Le Front de Gauche, quelles perspectives ?


par  G. EVRARD
Publication : avril 2012
Mise en ligne : 24 juin 2012

Jusqu’à maintenant, aucun parti politique ne s’engageait dans la voie des changements fondamentaux que nous préconisons, la GR s’abstenait donc de prendre position pour l’un d’eux.. Et tout en dénonçant l’illusion de démocratie qu’est la situation actuelle, comme l’a fait clairement Benjamin ci-dessus en montrant« les enjeux de l’abstention ».

Mais il semble que l’argumentation du Front de Gauche réponde assez bien à cette critique. Et l’idée fait son chemin qu’il faut bousculer cette apparence de démocratie pour que de vrais changements puissent se faire. Alors, même si on ne peut jamais être sûr que les urnes donneront une suite à une ambition politique, Guy Evrard parie sur J-L Mélenchon, parce qu’il a vu dans son programme sa détermination à agir sur le système pour placer enfin “l’humain d’abord !” :

L’idée que des changements fondamentaux ne pourront décidément intervenir qu’en bousculant le mécanisme institutionnel dans lequel est aujourd’hui figée la démocratie représentative fait son chemin [1], signifiant que la reconquête du suffrage universel et une intervention citoyenne permanente sont les conditions pour reprendre le pouvoir à l’oligarchie financière qui écrase le monde. C’est le cœur du projet du Front de gauche.

 Enfin une dynamique historique ?

« L’humain d’abord », ce pourrait n’être qu’un slogan électoral, mais nous voulons comprendre cette injonction comme une résolution de fond, celle qui est aux sources de la GR : les progrès techniques doivent réduire la peine des hommes et non prolonger leur aliénation. Une utopie qui animait déjà des hommes comme Elisée Reclus [2] qui, au 19ème siècle, avait eu le temps d’observer les conséquences de la révolution industrielle, sans cesser de s’émouvoir des équilibres subtiles de la nature, et Jacques Duboin, lorsqu’il écrivit « La Grande Relève des hommes par la machine », puis fonda en 1935 « La Grande Relève des hommes par la science », désespérant de voir ces progrès d’abord au service de la guerre, puis confisqués par le capitalisme. Et donc une utopie qui reste à conquérir, à bien des égards.

 Quelles idées ?

Je ne crois pas que nous ayons lu souvent dans un programme électoral, à l’exception de quelques grands moments de notre histoire, lors de puissants mouvements populaires (la Révolution française, la Commune de Paris, le programme du Conseil national de la résistance...), une telle clarté d’analyse et d’intention, une telle hauteur de vue, reposant sur une immense confiance en l’homme. Non pas l’homme au centre du monde, mais l’homme collectivement responsable et solidaire, à qui on demande de s’engager dans l’action. Rappelons donc les bases de cette analyse et de cet engagement :

• « Derrière la crise du système capitaliste qui se déroule sous nos yeux, il y a la possibilité d’un monde meilleur. Nous devons la saisir. [...] La catastrophe écologique, l’explosion des inégalités, de la précarité et de la pauvreté, les violations répétées de la démocratie, le refus de rapports humains fondés sur la solidarité et la coopération, tout ceci a une cause dont l’action humaine peut venir à bout. Tous ces maux trouvent leur commune origine dans la caractéristique essentielle de notre époque : la domination sans partage du capital financier sur le monde. Or, cette domination en apparence inébranlable est en réalité d’une grande fragilité. car elle dépend tout entière de choix politiques que les peuples peuvent inverser ».

• « Pour résoudre la crise, il faut reprendre le pouvoir. Pour en finir avec l’insécurité sociale générée par le règne du profit, pour que le respect de l’écosystème menacé par le réchauffement climatique et la destruction de la biodiversité prime sur les exigences du court terme, pour que les lois adoptées visent à satisfaire l’intérêt général plutôt que l’avidité insatiable de quelques-uns, il faut que soient élus des dirigeants qui ne dépendent d’aucune manière de l’oligarchie financière et que le peuple, à la faveur d’une sixième république, exerce le pouvoir pour de bon. Il faut une révolution citoyenne ».

• Le programme, que nous ne pouvons détailler ici, « n’est pas un recueil de solutions toutes faites. Nous sommes dans un de ces moments de l’histoire où seule l’intervention directe du plus grand nombre peut réinventer l’avenir ». Nous sommes donc invités à creuser et à enrichir l’ouvrage, comme le fait une lectrice [3] et aussi notre journal qui, au-delà de susciter une réflexion collective, ce qui est sa raison d’être, a proposé une contribution particulière [4]. Le programme du Front de gauche est ainsi un outil qui vise à rendre majoritaires deux convictions qui peuvent tout changer.

Premièrement, il faut rompre avec les politiques de ces dernières décennies : « La croyance dans la construction actuelle, libérale, de l’Union européenne, la volonté de réduire le “coût du travail”, le démantèlement des services publics, le refus d’affronter les banques et les marchés financiers ». Des dogmes qui continuent d’être répétés par les partis et les médias dominants et sont appliqués aveuglément par les gouvernements autour de nous ainsi que par les institutions internationales.

Deuxièmement, le point d’appui à partir duquel reconstruire, c’est « l’humain ». On nous a tellement dit que les lois de l’économie, quasi naturelles, sont plus fortes que l’homme, qu’on ne songeait même plus que c’est l’homme lui-même qui les met en place ! Et nous savons aussi que « la richesse d’un pays réside dans le travail humain, dans la capacité de ses femmes et de ses hommes à s’associer librement, à créer, à inventer, à produire. [...] En refusant la domination du capital financier sur le travail, en luttant contre la précarité, en garantissant à chaque personne le droit de se soigner, de s’éduquer, de se loger et de travailler, nous protégeons et accroissons les forces créatrices qui refonderont notre pays et aideront demain à changer le monde ».

