’organisation politique des sociétés, François Chatel détaille la notion de démocratie héritée de la grèce antique, et ce qu’elle pourrait être dans notre pays.

Nous ne sommes pas en démocratie malgré ce qu’on nous raconte. Notre gouvernement ressemble plutôt aujourd’hui et depuis la première restauration de Louis XVIII, à une monarchie constitutionnelle [1].

La Constitution qui accompagne la proclamation de la Ve République fait du président de la République un pseudo-souverain. Elle a été construite pour quelqu’un d’intègre dont la mission est la défense du bien commun. Or, les successeurs du Général de Gaulle n’ayant pas la même vocation, les dérives liées à l’utilisation pernicieuse de la Constitution conduisent à des abus de pouvoir en progression constante, avec par exemple l’utilisation exagérée du recours à l’article 49 alinéa 3, abus accompagnés de l’expression du mépris du peuple.

La première question à laquelle il faut répondre  : voulons-nous un système démocratique qui prenne en compte nos décisions et les exécute  ? Dans l’affirmative, une vraie démocratie écarte d’emblée le recours à l’élection pour choisir des représentants. Et ceux-ci, volontaires, tirés au sort et sélectionnés comme les jurés d’assises, devront exercer leurs fonctions sous contrôles. Il faut savoir aussi qu’exercer le pouvoir demande du temps, de l’engagement, de l’autonomie car, avant tout, c’est au peuple d’écrire sa Constitution, de rédiger l’ensemble des textes qui la composent dans le sens du bien commun.

 La démocratie et sa contrefaçon

Jusqu’au xviiie siècle, le terme démocratie renvoyait à la cité grecque, en particulier à Athènes et son isegoria. Les bases de la démocratie, des mots grecs dêmos qui signifie "peuple", et krátos, "puissance ou pouvoir", sont en fait posées dès le ve siècle avant J.-C. Sur l’agora, le lieu de rassemblement dans la capitale grecque, les citoyens débattent et décident des règles qui régissent la vie de la cité. C’est la démocratie directe où les citoyens exercent directement le pouvoir. Liberté et égalité de parole pour tout citoyen au sein de l’agora, où les experts se succèdent afin de divulguer un enseignement pour lequel tout citoyen est considéré capable d’assimiler. Il est rapporté par Platon, Thésée, Thucydite et Hérodote combien s’avérait bénéfique cette participation, pour l’acquisition de l’esprit d’appartenance et sur l’engagement volontaire des citoyens pour toutes les tâches se rapportant au bien commun. Chaque citoyen pouvait proposer des lois et donner son opinion lors de l’Ecclésia, qui étaient ensuite étudiées par la Boulè dont les membres étaient tirés au sort.

Les "gouvernements représentatifs", qui se mettent en place au moment des révolutions anglaise, américaine puis française, se construisent en opposition explicite avec la démocratie de type athénien. Les fondateurs du gouvernement représentatif refusèrent la forme démocratique non pas en raison de la taille des États modernes qui empêcherait le peuple de se réunir car ils savaient parfaitement que les habitants, que ce soit dans les villages ou dans les villes, avaient l’habitude de se réunir régulièrement pour traiter de problèmes divers. Le refus de la démocratie le fut pour des raisons politiques. Il s’agissait explicitement d’empêcher les classes populaires de se mêler des affaires du gouvernement. Voici ce que déclarait Madison, un des pères fondateurs de la Constitution américaine  : «  Le but de toute constitution politique est, ou doit être, d’abord d’avoir pour gouvernement les hommes qui ont le plus de sagesse pour discerner le bien commun de la société   ». Madison et ses amis (les federalists) opposèrent explicitement république et démocratie. La république se distingue par un corps de représentants. C’est un "corps choisi", non seulement parce que ses membres sont élus, mais parce qu’ils font partie des "citoyens les plus distingués". L’objectif est alors de faire en sorte que les élus soient d’un rang social plus élevé que leurs électeurs, ce qui revient à une aristocratie.

