La voie du salut
par
Publication : avril 1978
Mise en ligne : 1er septembre 2008
Pendant toute la campagne électorale qui vient
de se terminer, alors que les grandes vedettes de la politique tenaient
le devant de la scène, que les baratineurs de place publique
envahissaient les écrans de télévision, se bousculaient
devant les micros, étalaient leur sourire satisfait sur les murs
des vespasiennes, que les batteurs d’estrade et les illusionnistes de
foire nous proposaient leurs plans de redressement, avec la manière
de s’en servir, cinq ans de crédit et service après-vente,
les chers-zélecteurs en ont eu pour leur tiers provisionnel de
promesses et de lendemains qui chantent.
Tous les exclus de la société d’abondance, les smicards
du libéralisme avancé, les handicapés, les demandeurs
d’emplois, les petits retraités, les jeunes, les vieux, les entre-deux
âges, et même les autres - faut oublier personne - ont reçu
leur petit cadeau de Noël au moins en belles paroles. Et c’est
l’intention qui compte, non ? C’est drôle - vous ne trouvez pas
? - comme la mémoire revient vite aux politiciens en période
électorale.
Maintenant que les lampions sont éteints et que le rideau est
retombé, si on parlait un peu de choses sérieuses ?
Tous les candidats, sans exception, nous ont annoncé - hou !
fais moi peur ! - ce qui nous pendait au nez au cas où leurs
adversaires politiques prendraient le pouvoir : le chômage, l’inflation,
la misère, et le pain sec, si c’était la majorité.
La faillite, la guerre civile et l’hôpital psychiatrique, si c’était
la gauche.
Alors, il ne nous reste plus qu’à faire le dos rond et à
attendre l’apocalypse ?
Minute. Faut quand même pas s’affoler. Il y a encore de l’espoir.
Tandis que la campagne électorale battait son plein, à
grand renfort de « Marseillaise », M. Michel DEBRE prenait
la parole a son tour, comme c’était son droit. L’ancien Premier
ministre du général de Gaulle n’a pas parlé sur
une estrade de Pantin ou à Verdun-sur-le-Doubs, mais à
la tribune de l’Assemblée Nationale. C’est sans doute la raison
pour laquelle la grande presse n’a pas accordé à ses propos
toute l’attention qu’ils méritaient.
M. DEBRE, apôtre de la natalité, et qui ne peut pas s’endormir
le soir tant que la France n’aura pas cent millions d’habitants, M.
DEBRE vient d’avoir une idée qui pourrait aider à la réalisation
de ce rêve en proposant un nouveau mode de scrutin, le vote familial
qui consiste à donner aux géniteurs un nombre de bulletins
de vote correspondant au nombre d’enfants mineurs.
Qu’en pensez-vous ? J’ai idée, pour ma part, qu’avec le vote
familial, la France sera sauvée, une fois de plus. C’est la voie
du salut. Tous les couples de l’hexagone vont, sans plus attendre se
mettre au travail, par esprit civique, pour donner au pays des millions
d’électeurs supplémentaires qui, on l’espère, voteront
bien, au risque de bloquer les urnes en 1982.
Ça serait rare si, avec un pareil électorat, le «
Chant du Départ », la Croix de Lorraine, le clairon de
Déroulède, la grosse caisse de M. Ceyrac et - Démocratie
Française » en sautoir, la France votait massivement à
gauche la prochaine fois.
On ne sera peut-être pas sauvés pour autant. Tous ces petits
Français sortis de l’urne depuis 1978 et devenus électeurs
à part entière, il faudra leur trouver du boulot quand
ils arriveront sur le marché du travail, plutôt que de
les payer à rien faire.
Mais il sera toujours temps d’y penser le moment venu quand ils commenceront
à faire des barricades.