C’est une solide ambition. Mais demain, c’est quand ? — Cela dépend de nous. « Face à la domination des marchés financiers qui soumet nos sociétés aux intérêts d’une petite oligarchie, nous avons besoin de la souveraineté du peuple, seule à même de viser l’intérêt général. Pour abolir les privilèges de notre temps, il nous faudra assumer puis remporter la confrontation avec la finance. La condition première de notre succès sera la mobilisation des femmes et des hommes, la construction de nouveaux rapports de force favorables aux travailleurs et aux citoyens. [...] Le Front de Gauche est justement né de l’exigence de réinventer la gauche en s’appuyant sur l’implication populaire ». Demain commence donc maintenant : en prenant part au mouvement.

 Une dynamique historique ?

En revenant sur la démarche de rassemblement des forces politiques qui constituent aujourd’hui le Front de gauche, puis en écoutant les analyses qui sont développées par le candidat Jean-Luc Mélenchon et ses partenaires, de meeting en meeting, au cours de débats ou lors d’interviews [5], où ils ne laissent guère de place au jeu politicien suscité traditionnellement par les médias, on prend réellement conscience de la consistance d’un projet qui ne vise pas la seule élection présidentielle, mais bien la volonté de faire renaître enfin dans ce pays l’idée qu’une autre organisation économique et sociale est possible, si on en a la volonté politique. Et l’espoir de la faire partager à d’autres peuples.

Il s’agit donc d’un projet de fond renouant d’abord avec le socle historique des valeurs “de gauche”, qui s’était dilué au fil des décennies dans les renoncements de la social-démocratie. Des valeurs auxquelles adhère la GR et qui laissent mieux augurer de la possibilité d’agir pour la mise en place d’un revenu par distribution, notre objectif particulier. Un projet prenant la juste mesure de la convergence, elle aussi historique, de la crise économique et sociale et de la crise écologique provoquées par le capitalisme financiarisé qui mène une lutte de classe féroce en même temps qu’il ne s’interdit aucun excès dans sa prédation des richesses de la planète. La GR a longuement analysé ces aspects. L’ennemi est ainsi clairement désigné et les moyens légitimes de le combattre également, par la reconquête du suffrage universel, l’exigence de médias indépendants tant du pouvoir financier que du pouvoir politique, et l’intervention citoyenne permanente dans tous les aspects de la vie économique et sociale, ainsi que dans les grands choix de société qui dessineront notre avenir. Cette renaissance de la démocratie serait institutionnalisée dans le cadre d’une VIe République.

Les promesses seront-elles tenues, dans l’hypothèse de l’indispensable alliance avec la social-démocratie au second tour, puis lors des élections législatives ? N’est-ce pas prendre le risque de voir la droite reconduite au pouvoir en ne sacrifiant pas au vote utile dès le premier tour ? Continuer de poser dans les mêmes termes ces questions, fort légitimes, signifierait que l’on renonce à entrer dans une dynamique de changement à laquelle nous travaillons pourtant depuis longtemps. Si la droite conserve le pouvoir, la déconstruction méthodique des garanties sociales et des services publics va se poursuivre, la politique d’austérité et les inégalités s’aggraver, comme partout en Europe, et la prédation de la planète s’amplifier, toujours pour le plus grand profit de l’oligarchie financière, jusqu’à la catastrophe finale. Si la social-démocratie est plébiscitée, une certaine inflexion de cette politique sera peut-être provisoirement acquise, mais les orientations fondamentales n’étant pas modifiées, les espoirs d’une société plus juste sur une planète revivifiée seront définitivement anéantis.

La GR exprime clairement l’exigence d’une démocratie élargie, celle qui est déjà inscrite dans le projet de VIe République, mais à laquelle il faut, certes, continuer de réfléchir. Nous sommes pour la “révolution citoyenne” qui devra assurer le contrôle de l’action des élus et peser sur la stratégie déployée par un gouvernement de gauche pour aller vers les changements fondamentaux indispensables. Si la dynamique se poursuit, beaucoup de nos concitoyens prendront confiance, la rejoindront et l’enrichiront. Les peuples d’Europe nous observent. Le 18 mars, à la Bastille, on entendit ces mots du poète républicain espagnol Antonio Machado que nous avions déjà cités dans la GR : « Voyageur, le chemin ce sont les traces de tes pas. Voyageur, il n’y a pas de chemin. Le chemin se fait en marchant. Et quand tu regardes derrière toi, tu vois le sentier que jamais tu ne dois à nouveau fouler. Voyageur, il n’y a pas de chemin, seulement un sillage sur la mer » [6].


[1Guy Evrard, La démocratie représentative est à reconquérir, mais pas seulement !, GR 1129, mars 2012, p.8.

[2Elisée Reclus (1830-1905), géographe, théoricien de l’anarchisme, acteur de la Commune de Paris, qui écrivit L’homme est la nature prenant conscience d’elle-même.

[3Lire la lettre de P.S. au courrier des lecteurs du présent numéro.

[4Guy Evrard, Des sciences citoyennes pour un projet politique, GR 1122, juillet 2011, p. 13.

[6Antonio Machado (1875-1939), extrait traduit de Proverbios y cantares


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