On rappelle ici le même état d’esprit avec Sieyès, qui exerça une grande influence pendant et après la Révolution française, et qui de plus escamota la souveraineté populaire pour celle de la nation. «  Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique.   » «  Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. [2] »-

Ce que cherche à faire Sieyès, c’est écarter le peuple des décisions, donc il va mettre en avant l’idée de nation entre le peuple et le pouvoir parce que le peuple lui apparaît hétérogène, alors que la souveraineté suppose l’unité.

Selon lui, il fallait éviter toute tentation de démocratie directe. D’autre part, comme la nation est une entité abstraite, et qu’elle doit exister concrètement dans la vie politique, elle doit être représentée par une assemblée nationale élue, sur le principe du mandat représentatif et qui agira au nom de la nation.

Et on touche là une autre question essentielle, car selon Sieyès, seule la Nation peut décider des formes de l’État (la Constitution) et du contenu du droit (législation). Pour lui, seule la Nation doit posséder le pouvoir législatif car la loi est l’expression de la volonté nationale, et seule l’Assemblée nationale, composée de représentants élus de la Nation, peut faire la loi, et organiser la société. Si bien que le peuple fut et est exclu du pouvoir législatif au profit d’individus prétendument à son service, mais qui rapidement vont se professionnaliser et servir leurs propres intérêts et ceux de leurs mécènes dont ils vont devenir les serviteurs.

Le peuple se trouve ainsi doublement floué  : les représentants sont les seuls dépositaires de la volonté générale, et la souveraineté n’est plus celle du peuple, mais celle de la Nation.

Rousseau voyait dans la démocratie représentative le danger majeur que les représentants du peuple confondent leur intérêt avec l’intérêt public, ou encore qu’ils obéissent à des intérêts particuliers. N’avait-il pas raison  ?

La remarque que fait Rousseau dès le livre I de son Contrat Social conserve toute sa pertinence  : «  Dans le fait, les lois sont toujours utiles à ceux qui possèdent, et nuisibles à ceux qui n’ont rien  : d’où il suit que l’état social n’est avantageux aux hommes qu’autant qu’ils ont tous quelque chose, et qu’aucun d’eux n’a rien de trop   ».

 Les mesures prioritaires

Nous allons réfléchir sur les solutions à mettre en œuvre pour instaurer, enfin, une véritable démocratie. Nous allons mettre sur la table les moyens nécessaires pour ôter le pouvoir des oligarques et de leurs acolytes politiciens pour le restituer au peuple, afin de retrouver une situation légitime énoncée par l’article 2 alinéa 5 de la Constitution  : le «  gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple  ».

C’est par l’aptitude de chacun à être à la fois "souverain", c’est à dire législateur, et "sujet", c’est-à-dire obéissant aux lois, que réside la citoyenneté. J. Testart a travaillé sur les conventions citoyennes afin de vérifier la capacité de législateur de tout un chacun. Il a noté l’apparition de ce qu’il nomme "l’humanitude" pour être convaincu de la compétence politique d’un citoyen ou d’un groupe, contrairement à ce qu’il est couramment avancé. [3]

La convention citoyenne est une procédure de participation qui combine une formation préalable (où les citoyens étudient), une intervention active (où les citoyens interrogent) et un positionnement collectif (où les citoyens rendent un avis). Tout sujet d’intérêt général, sans limitation du champ géographique, est susceptible de faire l’objet d’une convention de citoyens dès lors que les connaissances en la matière ont acquis un certain niveau de maturation.

 L’élection

En premier lieu, suivons La Boétie qui explique que si certains individus accaparent le pouvoir en démocratie, c’est que le peuple laisse faire, qu’il démissionne de la place qui lui revient de droit quand il fait le choix d’opter pour l’élection. L’élection revient à l’abandon du pouvoir et sa remise aux mains des oligarques représentés par les politiciens.

Suivant l’article titré Les élections, du pain rassis pour les pigeons [4], l’élection est un piège qui nous défait de toute décision politique au bénéfice d’un individu que nous connaissons à peine et qui n’est même pas tenu de tenir ses promesses — ce qu’il fait rarement une fois élu.

 Réécrire la constitution

Aujourd’hui, quelle est la cause de notre impuissance à s’opposer aux lois que nous ne voulons pas et à instaurer celles qui nous intéressent  ? C’est la Constitution. Elle est inadaptée chaque fois que ceux qui l’écrivent ont un intérêt personnel contraire à l’intérêt général. Mais elle pourrait être au contraire la source de notre émancipation, la base de l’exercice du pouvoir qui nous revient de droit, pourvu que nous reprenions le contrôle du processus constituant. [5]

Pour protéger tous les humains contre les abus de pouvoir, seule une assemblée constituante formée de membres tirés au sort, serait capable d’écrire une bonne constitution. Celle-ci devra généraliser l’utilisation du référendum d’initiative populaire ou citoyenne (RIC), car il permet de consulter directement le peuple sur une question et de lui donner ainsi le pouvoir de décision. Au premier abord, c’est la façon la plus simple de connaître la volonté générale. Le RIC donne un réel pouvoir au peuple pour régler ses affaires, et ça, la grande majorité des élus n’en veulent pas, puisqu’il revient à ôter du pouvoir aux représentants. La seule liberté qu’ils laisseraient au peuple, c’est celle de les désigner, de les élire afin de mieux le défaire du pouvoir. Depuis le dernier référendum en 2005, dont le résultat fut annihilé trois ans plus tard, aucun recours à la décision populaire n’a été entrepris. Le référendum permet de voter, c’est-à-dire d’appliquer le pouvoir directement. Aujourd’hui son organisation est critiquable puisqu’elle est tributaire du bon vouloir du président de la République sur proposition du Gouvernement ou sur proposition conjointe de l’Assemblée nationale et du Sénat, ou encore à un cinquième des membres du Parlement, soutenus par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales.

Le référendum reconnu actuellement en France par la Ve République est typiquement de type césariste puisque le Président de la République en détient l’initiative. Césariste, car il est à l’initiative du prince et s’avère donc être un outil de pouvoir absolu, une parodie de démocratie.

Une distinction importante serait sans doute nécessaire à faire entre, d’une part l’institution qui doit proposer les lois (isegoria), et d’autre part celle qui doit les voter (isonomia). En effet, les défauts et les qualités d’une proposition apparaissent mieux lorsqu’on n’en est pas à l’origine. Réunir isegoria et isonomia dans une seule entité — comme c’est le cas dans de nombreuses démocraties actuelles — revient à fusionner juge et partie.

Des propositions de loi et de projet pourraient être émises par les différentes assemblées communales, régionales ou nationales, constituées de tirés au sort pour des mandats courts. Un comité citoyen tiré au sort déciderait des propositions à retenir, ainsi que de l’ordre dans lequel en débattre. Ces propositions seraient alors soumises aux RIC pour délibération.

 Reprendre le contrôle de la monnaie

Nos prétendus "représentants" ont manœuvré afin d’interdire à la nation de créer l’argent nécessaire au financement des besoins publics, et cette situation a été entérinée par l’article 104 du traité de Maastricht.

C’est offrir sur un plateau une rente aux riches banquiers et investisseurs puisque les États s’imposent d’emprunter les sommes nécessaires auprès de prêteurs privés, moyennant un intérêt exorbitant, à la source d’une dette faramineuse qui nous interdit toute politique publique volontariste, et provoque un chômage insupportable. C’est très probablement le but recherché par les libéraux, de façon à contrôler l’inflation défavorable aux rentiers.

Nos "représentants" sont donc loin d’assurer nos besoins et préfèrent protéger la fortune des riches puisqu’ils en bénéficient pour les caisses de leur parti et de leurs campagnes électorales. D’où l’importance et l’urgence de reprendre le contrôle de l’émission monétaire en l’inscrivant en priorité dans notre propre Constitution.

 Interdire l’accaparement des médias

Aujourd’hui, les médias sont aux mains de 9 milliardaires. En conséquence, les informations émises par ces médias correspondent à une voix unique issue des idées gouvernementales qui, elles-mêmes, proviennent du système politique et économique favorisant les oligarques. Le message divulgué doit absolument satisfaire les intérêts capitalistes défendus par nos représentants gouvernementaux au point d’utiliser toutes les techniques répressives et discriminatoires (diffamation, catalogage, loi du silence, accusation d’incitation à la haine, de menace à l’ordre public, etc.) qui reviennent à l’application d’une censure contre l’ensemble des opposants. La liberté d’expression est mise à mal.

Les journalistes, pour nombre d’entre eux, ont accepté la déformation de leur rôle qui était jusqu’à présent de protéger les citoyens contre les pouvoirs. Ils ont déserté leur place qui faisait de l’information un des piliers démocratiques. L’information aujourd’hui ressemble à une propagande qui ne fait que déformer l’opinion des gens, les détourner de ce qui devrait les intéresser, exacerber les émotions pour éviter la réflexion et l’exercice de la raison.

 Le tirage au sort

Pas de démocratie réelle sans tirage au sort, afin que nos représentants restent nos serviteurs, associé à un contrôle permanent. Le tirage au sort possède tous les avantages pour détrôner le mythe de l’élection qui, sous couvert de l’initiative du choix, n’est qu’un leurre pour mieux déposséder l’électeur de son pouvoir. Les politiques de droite ou de gauche, ne sont qu’une comédie jouée par les partis politiques dont les plus médiatisés et majoritaires restent de fervents protecteurs du capitalisme et des milliardaires qui en profitent. De plus, la consigne du "vote utile" est un bâillon supplémentaire.

En se référant aux travaux d’Étienne Chouard, comparons les deux modes de sélection des représentants.

Au contraire de l’élection, le tirage au sort nous protège des manipulateurs, escrocs, corrompus, menteurs séduisants, trompeurs professionnels, des meilleurs comédiens de la politique, et d’une médiatisation avantageuse de certains candidats sélectionnés par l’oligarchie dominante.

L’élection donne le pouvoir à ceux qui le veulent (les candidats) alors qu’on sait depuis au moins 2 500 ans qu’il ne faut surtout pas le leur donner [6]. Depuis 200 ans — depuis le début du xixe —, l’élection donne le pouvoir politique aux plus riches ou à ceux les mieux protégés par les riches. Elle propose des candidats déjà choisis par les possédants, comme porte-paroles et exécutants de leurs stratégies politiques et économiques favorables à leurs affaires. Ces possédants peuvent financer leurs campagnes, acheter des médias pour organiser leurs promotions. On est donc tenté de penser que c’est l’élection des acteurs politiques qui a rendu possible le capitalisme, car la constitution écrite par leurs subordonnés a permis aux riches de choisir la procédure qui leur permet d’imposer leurs lois protectrices de leurs affaires. Redevables, débiteurs, les élus serviront les intérêts particuliers au lieu de se mettre au service de l’intérêt général.

Le tirage au sort ne permet pas ce genre de corruption. Il désigne au hasard des candidats volontaires, d’où l’importance d’une situation matérielle suffisante afin de permettre à chaque citoyen de pouvoir s’engager. Pendant 200 ans de tirage au sort quotidien — aux ve et ive siècles av. J.-C. à Athènes —, les citoyens riches n’ont jamais gouverné, et les citoyens pauvres toujours. Le contraire est aujourd’hui assuré. La démocratie athénienne, qui reste l’exemple le plus connu à ce jour, même si d’autres ont certainement été appliqués auparavant [7], considère l’élection comme un principe aristocratique, le choix des "meilleurs", qui une fois élus s’enquièrent généralement de s’enrichir au dépend du peuple. Ils avaient donc compris que le principe démocratique, c’est le tirage au sort  : il empêche la formation d’une bureaucratie permanente et la reproduction d’une élite politique gestionnaire institutionnalisée. Il n’y avait donc pas d’État, c’est-à-dire d’appareil séparé du reste de la société et s’élevant au-dessus d’elle. [8]

Les candidats ne peuvent être élus, puis réélus, que si leur image est bonne. D’où l’incitation à mentir sur ses propositions, à cacher ou déguiser les erreurs du passé, à organiser une campagne théâtrale et trompeuse. Le tirage au sort annihile toute cette forfanterie.

L’élection favorise le regroupement en partis et enferme l’action politique dans des schémas d’idées définis, déterminés par une hiérarchie d’où émergent des chefs proposés comme candidats. S’ensuit une limitation du nombre de candidats éligibles et de la variété des propositions. En conséquence, la compétition électorale prive la plupart des individus isolés de toute chance de participer au gouvernement. Le tirage au sort résout ce défaut majeur en décourageant la formation de partis et de candidats imposés. Un simple citoyen a des chances réelles de participer au gouvernement, et à toutes les assemblées citoyennes, ce qui favorise l’intérêt pour la politique, pour s’instruire et développer ses compétences, afin de se préparer à répondre favorablement à l’attente du regard public, avant même d’être désigné, à tout moment de la vie.

L’élection maintien les maîtres au pouvoir qui en fait des professionnels de la politique, qui s’enferment dans une bulle de supériorité, de domination, et de privilèges. Le tirage au sort protège du ressentiment et de la vanité, et incite à "l’humanitude", à se mettre au service du commun.

Afin de contrer l’argument comme quoi le tirage au sort va désigner des gens incompétents pour débattre et proposer des lois, l’association « Sciences citoyennes » animée par Jacques Testart s’emploie à organiser des assemblées citoyennes, conformément à ce qui pourrait être réalisé par une véritable démocratie, procédure de participation de personnes tirées au sort qui combine une formation préalable en relation avec le sujet débattu, une intervention active composée d’interrogations et de débats, jusqu’à l’aboutissement d’un avis collectif. L’étude de nombreux cas aboutit à conclure, qu’«  un groupe de citoyens tirés au sort est capable d’appréhender tout sujet, quelle que soit sa complexité́, en se dégageant des seuls enjeux locaux et immédiats, pour proposer des solutions en rapport direct avec les besoins de la société́  ». Il apparaît que les tirés au sort ne veulent pas prendre de décisions irraisonnées qui les feraient paraître pour autocrates ou stupides aux yeux de leurs concitoyens.

Notons que le développement des technologies informatiques associées à l’intelligence artificielle sera de nature à compenser la probable perte d’efficacité liée à la décentralisation du pouvoir.

 Vers l’économie distributive

Que les auteurs des premières Constitutions françaises, en supposant qu’ils étaient intègres et agissaient pour le bien commun, soient réticents à donner le pouvoir au peuple, étant donné que la grande majorité des citoyens ne savaient ni lire ni écrire, nous pouvons comprendre, même si le bon sens était partagé entre tous et que les concertations entre villageois étaient fréquentes. Cependant, ce n’est plus le cas aujourd’hui, et même si le niveau d’instruction se dégrade depuis quelques années, les institutions existent et une nouvelle volonté politique pourrait aisément remédier à cette tendance. L’instruction politique progressive pourrait construire la compétence des futurs tirés au sort et des participants aux assemblées citoyennes.

Aujourd’hui, que le peuple soit écarté du pouvoir et des décisions législatives est une imposture. Si la volonté générale choisit la Démocratie comme organisation politique et sociale, il apparaît primordial d’abolir l’élection, d’écrire une nouvelle Constitution, d’adopter le tirage au sort pour choisir les représentants, que les lois proposées soient contrôlées, modifiées, refusées ou acceptées par les citoyens, que le peuple de chaque nation se réapproprie la création et la gestion de sa monnaie.

Quel régime politique et économique se disant démocratique serait capable de réaliser la totalité de ces réformes ? Quel régime serait favorable à la prise du pouvoir par le peuple et créerait les conditions sociales pour sa mise en place et son maintien ? Le capitalisme est basé sur une injustice flagrante qui est la propriété des moyens de production, l’accaparement du capital permettant de produire les biens dont le peuple a plus ou moins besoin et d’en tirer un profit. Cette confiscation des moyens de production oblige le peuple non possédant à vendre ses compétences pour réaliser la production de ses besoins qui lui est octroyée plus chère que la valeur attribuée à son travail, c’est-à-dire le salaire. Cette plus-value correspond au revenu des propriétaires-capitalistes, aux différents réinvestissements et aux dividendes attribués aux actionnaires. Ce qui empêche l’ensemble des salariés de pouvoir consommer toute la production. Cette surproduction inévitable, non consommable, non vendue, va créer des faillites causées par la concurrence et du chômage conséquent. D’où la recherche effrénée de l’innovation afin de conquérir de nouveaux marchés. Cette situation construite sur le besoin de croissance ne fait que produire du gâchis d’énergie et de matières premières, de l’insécurité, et ne fonctionne que par l’incitation du peuple à consommer, à s’endetter, à créer de l’addiction par la publicité pour acquérir des biens dont l’utilité serait discutable pour la grande majorité. C’est un système qui autorise le vice dans les institutions et l’immoralité dans les relations sociales.

Or, le maintien de cette organisation économique ne tient que par un choix politique. Ce choix a été entériné jusqu’à présent par les bourgeois, banquiers ou marchands, en faisant écrire la Constitution par leurs complices. Protection de la propriété privée, lois sur le travail et les salaires, sur la concurrence, sur l’émission de la monnaie, sur les règles de l’élection, etc. favorisent l’instauration et la continuité du régime capitaliste.

Résoudre la crise démocratique et économique suppose que soient créées les conditions et les institutions qui permettent la participation effective de toutes et tous aux affaires qui les concernent, et de mettre ainsi en place une démocratie active. Il ne suffit pas seulement, même si cela est nécessaire, d’améliorer les mécanismes de la démocratie dite représentative, mais de créer la possibilité que toutes et tous puissent être parties prenantes de tout pouvoir existant dans la société.

En créer les conditions suppose un bouleversement économique et social d’ampleur. Il s’agit non seulement de prendre des mesures sur le plan économique qui permettent de briser la domination du capital, mais aussi de construire une véritable démocratie sociale et de mettre en œuvre un processus permanent de lutte contre les oppressions, les dominations, les discriminations et les inégalités sociales.

En imaginant le peuple au pouvoir, comme il se devrait dans une véritable démocratie, que se passerait-il comme il s’est toujours passé dans les cas similaires dont l’histoire témoigne  ? La nouvelle constitution abrogerait la propriété privée des biens de production en faveur de la gestion des communs, d’où une nationalisation générale de la production — aux mains du peuple et non dans celles d’un parti —, elle instituerait le tirage au sort des représentants avec un contrôle permanent de leurs missions au lieu de l’élection castratrice, elle abolirait le salaire en faveur d’un revenu correspondant à un pouvoir d’achat indexé sur la production choisie par le peuple en fonction de critères divers, comme les besoins régionaux, ceux qui sont jugés utiles au développement, l’empêchement du gâchis ou de l’obsolescence programmée, la réduction des pollutions, la protection de l’environnement, etc. Reprendre la main sur la production, c’est permettre aux entreprises de fonctionner mieux en laissant toute la place à la coopération, libérée de la hiérarchie imposée mais plutôt associée à une hiérarchie désirée. Le pouvoir politique du peuple, basé sur une personne/une voix demande une égalité sociale réelle et donc l’absence de classes sociales [9] et conditionne la distribution de revenus de consommation égaux. Ce qui n’empêche aucunement un libre choix de la consommation particulière.

Insistons sur un aspect, l’absolue nécessité de réduire le temps de travail au-delà même de l’objectif de création d’emplois. Tant que les individus travailleront huit heures par jour, sans compter le temps passé dans les transports et le fait de s’occuper des tâches domestiques — en grande majorité le fait des femmes aujourd’hui —, l’activité politique ne peut que rester le fait d’une infime minorité ayant le temps et la volonté de s’y adonner. De plus, il est évident, qu’une éducation appropriée est nécessaire afin de construire des êtres autonomes, ayant conscience de leur importance individuelle et de leurs devoirs civiques. Pour que chacun exerce au mieux le rôle politique qui lui revient  : pour faire partie des assemblées citoyennes, des tirés au sort en tant que représentants de l’exécutif ou comme contrôleurs de ceux-ci, un aménagement radical du temps de travail est nécessaire. Ce qui favorise la promotion des machines et des systèmes capables de remplacer l’humain pour des rôles professionnels dangereux, fastidieux, répétitifs, dénués de capacité de développement personnel, etc., au profit de l’exercice du domaine politique, enrichissant, social, favorable à la responsabilisation, à l’exercice de l’autonomie.

Dès que le peuple comprendra que son pouvoir dépend du contrôle de la monnaie, il reprendra le pouvoir sur son émission, abolira le système des prêts d’argent à intérêt en faveur de l’allocation à des projets jugés d’utilité publique. «  La création monétaire, au lieu d’avoir pour seul objectif de servir des rentes aux plus riches, doit revenir au politique pour qu’il soit possible de décider démocratiquement l’orientation de l’économie. Alors il sera possible d’investir en fonction des besoins, même non rentables, de tenir compte de certains impératifs de production, comme celui de ne pas gaspiller les ressources naturelles, de développer la culture et les arts, de stimuler la recherche même sans application pratique à court terme, etc. [10] »-

Ainsi, le peuple au pouvoir condamne à mort le capitalisme et réalise la destitution de ceux qui en profitent, car ce système n’a rien à voir avec la démocratie. C’est un système oligarchique ou aristocratique. De plus, ce système est tout à fait inadapté pour la résolution des problèmes écologiques et sociaux. Si l’humanité a nettement progressé dans le domaine de la technologie, son "humanité" stagne ou même régresse compte tenu des événements dramatiques que l’histoire nous propose.

Cette inauguration de la véritable démocratie amène un bouleversement des institutions et des règles sociales, utile et nécessaire pour une expression plus vertueuse de l’humanité. Ces nouveautés conséquentes d’une reprise du pouvoir par le peuple pour le peuple, contrôle de la monnaie, tirage au sort, abolition du salariat pour un revenu de consommation égalitaire, production démocratique, consommation libre et choisie, contrats de travail et d’entreprise, temps de travail aménagé, propriété d’usage… rappelle l’ensemble des propositions réunies dans l’Économie Distributive. Celle-ci serait donc tout à fait adaptée à un régime démocratique, celui du peuple au pouvoir qui organise sa société comme il l’entend.

Autant la Constitution républicaine écrite par les représentants promeut le capitalisme et l’entretien, autant une Constitution écrite par le peuple, crée la démocratie qui va vivre par l’adoption des institutions proposées par l’Économie Distributive.

Pour parvenir à reprendre le pouvoir et s’engager dans la démocratie, dans une économie distributive, il s’agit d’enrayer le système actuel avec pour première action le boycott de toute élection [11], municipale, régionale, législative, présidentielle, européenne. Il faut montrer que l’élection revient à prendre le peuple pour un pigeon et donc refuser de se faire plumer. Nous n’avons pas à déléguer le rôle qui nous appartient car les règles sociales, politiques, économiques, c’est à chacun de nous de les instituer. Ce n’est pas à des menteurs, à des renégats enfermés dans des partis, le plus souvent guidés par l’intérêt personnel ou la corruption, et qui trahissent leurs promesses, de prendre notre place.


[1Une monarchie constitutionnelle est un type de régime politique qui reconnaît un monarque élu ou héréditaire comme chef de l’État, mais où une constitution limite ses pouvoirs. Wikipedia

[2Abbé Sieyès, Discours du 07 septembre 1789, Wikipédia.

[3Jacques Testart, L’humanitude au pouvoir, éditions du Seuil.

[4François Chatel, Les élections, du pain rassis pour les pigeons, La Grande Relève N°1225, avril 2022.

[5Voir Étienne Chouard  : https://www.chouard.org/

[6Lire Platon et Alain

[7François Chatel, Tout est possible - parties 1 & 2, La Grande Relève N°1231/1232 - 2023

[8Voir Paulin Ismard, La démocratie contre les experts. Les esclaves publics en Grèce ancienne, Seuil, 2015

[9Voir Karl Polyany

[10Marie-Louise Duboin. Présentation de l’Économie Distributive. Mise en ligne le 16/08/2005
https://www.economiedistributive.fr/Presentation-de-l-economie

[11NDLR  : Historiquement, l’Économie Distributive s’est focalisée à défendre sa vision de l’organisation économique de la société, Jacques Duboin ayant préféré ne pas donner d’orientation politique à son mouvement. 
Les moyens d’y parvenir, notamment politiques, pourraient prendre diverses formes, représentées par les points de vue débattus et publiés dans nos colonnes.


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